Mardi, le département d’État américain a accordé l’immunité au prince héritier saoudien Mohammed bin Salman, le mettant à l’abri de toute poursuite pour le meurtre du citoyen américain et dissident politique saoudien Jamal Khashoggi.
Cette mesure montre que la prétention du gouvernement Biden à défendre la démocratie et les droits de l’homme – la prétendue justification de ses interventions dans la guerre en Ukraine et dans le reste du monde – est un mensonge éhonté.
Quand durant sa visite en Arabie saoudite, en mai, des journalistes l’avaient interrogé sur le meurtre et le démembrement de Khashoggi par un commando au consulat saoudien à Istanbul, Biden avait répondu méprisant: «Pourquoi ne parlez-vous pas de choses qui comptent? Je suis prêt à répondre à une question qui compte». C’est là l’authentique et arrogante voix de l’impérialisme américain.
Le département d’État répondait à une requête officielle d’un juge chargé d’instruire le procès civil intenté par la fiancée de Khashoggi, Hatice Cengiz et un groupe de défense des droits de l’homme fondé par Khashoggi et cherchant à tenir bin Salman responsable du meurtre. Elle donnait des instructions au ministère américain de la Justice pour qu’il intervienne dans l’affaire et informe le juge que bin Salman jouissait de l’immunité souveraine «que les États-Unis ont toujours appliquée, d’un gouvernement à l’autre, aux chefs d’État, aux chefs de gouvernement et aux ministres des Affaires étrangères pendant leurs fonctions».
Cette action semble avoir été coordonnée avec le régime saoudien, puisqu’en septembre, bin Salman a été nommé Premier ministre par son père, le roi qui auparavant, selon la coutume saoudienne, avait porté ce titre, son fils étant vice-premier ministre. Cette nomination signifiait que bin Salman pouvait désormais bénéficier de l’exemption de responsabilité légale aux États-Unis. Bin Salman ne s’est pas rendu en Europe ou aux États-Unis depuis le meurtre de Khashoggi en 2018 pour éviter d’éventuels problèmes juridiques.
Biden a affirmé pendant la campagne électorale de 2020 qu’il ferait de l’Arabie saoudite un «paria» sur la scène mondiale en raison du meurtre de Khashoggi. Une fois en poste, il a publié une évaluation de la CIA – dont l’expérience est vaste tant pour les meurtres que pour leur dissimulation – selon laquelle bin Salman avait ordonné le meurtre de Khashoggi, que dirigea le chef de sa sécurité personnelle.
Fred Ryan, l'éditeur du Washington Post, où Khashoggi écrivait régulièrement une colonne d'opinion consacrée au Moyen-Orient et en particulier à la monarchie saoudienne, a dénoncé le département d'État, déclarant: «Le président Biden ne respecte pas les valeurs les plus chères à l'Amérique. Il accorde un permis de tuer à l'un des plus grands abuseurs des droits de l'homme au monde».
Le bilan de la tyrannie sanglante de l’Arabie saoudite va bien au-delà de l’horrible meurtre de Khashoggi. Le régime monarchique tue des dizaines de ses propres sujets tous les ans, avant tout lors de décapitations et pendaison publiques. Il s’en prend surtout aux défenseurs des droits de la minorité chiite du pays, qui vit principalement dans la province orientale, riche en pétrole. Dans l’exécution de masse la plus récente, en mars, 81 hommes furent décapités sur ordre de bin Salman.
Rien de tout cela n’importe face à l’approvisionnement du marché mondial en pétrole par l’Arabie saoudite et à ses achats lucratifs d’armes, surtout auprès de fabricants américains, en vue de renforcer son rôle militaire essentiel dans la péninsule arabique et contre l’Iran, de l’autre rive du golfe Persique. Biden a été à Riyad en mai afin de s’excuser auprès de bin Salman pour sa rhétorique de campagne. Il a plaidé en faveur d’une augmentation de la production afin de compenser l’arrêt des livraisons russes suite à la guerre en Ukraine. Bin Salman a au contraire ordonné récemment de réduire la production saoudienne, cherchant manifestement à forcer les États-Unis à plus de concessions, comme la déclaration du département d’État la semaine dernière.
Le rapprochement de Biden et bin Salman fait partie d’un schéma plus large où Washington cultive dans le monde un réseau d’autocrates et d’assassins afin de maintenir sa domination mondiale. Il y a deux semaines, il s’est rendu en Égypte pour assister au sommet climatique COP27 parrainé par l’ONU. Il y fut accueilli par le dictateur militaire du pays, le président Abdel Fattah al-Sisi, il y a serré des mains tachées du sang de milliers de travailleurs et de jeunes Égyptiens, massacrés lors du coup d’État militaire de 2013 qui a réprimé un mouvement révolutionnaire naissant.
Biden a loué le rôle d’al-Sisi à Gaza. Son régime militaire y a contribué à soutenir la domination israélienne sur près de deux millions de Palestiniens, en contrôlant et fermant pratiquement la frontière de cette enclave avec l’Égypte. Il s’est engagé à préserver «notre solide partenariat de défense», exprimant l’espoir que «nous pouvons même dire que nous sommes plus proches et plus forts à tous égards».
Cette semaine, la vice-présidente de Biden, Kamala Harris, rencontre le président philippin Ferdinand Marcos Jr, qui veux reprendre le rôle de son père comme dirigeant dictatorial de ce pays. Harris s’est rendue à Manille dimanche après avoir assisté au sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) en Thaïlande.
À Bangkok, elle eut une discussion cordiale avec le chef militaire thaïlandais, Prayut Chan-o-cha, qui réprime les travailleurs et les petits agriculteurs pour le compte de la monarchie, des grands intérêts financiers et des puissances impérialistes, États-Unis et Japon notamment. Selon le compte rendu officiel de la réunion, les deux dirigeants ont «discuté de notre coopération en matière de sécurité… Des grands avantages que notre alliance procure à nos peuples dans le cadre de la promotion d’une région Inde-Pacifique libre et ouverte». En jargon diplomatique, cela signifie que la Thaïlande s’aligne sur la campagne menée par les États-Unis contre la Chine.
Selon le compte rendu, Harris avait «réaffirmé le partenariat durable entre les États-Unis et la Thaïlande, qui est ancré dans des valeurs communes et avait discuté des efforts visant à renforcer [la] coopération sur une série de questions bilatérales et mondiales». Les dirigeants militaires de la Thaïlande ont dispersé les parlements, truqué les élections, interdit les partis d’opposition et violemment réprimé les manifestations antigouvernementales. Affirmer des «valeurs communes» a une résonance sinistre.
Les sénateurs tant démocrates que républicains se sont prononcés en faveur de la déclaration du département d’État, citant comme la question primordiale les intérêts géopolitiques de l’impérialisme américain au Moyen-Orient. «Nous devons être suffisamment réalistes pour réaliser que l’Arabie saoudite a été un rempart contre l’Iran. C’est un leader dans une partie très désordonnée du monde», a déclaré le sénateur démocrate de Virginie Mark Warner.
Le sénateur républicain Tom Cotton a été encore plus direct. Interrogé sur la question lors d’une interview sur « Fox News Sunday», il a déclaré: «Écoutez, si nous n’avions pas des alliés et des partenaires qui ne partagent pas toujours nos systèmes politiques, nos sensibilités culturelles et sociales, nous n’aurions ni alliés ni partenaires. L’Arabie saoudite est un partenaire important des États-Unis depuis 80 ans. Les présidents des deux partis ont collaboré avec eux».
Cotton de poursuivre: «Ce qui compte le plus dans les gouvernements du monde entier, c’est moins leur caractère démocratique ou non démocratique que leur caractère pro ou anti-américain. Et le fait est que l’Arabie saoudite est un partenaire américain depuis 80 ans».
Dans l’étreinte du meurtrier de Khashoggi par le gouvernement Biden il y une autre question, qui est peut-être encore plus importante que le rôle spécifique du régime saoudien dans la politique étrangère américaine. Comme l’indique la déclaration du département d’État: «d’un gouvernement à l’autre, il y a une pratique ininterrompue en vertu de laquelle les États-Unis reconnaissent l’immunité des chefs de gouvernement pendant leurs fonctions – et nous attendons des autres gouvernements qu’ils fassent de même pour les États-Unis».
L’ex-avocat du département d’État Brian Finucane a déclaré au Washington Post quechaque gouvernement américain s’inquiétait de ce que des responsables américains soient poursuivis par des tribunaux étrangers pour crimes de guerre ou d’autres accusations. «Les préoccupations de réciprocité sont au cœur de cette règle», a-t-il dit à ce journal.
En fait de meurtres et d'autres actes barbares, bin Salman, el-Sisi et Marcos Jr. ne peuvent pas tenir la dragée haute à un président américain. Les victimes de l’agression militaire américaine, des «assassinats ciblés» et des blocus économiques (Irak, Iran, Corée du Nord) se comptent par millions. Aucun gouvernement depuis l’Allemagne d’Hitler n’a tué autant de gens. Chaque président américain craint donc des conséquences juridiques.
C’est pour cela que les États-Unis ont refusé, tant avec des présidents démocrates que républicains, d’adhérer à la Cour pénale internationale (CPI) et que le Congrès a même adopté une loi autorisant une action militaire américaine pour secourir tout Américain traduit devant le tribunal de La Haye, (Pays-Bas).
Comme dirigeants de la plus forte puissance impérialiste, Biden & Cie peuvent défier en toute impunité la machinerie édentée des Nations unies et de la CPI, et blanchir les crimes sanglants de leurs alliés et laquais, comme bin Salman. Leur chute ne viendra pas des institutions diplomatiques bourgeoises mais de la mobilisation de la classe ouvrière américaine et mondiale, dans un mouvement révolutionnaire contre le système capitaliste tout entier.
(Article paru d’abord en anglais le 21 novembre 2022)