Mardi, les cheminots belges ont lancé une grève coordonnée d’une journée. Le syndicat des conducteurs de train a également débrayé mardi dans le cadre de son propre mouvement de trois jours. Mardi, seul un train sur quatre a circulé en Belgique, tandis que mercredi et jeudi, le réseau ferroviaire devait fonctionner à moitié de sa capacité.
Les cheminots belges font grève contre les mauvaises conditions de travail, le manque de personnel et le sous-investissement chronique dans le réseau ferroviaire belge. Malgré l’état de délabrement de celui-ci, le gouvernement belge n’augmentera les investissements que de 225 millions d’euros pour l’exercice 2023-2024.
Un cheminot belge s’est confié dans l’anonymat à RTL pour décrire les conditions de travail: «Nous n’avons plus du tout de pauses. Si nous devons manger, c’est pendant que nous conduisons. Et si nous devons aller aux toilettes, c’est entre deux gares et nous le faisons rapidement». Il se plaint également que le matériel de pilotage est souvent défectueux: «Sur un trajet, il arrive 3-4 fois qu’il y ait un bug [alors] on perd du temps et on doit se justifier [auprès de la direction de l’entreprise]».
Selon RTL, le travailleur a également expliqué que «sa plus grande peur est de franchir un signal rouge à cause d’une distraction».
Deux sociétés, la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB) et Infrabel, gérent le réseau ferroviaire en Belgique. Elles s’en prennent toutes deux sauvagement à leurs employés. En juin, la SNCB a annoncé la suppression de 2.000 emplois dans les dix prochaines années, tandis qu’Infrabel a déjà supprimé 4.000 emplois depuis 2017. Ces coupes ont conduit à une situation chaotique dans les chemins de fer ; les trains sont souvent annulés ou en retard en raison du manque de personnel.
Les travailleurs et usagers belges ont déjà subi les conséquences mortelles de conducteurs surmenés et du refus de l’élite dirigeante d’investir correctement dans les infrastructures ferroviaires. En 2010, un accident ferroviaire à Halle a tué 19 personnes. Le conducteur avait raté un feu rouge, ce qui aurait dû entraîner l’activation du frein automatique, obligatoire dans les trains belges depuis 2005. Mais ce train là n’en était pas équipé, ce qui a entraîné une collision frontale mortelle.
Avec une main-d’œuvre surchargée et sous-payée et des investissements insuffisants dans les infrastructures, le danger d’un nouvel accident épouvantable est omniprésent.
La colère des travailleurs est également motivée par une forte inflation, qui dépasse les 12 pour cent en Belgique. Ce taux massif masque en soi la hausse gargantuesque du prix de certains produits de première nécessité, qui a un impact disproportionné sur les travailleurs. L’année dernière, le prix du gaz a augmenté de 130 pour cent en Belgique, le carburant de 57 pour cent et l’électricité de 85 pour cent.
La grève des cheminots belges intervient dans un contexte de reprise des luttes des travailleurs à l’international, notamment une recrudescence des luttes des travailleurs du rail. Celles-ci sont motivées par une inflation galopante due à l’énorme spéculation sur les marchés financiers et à la guerre que l’OTAN mène contre la Russie en Ukraine.
Au Royaume-Uni, les cheminots sont en pleine grève contre les réductions de salaire et la pénurie de personnel. Le syndicat RMT (Rail, Mer, Transports) a prévu huit jours de grève supplémentaires avant la fin de l’année et 21.000 membres du syndicat des conducteurs de trains ASLEF (Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen) se sont mis en grève la semaine dernière. Mercredi, le RMT a également annoncé quatre jours de grève sur le service Eurostar qui relie le Royaume-Uni au continent.
En Autriche, 50.000 cheminots ont entamé lundi dernier une grève d’avertissement, après que les négociations pour un nouveau contrat ont pris fin lundi. En France, les travailleurs du métro de Paris se sont mis en grève le 10 novembre. En Italie, les travailleurs de tous les secteurs, y compris les cheminots de Trenitalia et Trenord, ont fait grève pour une journée le vendredi 2 décembre. La grève comprendra également l’arrêt total des systèmes de métro à Milan et à Rome.
Aux États-Unis, les cheminots devaient lancer une grève nationale le 9 décembre après avoir rejeté la dernière proposition de contrat. Mais lundi soir, le président Biden a annoncé qu’il demandait un vote du Congrès pour imposer aux cheminots un contrat négocié par le gouvernement afin d’empêcher la grève.
Le 9 novembre, la Belgique avait également connu une grève générale d’une journée, pour réclamer des augmentations de salaire, et une autre grève interprofessionnelle d’une journée est prévue pour le 15 décembre. Alors que les travailleurs peinent à payer les denrées de première nécessité, les 5.000 plus grandes entreprises belges enregistrent des bénéfices records, qui ont doublé l’année dernière pour atteindre 36 milliards d’euros.
En Belgique et à l’international, la question cruciale à laquelle sont confrontés les cheminots en lutte contre les bas salaires et les conditions de travail dangereuses est celle de se libérer de l’emprise des bureaucraties syndicales. Ces dernières isolent les luttes et visent à les confiner au cadre national, en faillite, de négociations interminables et à huis clos avec les grandes sociétés et les gouvernements.
En réponse à la grève générale d’un jour du 9 novembre, le Premier ministre belge Alexander de Croo avait appelé les travailleurs à «s’unir» aux entreprises. Le président de la SETCa, filiale de l’une des plus grandes confédérations syndicales, a repris l’appel de de Croo, assurant aux patronat belge que les syndicats «ne demandaient pas d’augmentation générale des salaires». Il a ajouté: «Nous sommes responsables. Nous ne sommes pas des voleurs d’entreprises – loin de là».
Les syndicats belges invoquent le système salarial indexé du pays pour justifier leur refus de lutter pour des augmentations, malgré les bénéfices record des entreprises. Mais ce système ne protège pas correctement les salaires. Pour la plupart des travailleurs, les salaires ne sont actualisés qu’une fois par an, en janvier. Cela signifie que pour chaque période de 12 mois jusqu’à cette date, l’inflation ronge le pouvoir d’achat. De plus, l’augmentation ne correspond qu’à l’inflation moyenne, et laisse les travailleurs exposés à des hausses massives des prix de l’énergie.
Si elles prétendent s’opposer à la détérioration des conditions de travail, les fédérations syndicales concurrentes – qui divisent artificiellement les cheminots par type d’emploi, religion et origine linguistique – président depuis des années à des réductions d’emplois et à une aggravation massives des conditions de travail. Dans l’offensive internationale contre la classe ouvrière qui s’intensifie de la part des gouvernements et des employeurs, les bureaucraties syndicales jouent un rôle central pour imposer des accords pourris et pour isoler les grèves ouvrières en fonction de la nationalité et du secteur d’activité.
Néanmoins, les partis de la pseudo-gauche comme GA (Gauche anticapitaliste), lié au NPA (Nouveau parti anticapitaliste) pabliste en France, continuent de semer des illusions dans la bureaucratie, en dépit de son engagement banqueroutier à des pourparlers avec un gouvernement et des sociétés déterminés à supprimer des emplois et baisser les salaires. La GA a appelé les travailleurs à rejoindre la «lutte du mouvement syndical contre l’impasse libérale de la coalition de De Croo».
Contrairement aux affirmations des syndicats et de leurs soutiens pseudo-de gauche, les cheminots, en Belgique comme ailleurs, n’ont rien à négocier avec le gouvernement capitaliste de De Croo.
En Belgique, comme en France, en Autriche, au Royaume-Uni et aux États-Unis, les travailleurs du rail sont confrontés aux mêmes attaques de leurs conditions de travail et de leur niveau de vie. Ils doivent surmonter le même obstacle empêchant qu’une lutte contre ces attaques réussisse: la mainmise sur cette lutte de syndicats pro-patronat et nationalistes.
Les cheminots belges ne peuvent défendre leurs conditions de travail et leur niveau de vie qu’à travers une lutte internationale qui inclut leurs frères et sœurs des chemins de fer de toute l’Europe et de la classe ouvrière internationale en général. Cette lutte doit être menée indépendamment de la politique en faillite des syndicats qui ont collaboré avec les entreprises et les gouvernements capitalistes pour attaquer salaires, emplois et infrastructures sur toute une période historique.
Le premier pas à franchir pour qu’une lutte réussisse est que les travailleurs du rail en Belgique et en Europe fassent comme leurs homologues américains qui ont fondé un Comité des cheminots de la base (Railroad Workers Rank-and-File Committee – RWRFC), entièrement indépendant des bureaucraties syndicales.
(Article paru d’abord en anglais le 30 novembre 2022)