Canada: Les agences de renseignement provoque un tollé avec des allégations sensationnalistes que la Chine se serait ingérée dans les élections de 2019 et 2021

Les médias et l’establishment politique du Canada sont en proie à un tollé hystérique à la suite de fuites provenant d’une ou de plusieurs sources bien placées au sein du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), la principale agence de renseignement du Canada.

La principale source de ces fuites a été le Globe and Mail, le «journal de référence» du Canada et la voix traditionnelle de Bay Street. Chaque jour, pendant la majeure partie des trois dernières semaines, le Globe a publié des articles importants, généralement de premier plan, consacrés à la diffusion d’allégations sensationnalistes sur un infâme complot chinois visant à saper la démocratie canadienne.

Cette propagande anti-chinoise incessante, qui a été reprise avec enthousiasme par les partis d’opposition et la plupart des médias bourgeois, a un double objectif. Tout d’abord, diaboliser la Chine pour faire avancer l’offensive militaro-stratégique menée par les États-Unis et soutenue par l’impérialisme canadien contre Pékin. Et deuxièmement, déstabiliser et pousser le gouvernement libéral Trudeau nettement plus à droite.

La pièce maîtresse de la campagne hystérique du Globe était un long article du 17 février, dont le titre occupait la moitié de la première page de son édition imprimée, qui prétendait décrire la «stratégie sophistiquée» de Pékin pour influencer le résultat de l’élection fédérale de 2021. Citant des documents «secrets et top secrets» qui ont été «partagés entre de hauts fonctionnaires du gouvernement et les alliés canadiens des services de renseignements “Five Eyes”, à savoir les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande», l’article prétendait que les objectifs de la Chine étaient d’assurer un gouvernement libéral minoritaire et de battre les candidats conservateurs considérés comme plus durs envers Pékin. Comme il se doit pour la campagne de peur des agences de renseignement, c’est précisément le résultat du vote de 2021.

Ces allégations ont donné lieu à une avalanche d’articles dans le Globe et dans d’autres médias, tous citant des «sources» anonymes au sein du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS), la principale agence d’espionnage intérieure du Canada. Le public a été bombardé d’un déluge d’allégations généralement vagues et non prouvées, émanant directement du puissant appareil de sécurité nationale, sans avoir la moindre possibilité de les vérifier. Le SCRS, notoirement connu pour violer la loi, bafouer les droits démocratiques, exercer une surveillance de masse et mentir aux tribunaux spéciaux censés contrôler ses activités, dit essentiellement: «Faites-nous confiance.»

Ces derniers jours, des appels ont été lancés par l’ensemble de l’échiquier politique, d’anciens responsables du renseignement et des médias pour demander une enquête publique sur l’ingérence présumée. L’opposition officielle, le chef d’extrême droite du Parti conservateur et ancien champion du «Convoi de la liberté», Pierre Poilievre, a mené la charge. Poilievre a accusé Trudeau d’être «parfaitement heureux de laisser un gouvernement étranger et autoritaire s’immiscer dans nos élections, tant qu’il l’aide».

Le dernier à s’exprimer a été le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, qui a demandé lundi une «enquête approfondie, transparente et indépendante». Les conservateurs ont exigé que la chef de cabinet de Trudeau, Katie Telford, soit appelée à témoigner lors d’une audience du Comité des procédures et des affaires de la Chambre des communes, qui a voté la semaine dernière pour élargir une enquête préexistante sur l’implication présumée de la Chine dans l’élection de 2019 pour inclure le vote de 2021.

Le gouvernement libéral de Trudeau a fait l’objet d’attaques répétées de la part d’opposants de droite et du NPD social-démocrate pendant des années pour sa position prétendument trop amicale envers Pékin. Cependant, Trudeau et les libéraux ont montré qu’ils étaient plus que disposés à s’aligner derrière la campagne diplomatique, économique et militaire agressive de l’impérialisme américain pour isoler la Chine et préparer la guerre contre elle. En décembre 2018, Trudeau a approuvé ce qui était essentiellement l’enlèvement de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, à l’aéroport international de Vancouver, sur la base d’accusations forgées de toutes pièces par les États-Unis selon lesquelles elle aurait violé les sanctions américaines contre l’Iran.

En octobre dernier, des navires de la Marine royale canadienne ont effectué des exercices maritimes anti-chinois avec les marines des États-Unis, du Japon et de l’Australie. C’était la première fois que les quatre pays s’entraînaient ensemble en mer de Chine méridionale. [Photo: US Navy]

Une expansion significative des opérations militaires canadiennes en Asie-Pacifique a été mise en œuvre par le gouvernement libéral, y compris la participation de navires canadiens à des exercices provocateurs de «liberté de navigation» dirigés par les États-Unis en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan. En mai 2022, le gouvernement Trudeau a banni Huawei et ZTE, un autre géant chinois de la technologie, de son réseau 5G. À la fin de l’année dernière, le gouvernement libéral a présenté sa stratégie indo-pacifique, qu’il s’est vanté d’avoir élaborée en étroite collaboration avec la Maison-Blanche, et qui souligne la volonté d’Ottawa d’aider l’impérialisme américain à intensifier massivement sa présence militaire dans la région et à renforcer son assaut économique contre Pékin.

Trudeau soutient les allégations selon lesquelles la Chine s’est immiscée dans les deux dernières élections fédérales. Mais il a rejeté les suggestions des partis d’opposition selon lesquelles son gouvernement n’a pas agi de manière suffisamment décisive contre l’ingérence chinoise, et a laissé entendre que les documents qui ont fait l’objet d’une fuite, ou l’interprétation qui en est faite, ne racontent pas toute l’histoire. Vendredi dernier, il a déclaré qu’il était nécessaire de rester «vigilant» face à l’ingérence étrangère, mais il a évité de demander une enquête publique.

Trudeau a ajouté qu’il «saluait» les enquêtes en cours menées par le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, qui ont servi de plateforme aux responsables du renseignement pour amplifier leurs affirmations non fondées. Dans un autre geste visant la Chine, le gouvernement Trudeau a annoncé lundi que l’application de médias sociaux Tiktok, appartenant à la Chine, sera retirée de tous les appareils mobiles du gouvernement.

Mais les conservateurs, le NPD et les médias bourgeois restent insatisfaits. Après les élections de 2019, les conservateurs et le NPD se sont unis à la Chambre des communes pour créer un comité sur les relations entre le Canada et la Chine, qui est devenu un mécanisme pour promouvoir la propagande anti-chinoise et faire pression sur le gouvernement libéral minoritaire pour qu’il adopte une ligne plus dure contre la Chine. Même après que Trudeau a interdit les entreprises technologiques chinoises du réseau 5G, les critiques se sont poursuivies en raison du retard pris dans la prise de décision par rapport aux alliés «Five Eyes» d’Ottawa.

Le président chinois Xi Jinping, à gauche, et le premier ministre canadien Justin Trudeau, à droite, lors du sommet du G-20 à Osaka, le samedi 29 juin 2019 [AP Photo/Kazuhiro Nogi/Pool Photo via AP]

L’intensification de la campagne au cours des dernières semaines doit être considérée dans le contexte des provocations irréfléchies de l’impérialisme américain à propos de Taïwan. En février, Washington a confirmé qu’elle triplerait la présence de ses troupes à Taïwan, que Pékin considère comme faisant partie de la Chine. Un général américain de haut rang a ouvertement spéculé sur le déclenchement d’une guerre avec Pékin d’ici 2025. Dans le même temps, après avoir fait pression sur le régime stalinien de Pékin pour qu’il abandonne sa politique «COVID zéro», qui a entraîné la mort de plus de 1,6 million de personnes en moins de trois mois, Washington relance maintenant la théorie de la conspiration de la «fuite du laboratoire» de Wuhan, totalement discréditée, concernant la source la plus probable de la pandémie de COVID-19.

Mardi, la première réunion du House Select Committee for Strategic Competition with China s’est tenue à la Chambre des représentants. Son objectif déclaré est d’élaborer un plan de deux ans pour le «découplage économique» de la Chine, prélude à une guerre armée en Asie-Pacifique.

C’est pour préparer l’opinion publique à un tel conflit que les principaux médias canadiens diffusent depuis des semaines des allégations non prouvées du SCRS. Voici un échantillon des principaux articles de l’édition imprimée du Globe basés sur des révélations non fondées du SCRS au cours des deux dernières semaines:

Mercredi 15 février: Ottawa met fin au financement de la recherche avec des institutions militaires chinoises

Vendredi 17 février: Des documents du SCRS révèlent une stratégie chinoise pour influencer l’élection de 2021

Suivi de trois grands sous-titres: «Pékin avait deux objectifs: obtenir le retour d’un gouvernement libéral minoritaire et vaincre les conservateurs perçus comme des faucons»; «Des fonctionnaires chinois et des groupes de la diaspora ont été utilisés dans des campagnes de désinformation contre les conservateurs»; «Des dons en espèces non déclarés faisaient partie des tactiques employées pour soutenir les candidats politiques préférés».

Samedi 18 février: Des documents du SCRS montrent que la Chine a averti des «amis canadiens» des enquêtes sur l’ingérence étrangère

Lundi 20 février: Des documents du SCRS expliquent comment la Chine cible les politiciens et les chefs d’entreprise canadiens

Suivi de trois grands sous-titres: «Les objectifs de Pékin sont d’obtenir un large éventail de renseignements et de neutraliser les critiques de sa politique»; «Les consulats, les bureaux des visas et la Banque de Chine ont reçu l’ordre d’alerter Pékin sur les visiteurs influents»; «La Chine attribue un code de couleur à ses tactiques: bleu pour les cyberattaques; or pour les pots-de-vin; jaune pour la séduction sexuelle».

Mardi 21 février: Une commission va enquêter sur l’ingérence chinoise dans les élections de 2021

Mercredi 22 février: L’armée canadienne a trouvé des bouées de surveillance chinoises dans l’Arctique: Un ancien lieutenant-général affirme que ces dispositifs ont probablement été utilisés pour observer le trafic des sous-marins nucléaires américains

Jeudi 23 février: Freeland met en garde les fondateurs d’une banque contre le risque de coercition chinoise: la banque Wealth One de Toronto et ses actionnaires font l’objet d’une enquête du SCRS et du ministère des Finances

Vendredi 24 février: Un ancien directeur général des élections demande une enquête sur l’ingérence de la Chine: «La légitimité du gouvernement est en jeu», dit Kingsley en demandant un examen indépendant

Le Globe a refusé de rendre publics les prétendus documents sur lesquels reposent ses allégations sensationnalistes, ou d’identifier la ou les sources impliquées dans les fuites illégales car, comme il l’a admis, elles pourraient faire l’objet de poursuites. Cela n’a pas empêché l’ensemble des médias et de l’establishment politique de considérer les affirmations du SCRS comme la vérité absolue. Trudeau a été attaqué par les conservateurs et une grande partie des médias pour avoir suggéré que la source des fuites illégales devait faire l’objet d’une enquête.

Le Globe a été rejoint par d’autres médias, dont Global News. Dans une interview diffusée dimanche sur le talk-show politique West Block de la chaîne, l’ancien chef du SCRS et conseiller à la sécurité nationale du gouvernement Trudeau, Richard Fadden, a exigé une enquête publique sur l’«ingérence» chinoise dans les élections de 2019 et 2021. «Je pense que dans ce cas, les allégations sont si graves qu’elles doivent être examinées», a commenté Fadden. «Je pense qu’une enquête publique est vraiment la voie à suivre».

Le diffuseur a également allégué, sans fournir de preuves, que le député libéral Han Dong a reçu un soutien du consulat chinois pendant sa campagne électorale. L’article, entièrement basé sur des sources anonymes du SCRS, prétendait que les libéraux ont soutenu la candidature de Dong malgré les avertissements du SCRS sur ses liens avec la Chine. Trudeau a nié ces allégations.

Global News a mené une campagne de plusieurs mois contre la prétendue ingérence chinoise. Cela a commencé par un article paru le 20 novembre 2022, également basé sur des documents «secrets» du SCRS, alléguant que Pékin était responsable «des paiements effectués par des intermédiaires à des candidats affiliés au Parti communiste chinois (PCC), du placement d’agents dans les bureaux de députés afin d’influencer les politiques, de la recherche de cooptation et de corruption d’anciens fonctionnaires canadiens afin d’obtenir de l’influence à Ottawa, et de l’organisation de campagnes agressives pour punir les politiciens canadiens que la République populaire de Chine (RPC) considère comme des menaces à ses intérêts».

Les travailleurs doivent rejeter de manière décisive cette sale campagne pro-guerre et anti-Chine. Ceux qui en sont à l’origine, principalement le SCRS et les médias qui relaient ses affirmations, ont un long passé de mensonges au public et de pratiques anti-démocratiques pour justifier les actions criminelles de l’impérialisme canadien dans le monde. En tant que principale agence d’espionnage intérieure du Canada, le SCRS a participé aux restitutions de suspects «terroristes» dirigées par les États-Unis et a aidé à créer une version canadienne en vertu de laquelle les suspects étaient identifiés aux régimes autoritaires lorsqu’ils voyageaient à l’étranger, détenus et torturés grâce aux informations fournies par le SCRS. L’agence d’espionnage a également été complice des opérations de collecte de renseignements «Five Eyes» dans le monde entier, et a menti aux tribunaux sur ses activités.

Quant au Globe and Mail, le «journal de référence» du Canada, il a récemment marqué le premier anniversaire du Convoi de la liberté d’extrême droite par un éditorial qui blanchit le soutien apporté par une importante faction de la classe dirigeante à ce mouvement extra-parlementaire dirigé par des fascistes. Ceux qui ont lancé l’occupation menaçante du centre-ville d’Ottawa pendant trois semaines appelaient explicitement au renversement violent du gouvernement élu et à l’installation d’une junte chargée de démanteler toutes les mesures de santé publique anti-COVID. La défense passionnée de la «démocratie» par le Globe ne s’applique manifestement que lorsqu’elle sert les intérêts prédateurs de l’impérialisme canadien et de son allié américain.

(Article paru en anglais le 1er mars 2023)

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