Allemagne : le général à la retraite Erich Vad et l’agenda militariste derrière la «révolte pour la paix» de Sahra Wagenknecht, du Parti de gauche

Dans un article récent, le World Socialist Web Site a révélé que les initiateurs de la soi-disant «Révolte pour la paix» ont des objectifs complètement différents de ceux de la majorité des gens ayant signé sa pétition. Alors que la résistance à la guerre par procuration de l’OTAN en Ukraine s’accroît dans toute l’Europe, Sahra Wagenknecht et Cie «exploitent l’opposition à la guerre au profit d’un programme nationaliste et militariste», écrit le WSWS.

Le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste, SGP) a placé la construction d’un mouvement anti-guerre international au centre de sa campagne pour les récentes élections à la Chambre des députés du Land de Berlin. Le SGP a rencontré une grande approbation et un grand soutien dans les quartiers ouvriers.

La justesse de l’évaluation de la «Révolte pour la paix» donnée par le SGP est démontrée par le rôle de premier plan joué dans cette initiative par des personnalités telles que le général de brigade à la retraite Erich Vad, un ardent militariste. C’est un initié de longue date de l’appareil de politique de sécurité allemand. Lors d’un rassemblement le samedi  25  février devant la porte de Brandebourg à Berlin, Vad a prononcé l’un des principaux discours, aux côtés de Sahra Wagenknecht, politicienne du Parti de gauche, et de la féministe Alice Schwarzer, co-initiatrice de la «pétition pour la paix».

Des chars Leopard allemands s’entraînent à Grafenwöhr [Photo by 7th Army Training Command / flickr / CC BY 2.0]

Dans les médias, Vad met régulièrement en garde contre une «troisième guerre mondiale» et critique la livraison de chars de combat Leopard  2 à l’armée ukrainienne comme une «escalade militaire» qui menace de développer une dangereuse «dynamique propre».

Mais il formule cette critique de la politique de guerre officielle en tant que militariste invétéré. Dans le talk-show «Maischberger», il a récemment déclaré: «Je ne suis pas opposé par principe aux livraisons d’armes. Je ne suis pas non plus un pacifiste. Je ne suis pas non plus opposé à la guerre par principe». Selon lui, le gouvernement allemand n’avait pas la «stratégie et les objectifs» nécessaires pour traverser un «conflit avec une puissance nucléaire belligérante». Actuellement, «nous gaspillons chaque jour pour rien des jeunes hommes avec un moral de combat élevé, par centaines, par milliers».

Le général sait de quoi il parle. De 1992 à 1995, Vad a servi à l’état-major militaire international de l’OTAN et au secrétariat général de l’Union de l’Europe occidentale. Il a ensuite fait partie de l’état-major du commandement des forces armées au ministère de la Défense et de l’United States Central Command, où il était responsable des «opérations spéciales en Bosnie-Herzégovine». Après avoir travaillé au ministère des Affaires étrangères sous la direction de Joschka Fischer, il est devenu en 2001 conseiller en matière de politique de défense auprès de la faction d’opposition chrétienne-démocrate (CDU/CSU) au Bundestag (parlement).

De 2006 à 2013, Vad a été chef de groupe à la Chancellerie fédérale, secrétaire du Conseil fédéral de sécurité et conseiller militaire de la chancelière Angela Merkel, et est apparu comme «le général le plus influent de la République fédérale», selon les observateurs.

Après que Merkel l’a promu général en 2010, afin de le maintenir en poste plus longtemps que prévu, les fonctions de Vad pendant la guerre en Afghanistan consistèrent notamment à protéger la Chancellerie de toute responsabilité vis-à-vis la Commission d’enquête parlementaire sur le massacre de Kunduz. Actuellement, Vad travaille comme lobbyiste de l’armement au Bundestag et conseille, entre autres, le fabricant d’armes suisse Ruag et le fournisseur militaire Northrop Grumman Litef.

Lorsqu’un tel personnage critique le gouvernement allemand, il le fait du point de vue des intérêts militaires de l’impérialisme allemand. Cela devient particulièrement clair lorsque Vad se plaint dans les médias de l’état prétendument «délabré» de la Bundeswehr (forces armées) et de son «manque de préparation opérationnelle». En mai 2022, par exemple, quand le chancelier Olaf Scholz (social-démocrate, SPD) a annoncé au Bundestag le Fonds spécial de 100  milliards d’euros pour la Bundeswehr suite à l’invasion russe de l’Ukraine, il l’a décrit comme totalement insuffisant pour assurer la préparation de l’Allemagne à la guerre en tant que «tâche permanente de l’État».

Vad a déclaré à Redaktionsnetzwerk Deutschland que l’industrie de la défense était confrontée à la tâche d’«augmenter le plus rapidement possible les capacités dans les domaines les plus divers. En même temps, elle devait fournir la qualité requise, en se passant des examens prévus par la législation sur les marchés publics ». Elle devait en outre « servir à tout moment la Bundeswehr en tant que client de premier ordre de la meilleure façon possible». Cela présupposait un «niveau élevé correspondant des dépenses de défense».

La militarisation insuffisante de la société était due au «pacifisme structurel allemand» (Vad dans la Neue Zürcher Zeitung) et à une «hypermoralité irréaliste» (Vad dans Die Presse). Apparemment, le général est irrité par le fait que la guerre et le réarmement sont haïs par une grande partie de la population en raison des crimes Allemands durant les deux guerres mondiales.

Le WSWS a déjà rapporté en détail la base idéologique de la politique de guerre de Vad dans un article de fond en 2010. Le général publie des articles dans des revues ultra-nationalistes allemandes dans l’entourage de l’ « Institut pour la politique d’État » d’extrême-droite. C’est un adepte avoué du juriste constitutionnel Carl Schmitt, qui, en tant que «juriste suprême du Troisième Reich» était l’un des plus importants pionniers intellectuels et admirateurs d’Hitler.

Dans un article intitulé «Freund oder Feind-Zur Aktualität Carl Schmitts» (Ami ou ennemi – sur l’actualité de Carl Schmitt), paru en avril 2003 dans le magazine d’extrême droite Sezession, Vad défend la conception de Schmitt d’une «région métropolitaine européenne» qui devait «revendiquer une puissance adéquate» et prendre des «mesures géopolitiques et géostratégiques appropriées» contre les «puissances étrangères à la région». Ce qu’il fallait rechercher, selon Vad, c’était un «partenariat égal avec l’Amérique», que le «leadership politique» de l’époque était trop faible pour mettre en œuvre.

Dans le même article, Vad défendait la «collaboration de Schmitt avec le régime nazi», en se référant à feu l’historien d’extrême droite Ernst Nolte, par le fait que cela «seul semblait pouvoir empêcher un effondrement complet». Dans un article publié dans le journal d’extrême droite Junge Freiheit, Vad s’est opposé à l’exposition sur la Wehrmacht, déclarant qu’il n’était «pas suffisamment évident qu’une grande partie de ce qui eut lieu à l’époque – notamment dans la guerre de partisans et ses représailles et prises d’otages – était couvert par les lois de la guerre de l’époque».

Le fait qu’un révisionniste historique et un militariste agressif comme Vad soit une figure de proue de la prétendue «Révolte pour la paix» n’est pas un hasard. Son orientation politique et ses objectifs coïncident au fond avec ceux de Sahra Wagenknecht et de son mari Oskar Lafontaine. Comme Vad, tous deux défendent un programme nationaliste extrême et poursuivent l’objectif de renforcer le militarisme allemand et européen, notamment vis-à-vis des États-Unis.

Dans son dernier livre, Lafontaine qualifie «les Européens, surtout l’Allemagne» de «vassaux les plus loyaux» des États-Unis. Pour mener à bien «la libération de l’Europe de la tutelle militaire des États-Unis», Lafontaine affirme qu’il faut «une politique européenne indépendante de sécurité et de défense». Une «alliance de défense commune entre l’Allemagne et la France» devait également être capable de faire valoir ses intérêts militaires tant contre les États-Unis que contre l’Europe de l’Est.

Wagenknecht, elle, a appelé dans sa diatribe de 2021 intitulée «Les arrogants», à la création d’un «sanctuaire» national qui devait être dirigé contre le «cosmopolitisme libéral de gauche», les «élites urbaines», les réfugiés et les immigrants. Lafontaine et Wagenknecht ont tous deux précisé que leur initiative était également ouverte aux politiciens fascistes de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et aux acteurs d’extrême droite, à condition qu’ils dissimulent leurs drapeaux de guerre impériaux et s’abstiennent de toute «propagande politique pour des objectifs abscons».

Le programme d’extrême droite des principales têtes politiques derrière la «pétition pour la paix» est un avertissement. Il est impossible de construire un mouvement pour la paix avec des militaristes, des nationalistes et des extrémistes de droite. Ceux qui rejettent les livraisons d’armes et le bellicisme du gouvernement allemand et de ses alliés de l’OTAN et veulent mettre fin au danger d’une troisième guerre mondiale ont besoin d’une perspective et d’une orientation politiques claires.

La seule façon d’empêcher une catastrophe est de mobiliser la classe ouvrière internationale contre le capitalisme et les élites nationales qui s’enrichissent quotidiennement dans chaque pays grâce à la guerre. Le Comité international de la Quatrième Internationale et ses sections – en Allemagne, le Sozialistische Gleichheitspartei – luttent pour donner une expression progressiste à l’opposition généralisée à la guerre et pour l’armer d’un programme socialiste.

À cette fin, le World Socialist Web Site et l'International Youth and Students for Social Equality (IYSSE) ont organisé un événement en ligne, La guerre en Ukraine et comment l’arrêter, le samedi 25 février, au cours duquel des socialistes dirigeants d'Allemagne, d'Australie et des États-Unis se sont opposés à toutes les variétés de nationalisme et de militarisme et ont présenté une stratégie pour que la classe ouvrière et la jeunesse mettent fin à la guerre impérialiste.

(Article paru en anglais le 27 février 2023)