Rapport au septième congrès du Parti de l’égalité socialiste (États-Unis)

Les principes historiques et politiques de l’opposition socialiste à la guerre impérialiste et au régime de Poutine

Ce qui suit est un rapport présenté par Clara Weiss au septième congrès du Parti de l’égalité socialiste (États-Unis) en soutien à la résolution «Mobilisez la classe ouvrière contre la guerre impérialiste

Ce Congrès a mis l’accent sur la continuité historique sur laquelle notre mouvement fonde l’évaluation politique de tous les développements clés et de la pratique du parti. Cette approche est particulièrement importante pour la lutte contre la guerre impérialiste.

Comme nous l’affirmons dans le projet de résolution, la guerre impérialiste contre la Russie en Ukraine marque le début d’un nouveau partage impérialiste du monde. Au sens le plus profond du terme, cette guerre est l’aboutissement d’un XXe siècle inachevé. Notre opposition à cette guerre impérialiste ainsi qu’au régime capitaliste de Poutine est enracinée dans une compréhension historique de tout le XXe siècle et de la lutte du mouvement trotskiste contre le stalinisme.

Dès le début de la guerre, le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a clairement indiqué que son opposition à l’invasion de l’Ukraine par la Russie venait de la gauche socialiste et non de la droite impérialiste. Dans une déclaration publiée quelques heures seulement après le début de l’invasion, le CIQI a souligné: «Ce qu’il faut, c’est [...] un renouveau, en Russie et dans le monde entier, de l’internationalisme socialiste qui a inspiré la Révolution d’Octobre 1917 et conduit à la création de l’Union soviétique en tant qu’État ouvrier». [1]

Avec cette opposition internationaliste révolutionnaire à la guerre, le Comité international de la Quatrième Internationale se démarque de tout autre tendance vis-à-vis cette guerre.

L’opposition du CIQI à la guerre contre les forces nationalistes et petites-bourgeoises pro-guerre

Une grande partie des ex-pablistes et des capitalistes d’État à l’échelle internationale s’est alignée complètement sur les puissances impérialistes de l’OTAN et leurs forces par procuration parmi l’oligarchie ukrainienne et l’extrême droite. Sous la bannière frauduleuse de la lutte contre «l’impérialisme russe», des tendances comme la Ligue socialiste internationale et Sotsialnyi Rukh en Ukraine envoient leurs partisans dans les forces paramilitaires armées par les États-Unis.

La Ligue socialiste internationale ukrainienne se place ouvertement dans la tradition de l’Organisation des nationalistes ukrainiens, niant leurs crimes génocidaires. Ces deux tendances entretiennent des liens avec les Socialistes démocrates d’Amérique et Bernie Sanders. En d’autres termes, ils entretiennent des relations directes avec le même Parti démocrate qui a joué le rôle principal dans l’instigation de cette guerre et qui arme maintenant les fascistes en Ukraine.

Un membre de la Ligue socialiste internationale de Vernyk qui a rejoint le détachement UVO des Forces de défense territoriales paramilitaires [Capture d’écran du site Web de l’ISL] [Photo: Screenshot]

Il y a une autre section de la pseudo-gauche internationale qui s’est complètement rangée de l’autre côté de cette guerre: derrière le régime de Poutine. Cette tendance comprend le Parti communiste uni stalinien russe (OKP) de Daria Mitina, le Parti révolutionnaire ouvrier turc (DIP) et le Parti révolutionnaire ouvrier grec (EEK) de Savas Michael-Matsas, qui s’opposa au Comité international lors de la scission de 1985-86 sur une base fondamentalement nationaliste. [2]

Dans leur déclaration, ces nationalistes petits-bourgeois ont salué le régime de Poutine comme le fer de lance de la lutte «anti-impérialiste» qu’il fallait soutenir. Comme l’a déclaré énergiquement l’un de leurs dirigeants turcs: «Nous n’apportons aucun soutien politique à Poutine, mais dans la situation actuelle, nous lui accordons un soutien militaire total et inconditionnel dans la limite de nos possibilités». [3]

Bien que ces deux camps différents de la pseudo-gauche internationale se tirent actuellement littéralement dessus, ils sont unis dans leur engagement à défendre le capitalisme et l’État-nation bourgeois. C'est ce que Trotsky appelait avec justesse «des réactionnaires petits-bourgeois au service du capitalisme en décomposition». En revanche, comme le soulignait Trotsky, «la tâche du prolétariat n’est pas de défendre l’État national, mais de le liquider complètement et définitivement». [4]

Il y a un autre trait commun à ces tendances: leurs falsifications irrationnelles de l’histoire et leur rejet de la révolution d’Octobre. En fait, la falsification de l’histoire, y compris la glorification du fascisme et les attaques contre la révolution d’Octobre, joue un rôle exceptionnellement important dans cette guerre. La tâche de ce rapport sera de souligner les principes historiques qui sont à la base du projet de résolution présenté à ce Congrès et de l’opposition socialiste du CIQI à cette guerre et au régime de Poutine.

La révolution d’Octobre et la lutte trotskiste contre le stalinisme

Dans un long discours trois jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Poutine a attaqué la Révolution d’Octobre, accusant son chef, Vladimir Lénine, d’avoir «créé» l’Ukraine. L’événement auquel Poutine s’oppose si farouchement, la prise du pouvoir par la classe ouvrière sous la direction bolchevique en 1917, fut l’événement le plus progressiste de l’histoire mondiale.

Lénine et Trotsky lors d’une célébration du deuxième anniversaire de la Révolution d’Octobre

La préparation politique de la Révolution d’Octobre reposait sur trois piliers essentiels. Premièrement, la lutte de plusieurs décennies des bolcheviks, menée par Lénine, contre l’opportunisme national; deuxièmement, l’élaboration par Trotsky de la perspective de la révolution permanente; et, troisièmement, la lutte, menée à la fois par Lénine et Trotsky, pour la formation d’une nouvelle Internationale marxiste dans la lutte contre la guerre mondiale impérialiste qui commença en 1914. Lénine et Trotsky avaient reconnu très tôt que les mêmes contradictions du capitalisme mondial et l’effondrement du système d’État-nation qui avait conduit à la Première Guerre mondiale conduiraient également à la révolution sociale. Avec le déclenchement de la révolution en Russie en février 1917, selon une expression inventée par Lénine, l’impérialisme a rompu «à son maillon le plus faible».

Bien que la Russie soit entrée dans la guerre avec des objectifs impérialistes, elle restait économiquement un pays arriéré. Les relations féodales et même pré-féodales prévalaient dans une grande partie de l’Empire russe. Aucune des tâches de la révolution démocratique bourgeoise n’avait été résolue, y compris la question nationale. L’autocratie tsariste présidait un vaste État multinational. La majorité de la population appartenait à des minorités nationales qui subissaient une discrimination et une répression systématiques de la part de l’État. Cela comprenait la plus grande population juive du monde à l’époque, des millions d’Ukrainiens, ainsi que des Polonais, des Finlandais et une importante population musulmane.

Cependant, l’industrialisation rapide de la fin du 19e et du début du 20e siècle avait créé une classe ouvrière qui, bien que numériquement encore relativement petite, était très concentrée et politiquement militante. Partant d’une analyse du développement de l’économie capitaliste et de la révolution sociale à l’échelle mondiale, Trotsky a reconnu que dans un pays arriéré comme la Russie, seule la classe ouvrière pouvait résoudre les tâches de la révolution démocratique bourgeoise. Pour résoudre ces tâches et prendre le pouvoir, la classe ouvrière devrait recourir à des mesures socialistes. Dans cette perspective, il était essentiel de comprendre que le sort de la révolution en Russie serait décidé sur la scène mondiale. Ses conquêtes ne pouvaient être développées et défendues que par une extension internationale de la révolution à d’autres pays, en particulier les pays capitalistes les plus avancés d’Europe occidentale.

Dans son Histoire de la révolution russe, Trotsky résume les implications de sa théorie de la révolution permanente sur le problème des nationalités. Il a écrit:

Rien ne caractérise aussi nettement le retard historique de la Russie, si on la considère comme un pays européen, que ceci: au XXe siècle, elle a dû liquider le fermage forcé et les zones de résidence des Juifs, c’est-à-dire la barbarie du servage et du ghetto. Mais, pour résoudre ces tâches, la Russie, précisément par suite de son développement arriéré, possédait de nouvelles classes, de nouveaux partis et programmes modernes au plus haut degré. Pour en finir avec les idées et les méthodes de Raspoutine, la Russie eut besoin des idées et des méthodes de Marx… Pour obtenir l’émancipation et un relèvement culturel, les nationalités opprimées se trouvaient forcées de lier leur sort à celui de la classe ouvrière. Et pour cela il leur était indispensable de se débarrasser de la direction de leurs partis bourgeois et petits-bourgeois, c’est-à-dire de précipiter la marche de leur évolution historique.[5]

Les bourgeoisies nationales de l’Empire russe s’avérèrent non seulement tout à fait incapables de remplir ces tâches démocratiques, elles furent le véhicule de l’intervention impérialiste dans la guerre civile contre la république soviétique. Nulle part cette dynamique ne fût revêtue d’un caractère aussi net et, faut-il ajouter, violent, qu’en Ukraine.

La bourgeoisie ukrainienne vénale, grouillante de racisme et de nationalisme, devint le principal pion dans les tentatives de l’impérialisme allemand d’assujettir toute la région à l’exploitation coloniale. En 1918, l’Allemagne organisa un coup d’État à Kiev, cherchant à transformer l’Ukraine en un tremplin pour le démantèlement du pouvoir soviétique et de l’ancien Empire russe. Ce ne fut que le déclenchement de la révolution en Allemagne plus tard cette année-là, en novembre 1918, qui força le retrait de l’armée allemande d’Europe de l’Est.

Troupes allemandes à Kiev en 1918 (Domaine public)

Une autre faction de la bourgeoisie ukrainienne, dirigée par Symon Petliura, collabora avec la bourgeoisie polonaise dans son invasion de l’Ukraine soviétique en 1920 et s’est surtout fait connaître pour avoir lancé certains des pogroms anti-juifs les plus violents de la guerre civile. Les vétérans de l’armée de Petlioura formeront plus tard l’Organisation fasciste des nationalistes ukrainiens.

L’établissement du pouvoir soviétique, en particulier en Ukraine, dépendait de manière cruciale d’une politique correcte des bolcheviks sur la question nationale. Dans son programme de 1919, le Parti communiste russe résumait ses principes politiques sur la question nationale:

1. La pierre angulaire de notre politique est de rassembler les prolétaires et semi-prolétaires de différentes nationalités dans une lutte révolutionnaire commune pour renverser les propriétaires terriens et la bourgeoisie.

2. La méfiance des masses laborieuses des pays opprimés envers le prolétariat des États qui opprimaient autrefois ces pays doit être surmontée. Pour cela, il est nécessaire d’abolir tous les privilèges dont bénéficie un groupe national quelconque. L’égalité complète des droits de toutes les nationalités doit être établie et le droit des colonies et des nations dépendantes à se séparer doit être reconnu.

3. À cette fin, le parti propose une fédération d’États organisés selon les lignes soviétiques comme l’une des formes transitoires sur la voie de l’unité complète. … [6]

Au début de 1922, les gains de la Révolution d’Octobre avaient été étendus à de grandes parties de l’ancien Empire russe.

Les armées contre-révolutionnaires soutenues par l’impérialisme avaient été vaincues. L’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) fut proclamée le 30 décembre 1922.

Ses frontières avaient été déterminées, d’une part, par le déroulement de cette guerre civile, et, d’autre part, par le retard de la révolution mondiale, qui fut surtout le résultat de la trahison monumentale de la social-démocratie allemande en 1918-1919. Cet isolement international a généré d’immenses pressions sociales et politiques sur l’État ouvrier naissant et le Parti bolchevique, et a créé les conditions pour la croissance d’une bureaucratie.

Les frontières de l’Union soviétique des républiques socialistes telle qu’elle a été constituée le 30 décembre 1922 [Photo: WSWS]

Cela explique pourquoi la formation même de l’URSS s’est accompagnée d’un conflit de plus en plus âpre entre la tendance marxiste internationaliste, représentée par Lénine et Trotsky, et la faction nationaliste autour de Joseph Staline, qui défendait les intérêts de la bureaucratie naissante. En fait, c’est sur la formation de l’URSS et la «question nationale» que Lénine a lancé sa «dernière lutte» contre Staline et l’appareil bureaucratique – en alliance avec Trotsky – il y a presque exactement un siècle.

Pour Staline, la brute chauvine, «l’unité» de la fédération soviétique signifiait la subordination incontestée des minorités ethniques et nationales de l’union à la République soviétique de Russie et à l’appareil bureaucratique central. Dans une lettre à Lénine du 22 septembre 1922, Staline exigea la subordination économique et politique complète des républiques soviétiques d’Ukraine, du Caucase et d’autres régions à l’appareil central de Moscou.

Dans la formulation peut-être la plus révélatrice, Staline a écrit: «La jeune génération de communistes dans les régions frontalières refuse de comprendre [notre] jeu avec l’indépendance comme un jeu.» La guerre civile avait forcé Moscou à faire preuve de «libéralisme» envers les nationalités opprimées, mais maintenant, insistait Staline, cela devait cesser. En d’autres termes, pour Staline, le principe d’autodétermination nationale défendu par les bolcheviks à l’époque n’était qu’un «jeu», conçu pour amener les masses opprimées à soutenir le bolchevisme et l’État soviétique. [7]

Vladimir Lénine

Contre l’opposition de Staline, Lénine a insisté sur le principe de l’égalité de toutes les nationalités de l’union et le droit à la sécession pour toutes les républiques nationales, y compris l’Ukraine soviétique et la Géorgie soviétique. Il proposa des changements majeurs au projet de constitution de l’Union soviétique que Staline avait préparé pour faire respecter les principes énoncés dans le programme du parti de 1919 comme base constitutionnelle de l’Union soviétique. En conséquence, le principe d’autodétermination fut protégé, y compris le droit de se séparer de l’union pour toutes les républiques nationales. Aucune autre fédération dans l’histoire du monde n’avait accordé des droits aussi vastes à ses différentes parties constituantes.

Alors que Staline et d’autres dirigeants bolcheviques qui soutenaient de fait ses positions cédèrent à l’autorité de Lénine, ces divergences politiques restèrent une affaire contentieuse. Elles étaient un signe avant-coureur aigüe de la consolidation de tendances au sein du Parti bolchevique qui représentaient de couches sociales fondamentalement différentes. Lénine gravement malade et alité, ce furent les futurs dirigeants de l’Opposition de gauche, Léon Trotsky et Christian Rakovsky (l’ancien chef de la république soviétique d’Ukraine), qui relevèrent la tâche de la défense des principes bolcheviques sur la question nationale au 12e Congrès du Parti en avril 1923.

Rakovsky avec Trotsky en 1924 (Domaine public)

Le rôle central de Trotsky et Rakovsky dans cette lutte n’était pas une coïncidence: l’enjeu du conflit sur la question nationale était les deux questions qui continueraient d’être au centre de la lutte contre le stalinisme pour les décennies à venir: la lutte pour le l’unité internationale de la classe ouvrière et des masses opprimées, et la perspective de la révolution permanente.

En octobre 1923, l’Opposition de gauche se forma sous la direction de Léon Trotsky. À ce moment-là, les marxistes internationalistes étaient devenus une minorité dans la direction bolchevique. Le conflit qui s’ensuivit dans les années à venir englobait pratiquement tous les aspects de la politique intérieure soviétique – y compris les politiques économiques et la démocratie au sein du parti – ainsi que la stratégie et les politiques de l’Internationale communiste.

Sur la question nationale, l’Opposition de gauche a défendu les principes du bolchevisme contre l’appareil bureaucratique. Dans sa plate-forme de 1927, l’Opposition unie de gauche dénonçait «le bureaucratisme, soutenu par l’esprit de chauvinisme de grande puissance» qui avait «réussi à transformer la centralisation soviétique en une source de querelles quant à la répartition des postes officiels à pourvoir entre les nationalités». [8]

Le soutien de la classe ouvrière et de la jeunesse à l’opposition était particulièrement fort dans les centres industriels de l’Ukraine soviétique et de la Géorgie soviétique. Dans la région industrielle de Kharkov en Ukraine, l’Opposition de gauche avait des représentants dans chaque quatrième cellule du parti d’usine et chaque troisième cellule du parti des jeunes en 1927. [9] Cependant, ces chiffres ne sont qu’une mesure très limitée de l’influence de l’opposition. Dans une indication de la conscience populaire profondément enracinée du rôle de Trotsky dans la révolution, un ouvrier ukrainien, qui n’était pas membre du parti, proposa au conseil municipal de Kiev en mai 1926 que Kiev soit rebaptisée «Trotskiev». Il a écrit: «En tant que Trotskiev, le nom de la ville parlera du grand travail révolutionnaire accompli par le camarade Trotsky en Ukraine dans les années de la lutte des classes la plus cruelle […]» [10]

De nombreuses figures de proue de l’Opposition de gauche venaient également de ce qui est aujourd’hui l’Ukraine. Cela inclut, bien sûr, Trotsky lui-même, mais aussi Boris Eltsine, un vieux bolchevik, né près de Kiev qui devint secrétaire général de l’Opposition de gauche à la fin des années 1920.

Il faut souligner que la majorité de l’Opposition de gauche n’a pas capitulé devant le stalinisme et a poursuivi la lutte jusque dans les années 1930. Si leurs noms sont à ce jour inconnus de la classe ouvrière de Russie et du monde, c’est à cause de l’impact considérable de la Grande Terreur stalinienne et des efforts de plusieurs décennies pour censurer la vérité historique sur la révolution de 1917 et l’opposition marxiste au stalinisme. En fait, bon nombre des documents politiques les plus importants de l’opposition en Union soviétique des années 1930 n’ont été retrouvés qu’en 2018, soit 80 ans après l’apogée de la Grande Terreur. [11] Ils ne laissent aucun doute sur le fait que les trotskistes soviétiques ont continué à mener une lutte politique consciente et active contre le stalinisme, malgré les conditions extrêmement difficiles en Union soviétique des années 1930.

Les dirigeants exilés de l’Opposition de gauche soviétique en 1928, dont Viktor Eltsine (en haut à droite) et Igor Poznanskii (au milieu à gauche). MS Russ 13 (T 1086). Houghton Library, Université Harvard, Cambridge, Massachusetts. [Photo: WSWS] [Photo: MS Russ 13 (T 1086), Houghton Library, Harvard University, Cambridge, Massachusetts]

La clarification des leçons de la défaite de la révolution chinoise de 1926-1927 et le caractère contre-révolutionnaire du programme stalinien du «socialisme dans un seul pays» étaient essentiels à la survie politique et à la force de l’opposition soviétique à cette époque. Ces leçons ont été le plus clairement articulées dans la critique de Trotsky du projet de programme de 1928 de l’Internationale communiste, également connue sous le nom de Troisième Internationale après Lénine. Dans ce document – qui à ce jour est fondamental pour le mouvement trotskiste – Trotsky écrit:

À notre époque, qui est l’époque de l’impérialisme, c’est-à-dire de l’économie mondiale et de la politique mondiale dirigées par le capitalisme, pas un seul Parti communiste ne peut élaborer son programme en tenant essentiellement compte, à un plus ou moins haut degré, des conditions et tendances de son développement national […] À l’époque actuelle, beaucoup plus que par le passé, l’orientation nationale du prolétariat ne doit et ne peut découler que d’une orientation mondiale et non l’inverse. C’est là que réside la différence fondamentale et primordiale entre l’internationalisme communiste et toutes les variétés de socialisme national. [12]

Malgré la bureaucratisation croissante de l’État soviétique et du parti, la politique sur les nationalités de l’Union soviétique dans les années 1920 portait à certains égards l’empreinte de Lénine. Dans les écoles, les enfants et les jeunes soviétiques recevaient des instructions dans leur langue maternelle. L’État a parrainé des publications dans des dizaines de langues, dont le yiddish et l’ukrainien. Des dizaines de millions de paysans de toutes nationalités ont appris à lire et à écrire en moins d’une génération, et dans leur langue maternelle. Il s’agissait de ces mêmes politiques profondément progressistes que Poutine avait à l’esprit lorsqu’il a condamné Lénine et l’Union soviétique pour avoir «créé» l’Ukraine.

Mais ces politiques ont radicalement changé après l’expulsion de l’Opposition de gauche du parti en décembre 1927 et l’expulsion de Trotsky de l’URSS en 1929. Dans les années 1930, la russification obligatoire devint la politique de l’État. Mais le plus gros coup arriva avec la Grande Terreur. Entre 1936 et le début des années 1940, la bureaucratie massacra la direction du parti bolchevique, des milliers de trotskistes, qui n’avaient jamais capitulé devant le stalinisme, et des générations de travailleurs et d’intellectuels socialistes. Ce génocide politique des marxistes révolutionnaires culmina avec l’assassinat de Léon Trotsky lui-même au Mexique en 1940.

La terreur a pris des dimensions particulièrement féroces dans les républiques nationales, et particulièrement en Ukraine soviétique où le NKVD fixa des quotas de tuerie plus élevés que partout ailleurs. De plus, dans le cadre des soi-disant «opérations nationales» du NKVD, des dizaines de milliers de membres du parti et de civils furent arrêtés, souvent uniquement à cause de leurs noms de famille à consonance allemande ou polonaise.

Comme Vadim Rogovin l’a souligné dans son étude critique, Le génocide politique en URSS, une grande partie des cadres de l’Internationale communiste a été assassinée, y compris des communistes d’Allemagne, de Hongrie, de Pologne, de Roumanie, de Chine, de Corée et de nombreux autres pays. Une autre vague de purges dans la période d’après-guerre a pris un caractère encore plus ouvertement nationaliste et antisémite. La base essentielle de cette prolifération du nationalisme grand-russe et de la xénophobie pure et simple résidait dans la trahison nationaliste de la révolution.

Malgré ces crimes, cependant, le mouvement trotskiste continua à défendre l’Union soviétique contre l’impérialisme. En opposition à une faction petite-bourgeoise au sein du Socialist Workers Party (SWP) américain en 1939-1940, Trotsky insista sur le fait que l’évaluation de l’Union soviétique devait être fondée sur une analyse historique et de classe de ses origines. L’État soviétique avait subi une horrible dégénérescence sous le régime bureaucratique, mais les conquêtes centrales de la révolution d’Octobre – y compris la nationalisation de la majeure partie de l’industrie par l’État ouvrier pendant la guerre civile, le monopole d’État sur le commerce extérieur et l’établissement des premiers éléments de la planification économique – n’avaient pas encore été renversées.

C’était le devoir des ouvriers ayant une conscience de classe de défendre l’État ouvrier contre l’agression impérialiste. Cette ligne politique n’accordait pas le moindre soutien au Kremlin. Depuis la Révolution trahie de Trotsky en 1936, le mouvement trotskiste avait appelé la classe ouvrière soviétique à défendre les conquêtes d’Octobre en renversant la bureaucratie dans une révolution politique. Sans une telle révolution politique et l’extension internationale d’Octobre, Trotsky prévoyait que la bureaucratie serait éventuellement poussée à réintégrer l’économie soviétique dans le système capitaliste mondial en restaurant le capitalisme, en détruisant l’État ouvrier et en se transformant en une nouvelle classe dirigeante.

La réponse du CIQI à la dissolution de l’Union soviétique

Cet avertissement a été confirmé. En décembre 1991, la bureaucratie stalinienne a accompli ce que les nazis et leurs alliés fascistes en Ukraine et dans toute l’Europe de l’Est n’avaient pas réussi à faire pendant la Seconde Guerre mondiale: elle a détruit l’Union soviétique. Le Comité international n’a pas été pris au dépourvu par cette évolution. La lutte menée par le CIQI contre la dégénérescence pabliste du Workers Revolutionary Party (WRP) britannique en 1982-1986 avait été basée sur la défense de toute l’histoire et de l’héritage politique du mouvement trotskiste et sa lutte contre le stalinisme et le pablisme.

La scission d’avec le WRP en 1985-1986 a jeté les bases d’une renaissance du marxisme au sein du CIQI et a permis au mouvement trotskiste d’intervenir puissamment dans la crise du stalinisme. En 1989-1991, des délégués du CIQI se sont rendus en Union soviétique. Il s’agissait des premières visites de représentants du mouvement trotskiste en Union soviétique depuis le génocide politique de la Grande Terreur, un demi-siècle plus tôt. Le camarade David North a donné des conférences auxquelles ont assisté des centaines de personnes à Moscou et à Kiev et a mené une correspondance avec des centaines de travailleurs et de jeunes, en particulier de Russie soviétique et d’Ukraine soviétique. Le Bulletin enlangue russe du CIQI a largement circulé et a servi de base pour établir des contacts avec l’historien soviétique Vadim Rogovin qui avait longtemps travaillé dans l’isolement politique sur une histoire de l’Opposition de gauche.

À l’occasion du 30e anniversaire de la dissolution de l’Union soviétique en décembre dernier, le WSWS a mis à disposition nombre de ces documents, dont certains pour la première fois, dans une importante exposition. Leur prescience est saisissante, et je vous invite tous à examiner attentivement ces documents. Ils restent essentiels pour l’orientation du parti et l’éducation d’une nouvelle couche de travailleurs révolutionnaires. Je ne citerai qu’un seul discours que le camarade North a prononcé à Kiev, un peu plus de deux mois avant la liquidation de l’Union soviétique et la création de nouveaux États-nations rivaux à sa place. Il a dit:

Déclarer leur «indépendance» vis-à-vis de Moscou, les nationalistes ne peuvent rien faire de plus que de remettre toutes les décisions vitales concernant l’avenir de leurs nouveaux États entre les mains de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la France, du Japon et des États-Unis. […] Le retour au capitalisme, dont l’agitation chauvine des nationalistes n’est qu’une apparence, ne peut que conduire à une nouvelle forme d’oppression. Au lieu que chacune des nationalités soviétiques s’approche des impérialistes séparément, la tête baissée et les genoux pliés, implorant aumônes et faveurs, les travailleurs soviétiques de toutes les nationalités devraient forger une nouvelle relation, basée sur les principes de l’égalité sociale réelle et de la démocratie, et sur cette base entreprendre la défense révolutionnaire de tout ce qui vaut la peine d’être préservé de l’héritage de 1917. [13]

Une génération plus tard, c’est presque un cliché d’affirmer que la restauration du capitalisme a entraîné une catastrophe socio-économique. Dans l’ex-Union soviétique, les indices des inégalités sociales, les maladies telles que le VIH ou la tuberculose, ainsi que les suicides, sont parmi les pires au monde.

Nombre de cas estimés en % du VIH chez les jeunes adultes (15-49 ans) par pays en 2011 (Domaine public)

La pandémie de COVID-19 a révélé à la fois l’indifférence meurtrière des oligarques à l’égard de la vie des travailleurs et les conséquences dévastatrices de la destruction du système de santé soviétique. Selon un décompte de la surmortalité par The Economist, plus de 1,2 million de personnes ont été victimes de la politique de meurtre social rien qu’en Russie. Sur les 10 pays répertoriés par The Economist comme ayant les chiffres les plus élevés de surmortalité par habitant pendant la pandémie, neuf avaient subi une restauration capitaliste dans les années 1980 et 1990. Sur le plan international, la destruction de l’Union soviétique a été marquée par une escalade de la contre-révolution sociale et l’explosion du militarisme américain.

Le CIQI n’a jamais nié que la dissolution de l’Union soviétique représentait une défaite et un revers pour la classe ouvrière au niveau international. Cependant, contrairement aux pablistes qui s’étaient accommodés du stalinisme et, en fait, avaient soutenu la restauration du capitalisme, le Comité international ne considérait pas 1991 comme la «fin du socialisme». Au contraire, cela confirmait, même si c’était dans la négative, la lutte de plusieurs décennies du mouvement trotskiste contre la politique nationaliste du stalinisme.

La mondialisation de la production avait sapé la base de toutes les organisations et bureaucraties nationales, précipitant leur capitulation totale devant l’impérialisme et, dans le cas des syndicats, leur intégration dans l’appareil d’État et la direction des sociétés.

L’effondrement des bureaucraties et des organisations qui avaient enchaîné et trahi la classe ouvrière pendant des générations a marqué le début d’une nouvelle période de guerres impérialistes et une nouvelle étape dans le développement de la révolution socialiste dans laquelle le mouvement trotskiste jouerait le rôle principal. Afin de rétablir la conscience marxiste dans la classe ouvrière et de préparer un nouvel essor de la révolution socialiste, le CIQI a fait de la défense de la vérité historique sur l’histoire de la révolution d’Octobre, de Léon Trotsky et du mouvement trotskiste dans son ensemble une composante centrale de son travail. Le XXe siècle, insista le CIQI, ne s’était pas achevé avec la dissolution de l’Union soviétique. Au contraire, il restait inachevé et ses problèmes non résolus – inégalités sociales, guerre et fascisme – allaient façonner le monde à l’entrée du XXIe siècle.

L’assaut impérialiste contre la Russie et le caractère du régime de Poutine

Suite à l’invasion américaine de janvier 1991 et au bombardement brutal de l’Irak, le CIQI a convoqué la Conférence des travailleurs contre la guerre impérialiste et le colonialisme à Berlin. Dans son manifeste, le CIQI concluait:

Toutes les grandes tâches historiques et politiques auxquelles étaient confrontées la classe ouvrière et les masses opprimées au début du XXe siècle sont désormais posées dans leur forme la plus rude. Le bombardement brutal de l’Irak et la destruction quasi totale de son infrastructure industrielle marquent le début d’une nouvelle éruption de barbarie impérialiste. Le capitalisme ne peut pas survivre sans asservir et détruire des millions de personnes… [14]

Il est important de rappeler que la bureaucratie soviétique, dans son dernier acte de trahison avant de détruire l’URSS, a apporté son soutien à cette guerre impérialiste de pillage qui s’est avérée être le début de trois décennies de guerres impérialistes au Moyen-Orient et en Afrique, le prélude historique sanglant de l’assaut impérialiste en cours contre la Russie et la Chine. L’oligarchie russe a hérité de la croyance délirante de la bureaucratie stalinienne en la possibilité d’une «coexistence pacifique» et d’un règlement négocié avec l’impérialisme. Comme Poutine lui-même l’a admis juste avant de lancer l’invasion, il avait même demandé personnellement, à la fin des années 1990, au président américain Clinton si les États-Unis soutiendraient l’adhésion de la Russie à l’OTAN en 1998. Bien sûr, la réponse des États-Unis était une fin de non-recevoir.

Par une combinaison d’expansion de l’OTAN, de coups d’État à ses frontières et d’interventions militaires dans des pays alliés à la Russie et à la Chine, les puissances impérialistes ont systématiquement et sans relâche encerclé la Russie. Cette explosion du militarisme américain et son analyse par le CIQI ont été examinées dans le rapport essentiel du camarade André Damon. [15]

Un bâtiment gouvernemental brûle lors d’un bombardement intensif de Bagdad, en Irak, par les forces américaines, le vendredi soir 21 mars 2003 [AP Photo/Jerome Delay] [AP Photo/Jerome Delay]

En effet, si l’on passe en revue l’histoire des guerres menées par l’impérialisme américain au cours des trente dernières années (article en anglais), la guerre en cours pour le partage de la Russie et de la Chine apparaît comme une fatalité brutale. Malgré la réintégration de ces pays dans le système capitaliste mondial, les puissances impérialistes ont été empêchées par les régimes oligarchiques au pouvoir de piller directement leurs vastes ressources. Se disputant ces ressources entre eux et poussés par des crises intérieures insolubles, ils sont désormais résolus à changer cela.

Au point 2, le projet de résolution décrit les objectifs fondamentaux de la guerre américaine contre la Russie comme suit: «le renversement du régime actuel en Russie, son remplacement par une marionnette contrôlée par les Américains et l’éclatement de la Russie elle-même – dans ce que certains appellent l’opération de «décoloniser la Russie» – en une douzaine ou plus de petits États impuissants dont les précieuses ressources seront détenues et exploitées par le capital financier américain et européen.» Ce passage est central pour comprendre à la fois le conflit en cours et la politique de la pseudo-gauche pro-OTAN et leur insistance sur le fait que la Russie soit un «pays impérialiste».

Dans sa polémique contre l’affirmation de Shachtman et Burnham en 1939-1940 selon laquelle l’Union soviétique n’était plus un État ouvrier, Trotsky a souligné l’appel de la Quatrième Internationale au renversement de la bureaucratie et a demandé quelles nouvelles conclusions politiques découleraient des définitions proposées par Shachtman et Burnham. [16]

De même, on pourrait se demander: qu’y a-t-il politiquement à gagner à prétendre que la Russie est un pays impérialiste? Le CIQI a clairement exprimé son opposition révolutionnaire au régime de Poutine et à sa guerre, et d’un point de vue socio-économique, cette affirmation n’a guère de sens. La Russie a une économie de taille égale à celle du Texas – maintenant encore moins en raison de l’énorme impact des sanctions économiques – et fonctionne effectivement comme un fournisseur de matières premières pour les autres pays capitalistes.

Mais l’affirmation selon laquelle la Russie est «impérialiste» remplit une fonction politique vitale: elle fournit une couverture politique à l’agression impérialiste contre la Russie et aux objectifs de guerre des puissances impérialistes. Cela a été mis en évidence par un webinaire pour les membres du Congrès organisé le 23 juin sous le titre «Décoloniser la Russie». Le webinaire, composé d’agents de la CIA et de nationalistes de droite d’Ukraine et du Caucase, a effectivement fait valoir que la Russie était un empire colonial qui devait être démantelé avec le soutien de Washington. Lorsque le modérateur a demandé: «La décolonisation impliquerait-elle le morcellement de la Russie? Et si oui, y a-t-il des risques associés à cela?», personne ne pouvait donner de réponse, car la seule réponse était, bien sûr: Oui.

C’est cette stratégie que la pseudo-gauche pro-OTAN couvre avec ses clameurs sur «l’impérialisme russe». L’entretien des tensions nationalistes, régionalistes et ethniques est un élément clé de la politique de guerre impérialiste depuis des décennies. Il a été utilisé systématiquement lors de l’éclatement et du bombardement de la Yougoslavie dans les années 1990. Il convient de rappeler que le renégat du WRP Cliff Slaughter et les restes du WRP avaient anticipé le virage vers l’extrême droite des ex-pablistes lorsqu’ils accordèrent un soutien politique et logistique total à l’opération de l’OTAN en Yougoslavie et soutinrent les adhérents modernes du parti fasciste Oustachi en Croatie. Ce brusque virage à droite des pablistes a été longuement analysé par le CIQI dans plusieurs documents essentiels des années 1990, dont Marxism, Opportunism and the Balkan Crisis. [17]

Avec la scission du WRP en 1985-1986, le CIQI s’était engagé dans la trajectoire de classe opposée. La révision de la position sur le droit des nations à l’autodétermination était une conséquence de cette lutte et un élément essentiel de la réponse du CIQI à l’explosion du militarisme américain au lendemain de 1991.

Dans une conférence de 2019, «La dissolution de l’URSS et le moment unipolaire de l’impérialisme américain», le camarade Bill Van Auken a expliqué que « […] le développement de la mondialisation capitaliste a donné naissance à un nouveau type de mouvement nationaliste». Ces mouvements «étaient à l’opposé extrême des mouvements nationaux antérieurs […] qui posaient la tâche progressiste de créer de nouveaux États en unifiant des peuples disparates dans une lutte commune contre l’impérialisme. […] Les mouvements nationalistes qui ont émergé à la fin du XXe siècle ont plutôt cherché à briser les États existants selon des critères ethniques, religieux et linguistiques avec l’aide de l’impérialisme». [18]

Nous défendons cette position à l’égard de l’ex-Union soviétique aujourd’hui. La restauration du capitalisme n’a pas seulement été liée à l’éclatement de l’URSS en États-nations, mais a également déclenché de puissantes forces centrifuges au sein de la nouvelle classe dirigeante russe. Les ressources naturelles de la Russie sont une source centrale d’auto-enrichissement de l’oligarchie mais leur répartition régionale est très inégale. La rivalité au sein de l’oligarchie pour le contrôle de ces ressources a été un élément central des frictions entre les élites régionales et des tensions entre ces élites régionales et le gouvernement central de Moscou. Dans les années 1990, la poursuite de l’éclatement de la Fédération de Russie a été considérée comme une possibilité très réelle par les groupes de réflexion du monde entier. Une caractéristique centrale de la politique intérieure de Poutine depuis 2000 a été de «discipliner» les élites régionales, de les subordonner à Moscou et de renforcer l’appareil d’État central.

«L’opposition libérale», mal nommée et soutenue par l’impérialisme, qui organise maintenant des «manifestations anti-guerre» sous les acclamations de la presse bourgeoise occidentale, parle au nom d’une faction de l’oligarchie qui espère que, par un éclatement de la Fédération de Russie de sa forme actuelle, et un alignement direct sur l’OTAN, elle sera en mesure d’exploiter plus directement la classe ouvrière et les ressources de la Russie. Leur principal porte-parole, Alexei Navalny, n’a pas seulement des liens étroits avec Washington et Berlin, c’est aussi un raciste déclaré qui a participé à des rassemblements d’extrême droite et entretient des relations politiques avec des tendances séparatistes et régionalistes dans toute la Fédération de Russie.

Ces tendances, ainsi qu’une couche étroite de la classe moyenne supérieure qui a profité de la restauration capitaliste et des sections de l’armée et des services secrets, forment la base sociale de l’opération de changement de régime par les puissances impérialistes. Alors qu’elles prétendent s’opposer à la guerre en Ukraine, elles soutiennent en fait l’autre camp belligérant, l’OTAN. Et loin de la «paix», leur programme politique impliquerait le dépeçage de la Russie dirigé par les impérialistes, un processus qui entraînera inévitablement une série de guerres et de guerres civiles.

Bien sûr, le régime de Poutine est tout à fait conscient de ces plans de démantèlement de la Russie. En effet, Poutine a publiquement mis en garde contre une répétition du scénario yougoslave en Russie deux mois seulement avant de lancer l’invasion de l’Ukraine. Depuis, il a réitéré à plusieurs reprises ces avertissements.

Mais son régime lui-même défend les mêmes intérêts de classe que Navalny et «l’opposition libérale». L’oligarchie russe dans son ensemble n’a jamais eu et ne pourra jamais avoir d’indépendance vis-à-vis de l’impérialisme. Quels que soient les âpres conflits de politique étrangère au sein de cette classe, celle-ci est fondamentalement orientée vers la recherche d’un règlement négocié avec l’une ou l’autre puissance impérialiste. Issus d’une contre-révolution contre Octobre 1917, les oligarques sont très conscients du fait que leur principal ennemi est la classe ouvrière internationale.

En effet, la promotion par le régime de Poutine de l’héritage du tsarisme et du stalinisme, du point de vue de l’oligarchie, est une articulation consciente et précise des traditions contre-révolutionnaires dont il est historiquement issu. Il faut également souligner que, tout comme les menaces grandissantes de déploiement d’armes nucléaires par le régime Poutine, sa promotion du chauvinisme grand-russe ne peut servir qu’à promouvoir les objectifs des puissances impérialistes tout en semant la confusion et en divisant la classe ouvrière.

Conclusion

Les dangers de la guerre en cours sont incalculables et le WSWS a soulevé et doit soulever ces dangers, jusqu’à la menace très réelle d’anéantissement nucléaire, devant la classe ouvrière mondiale. Mais il y a aussi un autre aspect à cette évolution.

Comme en 1917, les mêmes contradictions qui conduisent à la guerre mondiale conduiront inévitablement à la révolution sociale. C’est une loi historique. Déjà, la classe ouvrière internationale a commencé à relever la tête. Les vieux piliers politiques de l’impérialisme – du stalinisme aux syndicats et à l’ex-gauche petite-bourgeoise – se sont effondrés. Notre bilan de la cinquième étape de l’histoire du mouvement trotskiste marque une reconnaissance du fait que la période qui a été lancée avec la réaction stalinienne contre Octobre et qui a forcé le relatif isolement du mouvement trotskiste est arrivée à son terme. Au cours des quatre étapes précédentes, depuis 1923, le mouvement trotskiste s’est forgé en tant que parti mondial de la révolution socialiste dans la lutte de plusieurs décennies contre le stalinisme et l’opportunisme petit-bourgeois.

Cette lutte a préparé la transformation profonde et objective des relations entre la Quatrième Internationale et la classe ouvrière qui est maintenant en cours. Elle a placé le CIQI dans une position au Sri Lanka où il peut intervenir puissamment et diriger la lutte des masses opprimées de cette île dans la prise du pouvoir; il a créé la base pour les formations de sections du CIQI en Turquie, au Brésil et dans le monde, ainsi que la vaste expansion de ses sections existantes. Il a également créé les fondements politiques et théoriques de la construction du mouvement trotskiste dans l’ex-Union soviétique et en Chine, les cibles les plus immédiates du redécoupage impérialiste du monde.

Je voudrais conclure en invitant vivement les camarades à voter en faveur du projet de résolution présenté à ce Congrès. Il articule clairement la ligne politique sur la base de laquelle la classe ouvrière américaine, en lutte dans le centre de l’impérialisme mondial, peut être unifiée avec ses frères et sœurs de classe à travers l’Europe, la Russie et l’Asie, dans une lutte socialiste contre la guerre impérialiste, le capitalisme et le système d’État-nations.

[1] Non à l’invasion de l’Ukraine par le gouvernement Poutine et au bellicisme des États-Unis et l’OTAN! Pour l’unité des travailleurs russes et ukrainiens!

Déclaration du Comité international de la Quatrième internationale

[2] Sur le rôle de Michael-Matsas dans la scission avec le WRP en 1985–1986, voir: David North: “The Demise of Savas Michael’s ‘New Era,’” 11 août 1989. Pour une analyse de l’OKP de Daria Mitina et son alliance avec Michael-Matsas, voir: Bill Van Auken, Eric London: “Workers Party in Argentina seeks to “refound” Fourth International in alliance with Stalinism,” WSWS, 7 juin 2018.

[3] Cette déclaration de Sungur Savran du DIP turc fut mentionnée par Daria Mitina sur son blogue le 22 mai 2022.

[4] Léon Trotsky, La guerre et la IVe Internationale (1934).

[5] Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, Ch. 40: «La question nationale»

[6] “Program of the Russian Communist Party (Bolsheviks)”, in: The German Revolution and the Debate on Soviet Power. Documents: 1918–1919, Preparing the Founding Congress, édité par John Riddell, Pathfinder Press 1986, p. 634.

[7] Lettre de Joseph Stalin à Vladimir Lénine du 22 septembre 1922 dans: Izvestiia TsK KPSS, 1989, No. 9, p. 199.

[8] Platform of the Joint Opposition (1927). Chapter 6: “The National Question.”

[9] Rapport de l’OGPU sur les activités de l’Opposition de gauche dans la région de Kharkov, adressé à Ivan Tovstukha, le secrétaire de Joseph Staline, 3 août 1927. RGASPI (Archives de l’État de Russie sur l’histoire sociopolitique), f. 17, op. 171, delo 31, p. 45.

[10] Pis’mo neizvestnogo rabochego v Kievskii gorsovet, 1 maia 1926 goda [Lettre d’un travailleur inconnu au conseil municipal de Kiev, le 1er mai 1926], dans: Pis’ma vo vlast’. 1917–1927: Zaiavleniia, zhaloby, donosy, pis’ma v gosudarstvennye struktury i bol’shevistskim vozhdiam [Lettres au gouvernement. 1917–1927: Déclarations, plaintes, dénonciations, lettres aux institutions d’État et aux dirigeants bolcheviks], Moscou: ROSSPEN 1998, p. 503.

[11] Pour en apprendre davantage sur la découverte de ces documents, voir: Clara Weiss, Vladimir Volkov: «Découverte historique de manuscrits de l'Opposition de gauche du début des années 1930», WSWS, 1er septembre 2018.

[12] Léon Trotsky, L’Internationale communiste après Lénine. Critique du programme de l’Internationale communiste (1928).

[13] David North, “After the August Putsch: Soviet Union at the Crossroads,” 3 octobre 1991.

[14] Comité international de la Quatrième Internationale, “Oppose Imperialist War and Colonialism!” 1er mai1991.

[15] Andre Damon: “America’s “New World Order”— The historical and social roots of US plans for war with Russia and China,” WSWS, 21 septembre 2022.

[16] Léon Trotsky, «L’URSS dans la guerre» (25 septembre 1939), dans: Défense du marxisme.

[17] Comité international de la Quatrième Internationale, “Marxism, Opportunism and the Balkan Crisis,” 7 mai 1994.

[18] Bill Van Auken, “La dissolution de l'URSS et le moment unipolaire de l'impérialisme américain”, conférence donnée à l’université d’été 2019 du PES américain, 25 octobre 2019.

(Article paru en anglais le 17 octobre 2022)

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