À la veille des élections provinciales, Québec solidaire courtise la grande entreprise

Quelques jours avant les élections provinciales du 3 octobre, Gabriel Nadeau-Dubois, principal dirigeant de Québec solidaire (QS), a été invité à donner une allocution à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), un lobby qui représente la grande entreprise québécoise.

L'ex-leader étudiant a saisi l’occasion pour atténuer, sinon effacer, l’image «de gauche» exagérée que traîne QS à cause des timides réformes sociales que le parti préconisait à ses débuts, mais qu’il a depuis largement mises au rancart. Si la posture «contestataire» de QS lui servait jusqu’ici à étouffer l’opposition sociale en faisant renaître le programme discrédité du séparatisme québécois, la direction du parti la juge aujourd’hui nuisible à ses efforts pour jouer un rôle encore plus important dans la politique de l’establishment dirigeant.

Nadeau-Dubois a profité de son apparition devant le CCMM pour rassurer son auditoire que QS est un parti «responsable», pleinement voué à la défense des profits, et un aspirant légitime au rôle d’opposition officielle dans le prochain parlement québécois.

Gabriel Nadeau-Dubois en 2020 (source: Wikipedia) [Photo: (Wikipedia) ]

Selon des reportages parus dans la presse, le dirigeant de QS a dit aux participants que «la vraie question économique» concerne «les risques de ne pas agir assez rapidement – les risques de la passivité climatique».

Derrière un discours «pro-environnement», l'objectif central de Québec solidaire est de faire de la province un «leader mondial» dans le domaine lucratif des «énergies vertes». On peut lire sur son site internet qu’il s’engage à «réaliser des investissements stratégiques dans deux secteurs clés de la transition écologique: la biomasse forestière résiduelle et la filière batterie».

Dans un tweet publié après son allocution devant le gratin des patrons de Montréal, Nadeau-Dubois dit «merci à la @chambremontreal pour l’invitation et l’occasion de discuter de notre vision économique». Il explique que «le cœur de notre campagne, c’est la lutte aux changements climatiques: on doit investir pour accélérer la transition écologique».

Avec son discours «écologique», QS cherche à masquer les intérêts de l’élite québécoise des affaires qu’il propose de mieux préserver en misant sur une forte croissante du marché mondial des énergies renouvelables. Son argumentaire est que le Québec est bien positionné pour réussir sur ce marché prometteur grâce à ses ressources naturelles, ses réserves de lithium (composant essentiel de la batterie électrique moderne), son vaste réseau fluvial et son expertise en matière d’hydro-électricité. Sur cet aspect économique vital, déguisé en souci pour l’environnement, son programme recoupe à bien des égards celui du Parti québécois (PQ) et des Libéraux.

Ce programme de «capitalisme vert» a été bien reçu par le CCMM. Après une critique polie des hausses d'impôts dérisoires proposées par QS (comme celle de 0,1 pour cent sur les actifs de plus de 1 million de dollars), le président du CCMM, Michel Leblanc, a accueilli ses propositions en déclarant: «votre message au niveau des défis et probablement des solutions parlent dans le milieu des affaires».

Après la rencontre du chef de QS avec le CCMM, Le Devoir, un quotidien proche des milieux nationalistes québécois, titrait avec satisfaction: «Gabriel Nadeau-Dubois: de la rue à la table d'honneur de la chambre de commerce».

Fait encore plus révélateur, QS a reçu les éloges de Mario Dumont, devenu chroniqueur au Journal de Montréal – le quotidien populiste de droite du richissime homme d’affaires Pierre Karl Péladeau – après avoir joué un rôle clé en 2006-2007, comme chef de l'Action démocratique du Québec (ADQ), dans une virulente agitation contre les minorités religieuses. Dumont a salué la direction de QS pour son «sérieux» et sa capacité à tenir en laisse son «extrême gauche».

Ces propos élogieux envers QS sont émis par les représentants d’une classe dirigeante québécoise qui a passé les dernières décennies à couper massivement dans les systèmes d'éducation et de santé; à réduire les impôts pour les riches tout en répétant à la classe ouvrière qu'il n'y avait «pas d'argent» pour les salaires et les retraites; à attiser le chauvinisme anti-immigrants; et à appuyer le tournant militariste d'Ottawa.

Mais loin de se dissocier de ses nouveaux admirateurs de l’élite dirigeante, QS recherche activement leur bénédiction. Cela témoigne de sa propre nature en tant que parti des classes moyennes aisées, composé largement de cadres, petits entrepreneurs, professeurs d'université, médecins, avocats, etc.

Ces couches sociales mènent une existence confortable au sein d’un système capitaliste qui soumet les travailleurs aux fléaux combinés du chômage, du travail précaire et de la pauvreté. C’est pourquoi les questions vitales pour la classe ouvrière internationale – la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, la pandémie, le danger du fascisme ainsi que la réémergence des luttes sociales de masse – ont été totalement exclues de la campagne électorale de QS.

QS parle peu ou pas des luttes des travailleurs et tente encore moins de mobiliser cette force sociale contre le capitalisme en faillite. On chercherait en vain chez ses candidats des références aux conflits de travail qui ont éclaté dernièrement au Québec, que ce soit dans le secteur public, l’agroalimentaire, la construction, les ports de Montréal et de Québec ou encore le secteur manufacturier – sans parler des luttes ouvrières à travers le monde.

L’orientation de QS est plutôt vers la bureaucratie syndicale pro-capitaliste, qui étouffe depuis des décennies la résistance des membres de la base et a développé un vaste réseau de partenariats corporatistes avec la grande entreprise et l’État capitaliste. Mais à part quelques cas isolés, l’appareil syndical a plutôt choisi de maintenir ses liens historiques avec le PQ ou se rapprocher de la CAQ (Coalition avenir Québec) de droite, actuellement au pouvoir.

Sur la politique internationale, dominée aujourd’hui par les tensions géopolitiques et la guerre, QS n’a jamais critiqué la forte hausse des dépenses militaires canadiennes. Il a pleinement soutenu la participation d’Ottawa aux interventions impérialistes menées par les États-Unis pour le contrôle des matières premières et des régions géostratégiques – que ce soit en Afghanistan, en Haïti, en Lybie, en Irak ou en Syrie.

Maintenant, QS appuie la guerre menée par Washington contre la Russie en Ukraine. Au début du conflit, il a déposé une motion – adoptée à l'unanimité par les autres partis capitalistes – qui camouflait le rôle agressif et provocateur des États-Unis et de l'OTAN, rejetait tout le blâme sur la Russie et reprenait le mensonge qu'il s'agissait de défendre le «droit du peuple ukrainien de vivre dans un pays en paix, prospère et souverain».

Tout au long de la pandémie, qui est loin d’être terminée, QS a soutenu le gouvernement Legault dans sa politique meurtrière du «vivre avec le virus». Sa co-porte-parole Manon Massé a même participé avec d’autres chefs de parti d’opposition à des discussions à huis clos avec Legault. Les liens entre QS et le gouvernement étaient si étroits que des membres du parti ont soulevé la crainte que cela ne jette le discrédit sur leur formation. Le résultat de la politique officielle appuyée par QS est que plus de 16.000 personnes sont mortes de la COVID-19 dans la province et des centaines de milliers de personnes sont probablement atteintes de la COVID longue et de ses effets dévastateurs.

QS a également joué un rôle clé pour légitimer le tournant chauvin qu’a pris la classe dirigeante québécoise depuis plus d'une décennie, dans le but de diviser les travailleurs sur des lignes ethniques et de faire des immigrants les boucs émissaires de la crise sociale causée par le capitalisme. Cela s’est traduit sous le gouvernement Legault par une série de lois anti-démocratiques ciblant les immigrants et les minorités, dont la loi 96 qui renforce le statut privilégié du français et pour laquelle a voté QS.

Sur le plan économique, QS met de l’avant des propositions budgétaires «crédibles» et se vante du fait que son échéancier pour équilibrer le budget gouvernemental est plus ambitieux que celui fixé par la CAQ et les libéraux.

S’il ne ferme pas entièrement les yeux sur la crise socio-économique qui frappe la grande majorité de la population, il n’a rien de sérieux à offrir, car il accepte le cadre capitaliste qui est la cause de tous les maux sociaux – inégalités sociales, inflation galopante, crise du logement, etc. Il ne lui reste que de timides demi-mesures, ayant abandonné des propositions plus substantielles comme la gratuité scolaire, la principale revendication de la grève étudiante massive de 2012 au Québec qui a propulsé Nadeau-Dubois au-devant de la scène politique.

Ces demi-mesures restantes seront rapidement mises de côté comme en atteste le bilan des partis frères de QS – Syriza en Grèce, La Gauche en Allemagne ou Podemos en Espagne – qui ont froidement imposé, une fois arrivés au gouvernement, les brutales mesures d’austérité exigées par l’élite dirigeante.

Les travailleurs et les jeunes qui cherchent une alternative véritable au capitalisme en faillite doivent se tourner vers le Parti de l’égalité socialiste et rejeter fermement QS.

Son orientation originelle vers le PQ chauvin, sa promotion de l’indépendance du Québec comme nouvel État impérialiste en Amérique du Nord, son ancrage dans les classes moyennes aisées, son hostilité envers les travailleurs, sa quête de «respectabilité» auprès de l’establishment– tout cela a définitivement mis à nu, dans le contexte d’un effondrement du capitalisme mondial, la vraie nature de Québec solidaire en tant que parti nationaliste de droite.

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