Canada: Les néo-démocrates alimentent le tollé déclenché par les services de renseignement sur une soi-disant ingérence de la Chine dans les élections

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) social-démocrate du Canada s’est lancé sans réserve dans la campagne de propagande orchestrée par les services de renseignement sur l’ingérence présumée de la Chine dans les récentes élections fédérales.

Lorsqu’il y a moins d’un an, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a justifié son accord de «confiance et d’approvisionnement» avec les libéraux, il a déclaré qu’il était nécessaire de créer une «stabilité politique», c’est-à-dire une stabilité permettant à l’élite dirigeante du Canada de faire la guerre à la Russie à l’étranger et à la classe ouvrière au pays. Au cours de la semaine dernière, Singh a ouvertement évoqué l’idée de retirer le soutien du NPD au gouvernement libéral si le Premier ministre Justin Trudeau n’ouvre pas une enquête publique sur «l’ingérence étrangère» dans la «démocratie» canadienne. Une telle enquête servirait de plateforme à l’appareil militaro-sécuritaire et aux factions les plus à droite et les plus belliqueuses de l’élite politique pour attiser l’animosité envers la Chine et faire pression pour que le Canada joue un rôle encore plus important dans l’offensive militaro-stratégique de Washington contre Pékin.

Navires de guerre américains et australiens en mission de «liberté de navigation» contre la Chine en mer de Chine méridionale [Photo: US Navy/MC3 Nicholas Huynh]

Le ralliement rapide du NPD à la campagne de propagande anti-Chine ne fait que démontrer, pas moins que les conservateurs et les libéraux, qu’il est le porte-parole de l’oligarchie financière qui contrôle la vie politique du Canada et qu’il est asservi aux agences de renseignement qui protègent leurs intérêts impérialistes. En effet, le sentiment que les jours de Justin Trudeau en tant que premier ministre sont comptés est de plus en plus répandu dans de larges sections des médias bourgeois, depuis les pages éditoriales du Toronto Sun, sympathisant de l’extrême droite, et du National Post, néo-conservateur, jusqu’au Toronto Star, supposément progressiste.

La campagne mensongère lancée par les agences de renseignement a été menée dans les médias par le Globe and Mail, le «journal de référence» du Canada, et Global News. Jour après jour, depuis plusieurs semaines, des reportages non fondés basés sur des fuites anonymes et illégales du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont été présentés par les médias comme preuve de l’intention de Pékin de subvertir la démocratie canadienne. Le caractère soutenu et apparemment coordonné de ces fuites – qui documentent les tentatives présumées de Pékin de promouvoir certains candidats libéraux au détriment de leurs rivaux conservateurs lors des élections de 2019 et 2021 – suggère fortement qu’elles sont orchestrées par des agents de haut niveau au sein de l’appareil de sécurité nationale qui ont intérêt à déstabiliser, voire à renverser, le gouvernement libéral.

L’absence de preuves et le caractère fantaisiste des allégations, dont beaucoup remontent maintenant à plusieurs années, sont démontrés par le fait que la Gendarmerie royale du Canada n’a pas encore ouvert d’enquête sur d’éventuels actes répréhensibles.

Bien qu’aucun document étayant les allégations d’ingérence chinoise n’ait été rendu public, les médias et les partis d’opposition ordonnent en fait à la population de considérer le SCRS, et en particulier l’élément mécontent du gouvernement qui a orchestré les fuites, comme des pourvoyeurs de la pure vérité. En d’autres termes, ils devraient oublier le bilan réel du SCRS, qui est notoirement connu pour son implication dans l’espionnage de masse, la torture, la violation systématique des droits démocratiques dans le cadre de la soi-disant «guerre contre le terrorisme» et les mensonges aux tribunaux.

Le fait que le NPD se fasse le champion de la campagne pro-guerre et anti-Chine a enhardi les conservateurs de l’opposition officielle et leur nouveau chef d’extrême droite, Pierre Poilievre, dans leurs efforts pour affirmer que les libéraux ont participé à la campagne d’ingérence présumée de Pékin à des fins électorales et pour dépeindre Trudeau comme étant presque un traître. Mardi, Poilievre a livré sa dénonciation la plus incendiaire de Trudeau à ce jour, affirmant que le dirigeant libéral «travaille contre les intérêts de son propre pays» et «agit contre les intérêts du Canada et en faveur des intérêts d’une dictature étrangère».

Le 27 février, Singh a exprimé pour la première fois son soutien à la demande des médias de droite et des conservateurs d’ouvrir une enquête publique sur les allégations d’ingérence. Dimanche dernier, quatre jours après qu’un éditorial du Globe ait exhorté le NPD à dire à Trudeau qu’il mettrait fin à leur accord de «confiance et d’approvisionnement» s’il n’ouvrait pas une enquête publique, Singh a déclaré au Roy Green Show qu’il n’excluait pas de mettre fin à l’accord pour soutenir les libéraux sur la question de l’enquête publique. «Je n’exclus pas, a fait remarquer Singh, qu’il puisse arriver un moment où nous devrions exercer cette capacité. C’est quelque chose que nous avons absolument la possibilité de faire».

S’exprimant mercredi, Singh a déclaré que les allégations selon lesquelles Trudeau avait ignoré les rapports des services de renseignement étaient en train d’«éroder la confiance du public» dans les institutions canadiennes. «À l’heure actuelle, le Premier ministre semble cacher quelque chose, et il pourrait répondre à ces questions en lançant une enquête publique.»

Le rôle du NPD dans la féroce campagne anti-Chine illustre le soutien massif, au sein de l’establishment dirigeant du Canada, à la campagne unilatérale de pression économique, diplomatique et stratégique menée par Washington sur Pékin et aux préparatifs de guerre avancés. Bien que la ou les sources précises des fuites du SCRS ne soient pas claires, la campagne hystérique sert deux objectifs: diaboliser la Chine dans le but de susciter un soutien populaire à la guerre et faire pression sur le gouvernement Trudeau pour qu’il bascule encore plus à droite et soit remplacé par un régime dirigé par le faucon de guerre et actuelle vice-première ministre Chrystia Freeland, ou par Poilievre lui-même.

Ces derniers mois, l’impérialisme américain a considérablement augmenté les tensions avec la Chine. L’automne dernier, de grandes entreprises américaines, soutenues par une campagne médiatique véhémente, ont intimidé le régime stalinien chinois en le menaçant de retirer leurs investissements pour qu’il abandonne sa politique «COVID zéro», un crime horrible qui a entraîné la mort de plus d’un million de personnes en l’espace de trois mois.

Au début du mois de février, l’armée américaine a abattu un ballon météorologique chinois et divers autres objets volants privés dans le cadre d’une campagne médiatique mur-à-mur sur les prétendues tentatives chinoises d’espionnage de l’Amérique du Nord. Cette action a été rapidement suivie par la promesse de tripler les troupes américaines stationnées à Taïwan et par les commentaires d’un général américain de haut rang prédisant que la guerre avec Pékin commencerait en 2025. La semaine dernière, la réunion inaugurale de la commission spéciale de la Chambre des représentants sur la concurrence stratégique entre les États-Unis et le Parti communiste chinois a déclaré que Washington était engagé dans une lutte «existentielle» avec la Chine.

La campagne hystérique anti-Chine fomentée par les agents du SCRS et l’establishment médiatique et politique canadien vise à pousser le public à soutenir une intensification spectaculaire du rôle de l’impérialisme canadien dans l’offensive américaine contre la Chine, notamment par le biais d’augmentations massives des dépenses militaires et d’une militarisation accrue de l’Arctique. Une campagne similaire est en cours en Australie, dont la classe dirigeante, à l’instar de celle du Canada, considère son partenariat étroit avec Washington comme essentiel à la promotion de ses propres intérêts impérialistes prédateurs.

Ces derniers jours, deux des plus importants journaux australiens, le Sydney Morning Herald et The Age, basé à Melbourne, ont publié une série d’articles disant que beaucoup devait être fait pour se préparer à une guerre avec la Chine, y compris en introduisant la conscription. [Photo: WSWS, from Nine images]

L’escalade de la guerre de l’OTAN contre la Russie en Europe de l’Est – une guerre que Washington et Wall Street considèrent comme un tremplin vers la guerre contre la Chine – souligne que les fous impérialistes de Washington, d’Ottawa et des capitales impérialistes européennes sont prêts à risquer la vie de millions de personnes dans un échange nucléaire.

Trudeau a répondu aux critiques de la classe dirigeante en vantant la position intransigeante de son gouvernement à l’égard de Pékin, qui comprend l’élaboration récente d’une stratégie indo-pacifique développée en étroite consultation avec Washington, et en insistant sur le fait que son gouvernement prend au sérieux la menace d’une ingérence étrangère dans les élections. Il a pleinement soutenu l’enquête en cours de la commission des procédures et des affaires de la Chambre des communes sur les allégations d’ingérence de la Chine dans les élections de 2019 et 2021. À la suite d’une motion du chef parlementaire du NPD, Peter Julian, les membres du comité représentant les conservateurs, le NPD et le Bloc Québécois ont voté le 2 mars en faveur d’une enquête publique sur ces allégations.

Lundi dernier, Trudeau a demandé au Comité parlementaire de la sécurité nationale et du renseignement (NSICOP) et à l’Agence nationale de contrôle des services de renseignement (NISRA) de lancer leurs propres enquêtes sur la réponse des agences de renseignement à l’ingérence présumée. Le NSICOP est composé de membres de la Chambre des communes et du Sénat, la chambre haute du Parlement canadien, qui ont prêté serment de garder secrètes les informations qu’ils reçoivent sur les activités des agences d’espionnage. Le NISRA est un groupe d’experts nommés par le gouvernement et chargés de superviser les agences de renseignement. Ces organismes ont été créés comme une feuille de vigne démocratique pour légitimer les vastes pouvoirs anti-démocratiques accordés aux agences d’espionnage dans le projet de loi C-59 du gouvernement libéral.

Trudeau a également annoncé qu’il nommerait un rapporteur spécial sur l’ingérence électorale étrangère, chargé de «formuler des recommandations d’experts sur la lutte contre l’ingérence et le renforcement de notre démocratie». Il s’est engagé à examiner les propositions des partis d’opposition pour ce poste et a déclaré qu’il lancerait une enquête publique si le rapporteur en recommandait une.

Trudeau s’est également engagé à annoncer prochainement les paramètres d’un «registre des influences étrangères» qui obligera toutes les personnes et organisations considérées comme travaillant pour le compte d’un État étranger à ajouter leur nom à un registre public.

Les multiples annonces de Trudeau n’ont manifestement pas réussi à atténuer le tollé anti-Chine au sein de l’establishment. Elles ont été vivement critiquées par un grand nombre de commentateurs des médias. Soulignant le mécontentement d’une faction de l’appareil de sécurité nationale, d’autres documents ayant fait l’objet d’une fuite ont été rapidement transmis à Global News.

Citant des sources de renseignement anonymes, la chaîne d’information a rapporté mercredi matin que deux rapports d’agences de renseignement de haut niveau sur l’ingérence électorale ont été fournis au gouvernement libéral en 2019 et 2022. Le dernier aurait été préparé par le Bureau du Conseil privé et inclurait l’allégation selon laquelle des fonctionnaires chinois à Toronto auraient financé un «réseau secret» pour soutenir des candidats aux élections. Global News a cité le rapport en ces termes: «Un important transfert clandestin de fonds destinés aux élections fédérales, provenant du consulat de la RPC à Toronto, a été transféré à un représentant élu du gouvernement provincial par l’intermédiaire d’un membre du personnel d’un candidat fédéral de 2019.» Le rapport reprenait en grande partie, avec des détails supplémentaires, un article de Global News datant de novembre 2022.

Ce rapport a fourni des munitions supplémentaires à Poilievre, qui a continué, lors de la période de questions de mercredi, à suggérer que Trudeau trahissait les intérêts du Canada. À un moment donné, Poilievre a demandé de manière provocatrice à Trudeau de déclarer «combien son parti a reçu de dons illégaux en provenance de Pékin». Son affirmation amplifiait un article d’opinion publié le 4 mars dans le Globe par l’influent commentateur Andrew Coyne, qui suggérait que la véritable cible d’une enquête devrait être le gouvernement libéral. «Ce qu’il faut examiner dans le cadre d’une enquête publique», ce n’est pas l’ingérence électorale étrangère, écrit Coyne, mais plutôt «la complicité nationale dans l’ingérence étrangère».

Ces remarques, associées aux accusations selon lesquelles Trudeau servirait une «dictature étrangère», soulignent à quel point l’ensemble de l’establishment politique s’est déplacé vers la droite ces dernières années et a adopté la propagande des forces d’extrême droite. Les propos de Poilievre font écho aux affirmations des fascistes qui ont instigué et dirigé le Convoi de la liberté d’extrême droite de janvier-février 2022, qui a pu occuper le centre-ville d’Ottawa pendant plus de trois semaines, parce que des sections de l’establishment politique, des médias et des forces de sécurité de l’État s’en sont servi comme d’un moyen de pousser la politique nettement à droite, en commençant par l’abandon de toutes les mesures de santé publique anti-COVID.

Les fulminations de Poilievre à l’encontre de Trudeau rappellent également celles de Corey Hurren, le membre des forces armées canadiennes qui a justifié sa tentative d’assassinat de Trudeau en juillet 2020 en accusant le dirigeant libéral d’instaurer une «dictature communiste» au Canada.

Craignant qu’une nouvelle escalade du tollé anti-Chine ne nuise aux intérêts impérialistes canadiens, plusieurs hauts responsables de la sécurité nationale, dont Wesley Wark, qui a déjà siégé au Conseil consultatif pour la sécurité nationale du Premier ministre, se sont prononcés en faveur des nouvelles enquêtes menées par Trudeau. La principale préoccupation de ces représentants de confiance de l’appareil de sécurité nationale de l’impérialisme canadien est qu’une enquête publique, aussi bien contrôlée soit-elle, pourrait devenir un handicap si elle révélait par inadvertance trop de choses sur la source de la campagne anti-Chine et sensibilisait le public à la menace imminente d’une conflagration militaire avec une puissance dotée de l’arme nucléaire. Ils considèrent les commissions existantes, composées de représentants de l’establishment politique triés sur le volet qui ne peuvent s’exprimer publiquement, comme un mécanisme plus efficace pour exploiter la crise actuelle afin de justifier les préparatifs de guerre en cours avec la Chine.

(Article paru en anglais le 11 mars 2023)

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