Le gouvernement britannique loue une péniche pour interner les demandeurs d'asile

Le ministère de l’intérieur britannique a annoncé son intention d’héberger jusqu’à 500 demandeurs d’asile masculins isolés et vulnérables dans une « péniche-hôtel » vieille de 47 ans, le Bibby Stockholm. Ce navire a déjà été utilisé pour héberger des travailleurs du secteur pétrolier offshore et des parcs éoliens, ainsi que des réfugiés qui demandent l’asile en Allemagne et aux Pays-Bas. Il sera amarré dans le port de Portland, dans le Dorset.

Un communiqué de presse du ministère de l'intérieur indique qu'il 'fournira un hébergement de base et fonctionnel', avec 'une sécurité 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à bord'. Ses 500 occupants seront logés dans 222 chambres seulement, dans ce qu'un organisme de surveillance néerlandais a précédemment qualifié d''environnement oppressif', malgré les affirmations des propriétaires selon lesquels le navire a été 'rénové'.

Le Bibby Stockholm amarré à Hambourg [Photo by GNU Free Documentation License / CC BY-SA 3.0]

Le port de Portland a déjà accueilli un navire pénitentiaire, le HM Prison Weare, entre 1997 et 2005, qui a hébergé jusqu’à 400 prisonniers. En 2004, l’introduction à un rapport de l’inspecteur en chef des prisons, Anne Owers, a condamné l’établissement pour avoir privé les prisonniers d’air frais et de lumière naturelle et n’avoir offert aucun espace pour la formation, l’exercice ou l’éducation.

Anne Owers a noté que la plupart des détenus étant originaires de Londres et du sud-est, l’endroit était « particulièrement inaccessible », les prisonniers étant libérés à une « distance considérable de leur domicile ». Même si l’argent nécessaire était dépensé pour maintenir le navire en état de naviguer, il resterait «au mauvais endroit, avec des installations limitées et dans un environnement restreint ».

Le député conservateur du South Dorset, Richard Drax, a admis, au nom de ses intérêts égoïstes, qu’on devrait déplacer la barge loin de sa circonscription : « Il y a beaucoup d’inconnus. Qui s’occupe d’eux, que vont-ils faire, quelles sont leurs dispositions en matière de santé, que se passera-t-il en cas de problème à bord » ?

Il a ajouté que les résidents ne seraient « autorisés à sortir en bus que de temps en temps, mais qu’ils seraient en fait incarcérés pendant une bonne partie du temps ». Le ministère de l’Intérieur déclare dans une fiche d’information : « Si un demandeur d’asile n’est pas de retour sur le site à 23 heures, l’équipe téléphonera à la personne », soi-disant « pour s’assurer de son bien-être ».

Les groupes de défense des droits de l’homme et des réfugiés ont fermement condamné cette annonce. Steve Valdez-Symonds, porte-parole d’Amnesty International, a déclaré : « Les personnes qui ont échappé à la terreur et à la torture, qui ont enduré l’exploitation criminelle et des voyages traumatisants doivent être traités avec la dignité humaine la plus élémentaire, et ils ne devraient pas être enfermés sur des barges ou dans d’autres lieux d’hébergement grossièrement inadéquats et isolés ».

Le directeur général du Conseil des réfugiés s’en est pris aux projets « totalement inadéquats » pour loger « des personnes vulnérables venues dans notre pays en quête de sécurité, après avoir fui des passages à tabac et des menaces de mort ».

Christina Marriot, de la Croix-Rouge, a déclaré au Guardian : « Les barges à quai sont isolées de la communauté au sens large. Elles n’offrent pas l’environnement de soutien dont ont besoin les personnes qui subissent le traumatisme d’avoir eu à fuir leur foyer ».

Ces critiques sont formulées pour implorer le gouvernement de « réparer » le système de traitement des demandes d’asile, Valdez-Symonds exige que les demandes soient « traitées de manière correcte et cohérente» et Solomon affirme: «Il ne serait pas nécessaire d’utiliser des barges et d’anciennes bases militaires si les dossiers étaient traitées de manière rapide et efficace».

Mais le gouvernement n’a aucunement l’intention de mettre en place un système d’asile opérationnel pour les milliers de personnes désespérées qui sont contraintes de risquer leur vie en traversant la Manche. Sa politique vise à diaboliser, à terroriser, à emprisonner et à bloquer les réfugiés qui tentent de faire valoir leur droit démocratique à l’asile. Le Premier ministre Rishi Sunak a souligné ce point lorsqu’il a été interrogé concvernant la péniche, en déclarant : « Je suis déterminé à arrêter les bateaux et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour y parvenir ».

Ce faisant, les conservateurs s’associent à la droite fasciste. Ils évoquent des « vagues » et des « essaims » de migrants qui « envahissent » le Royaume-Uni. Ils concentrent leurs tirs sur l’utilisation d’hôtels, au coût de 6 millions de livres sterling par jour, pour héberger les demandeurs d’asile ― le principal sujet des manifestations d’extrême droite au Royaume-Uni.

La déclaration du ministère de l’Intérieur qui annonçait l’utilisation de la barge n’a pas manqué d’inclure les phrases toutes faites selon lesquelles cette solution « minimiserait les perturbations pour les communautés locales », serait « plus gérable et ordonnée » et « réduirait les coûts», l’hébergement actuel des demandeurs d’asile dans des hôtels «dépassant désormais les 6  millions de livres sterling par jour».

Le ministre de l’Immigration, Robert Jenrick, a repris le fil, en fulminant : « Le ministre de l’Intérieur et moi-même avons été clairs sur le fait que l’utilisation d’hôtels coûteux pour héberger les personnes qui effectuent des voyages inutiles et dangereux doit cesser. Nous ne ferons pas passer les intérêts des migrants illégaux avant ceux du peuple britannique que nous avons été élus pour servir ».

Si Jenrick se souciait tant des intérêts du peuple britannique, il pourrait renoncer à deux de ses trois maisons. La réalité est que la classe dirigeante se soucie aussi peu de la classe ouvrière britannique que des migrants. Selon les propres statistiques du conseil du Dorset, 10 des 11 zones défavorisées de la région se trouvent dans la zone de Portland et Weymouth où la péniche se trouvera installée, qui se situe également dans les 10 pour cent des zones les plus défavorisées du Royaume-Uni sur la base des indicateurs de revenu, d’emploi, d’éducation, de santé, de criminalité, de services de logement et d’environnement.

Utilisant la criminalité des gouvernements de l’Europe continentale pour justifier la sienne, Jenrick a poursuivi : «Nous devons utiliser d’autres options d’hébergement, comme le font nos voisins européens. Cela comprend l’utilisation de barges et de ferries pour économiser l’argent du contribuable britannique. Cela va éviter que le Royaume-Uni ne devienne un pôle d’attraction pour les demandeurs d’asile en Europe » [nous soulignons].

Le gouvernement a affirmé à plusieurs reprises que la grande majorité des personnes qui arrivent en Grande-Bretagne sont des « migrants économiques » à la recherche de meilleures conditions de vie et qu’en vertu de la loi actuelle, ils ne peuvent donc pas prétendre légitimement à l’asile. Mais une demande de liberté d’information à laquelle on a répondu en mars dernier a révélé qu’il ne disposait d’aucune donnée pour étayer cette affirmation. Les propres statistiques du ministère de l’Intérieur montrent qu’au moins 60 pour cent des personnes arrivées en 2022 ont une demande d’asile « légitime ».

Sophie McCann, responsable du plaidoyer en faveur des migrations à l’organisation caritative « Médecins sans frontières Royaume-Uni », a déclaré au Guardian : « Le gouvernement n’a fourni aucune preuve à l’appui des affirmations selon lesquelles la majorité des personnes qui tentent d’atteindre le Royaume-Uni sont des migrants dits économiques. Ce type de déclarations est utilisé pour diaboliser et déshumaniser les personnes qui cherchent la sécurité ici, en attisant les divisions, ce qui a des conséquences réelles et dangereuses ».

L'annonce du Bibby Stockholm confirme l'avertissement du « World Socialist Web Site » selon lequel le gouvernement britannique est en train de créer un réseau de camps d'internement terrestres et flottants avec son projet de loi sur l'immigration illégale, qui fait actuellement son chemin à Westminster.

Des projets sont déjà en cours pour établir des camps sur d’anciens sites militaires à Scampton, au Lincolnshire et à Wethersfield, Essex, afin d’accueillir 3.700 personnes. Un autre camp est en cours de création à Bexhill, dans le Sussex de l’Est, pour accueillir 1.200 personnes supplémentaires.

Officiellement conçue pour accueillir les demandeurs d’asile avant leur expulsion vers un « pays tiers sûr » l’absence d’une telle destination sauf le Rwanda ― avec une capacité limitée et des expulsions bloquées par les tribunaux ― signifie que des milliers de personnes seront détenues indéfiniment dans ces trous infernaux.

Cette politique rappelle certains des épisodes les plus brutaux de l'histoire de l'impérialisme britannique.

Des parallèles existent entre le Bibby Stockholm et le HMS Maidstone, un ancien navire de dépôt de sous-marins réaménagé et utilisé pour héberger les troupes britanniques déployées à Belfast, en Irlande du Nord, en 1969, dans le cadre de l’opération britannique qui visait à soutenir le gouvernement unioniste d’Irlande du Nord. En 1971, lors de l’opération Demetrius, opération d’internement de masse de l’armée britannique qui a raflé des centaines de jeunes hommes sans procès, le Maidstone a servi de prison pour 122 internés qui se trouvaient détenus dans des conditions cruelles et surpeuplées.

Les travaillistes continuent de soutenir à fond les politiques antidémocratiques et anti-migrants des conservateurs, se contentant de critiquer l’efficacité de leur mise en œuvre. La ministre fantôme de l’intérieur, Yvette Cooper, s’est plainte : « Tant que le gouvernement ne prendra pas des mesures sérieuses pour résorber le retard [les travaillistes ont promis d’accélérer les expulsions], ce problème continuera de s’aggraver, avec davantage de personnes dans des logements coûteux, et non pas moins ».

La ministre de l’ombre chargée de la Violence domestique, Jess Phillips, a décrit la péniche comme « un autre gadget ridicule… excusez le jeu de mots ― une minuscule goutte d’eau dans l’océan », qui « ne remplace pas les hôtels ; c’est aussi bien que les hôtels».

(Article paru d’abord en anglais le 10 avril 2023)

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