Les syndicats et les employeurs allemands conspirent contre la classe ouvrière dans un nouveau cycle d’«action concertée».

Le 15  septembre a eu lieu la deuxième réunion de la soi-disant «Action concertée». Le chancelier allemand Olaf Scholz (parti social-démocrate, SPD) a une nouvelle fois invité les «partenaires sociaux» du pays, c’est-à-dire les dirigeants syndicaux et patronaux, à une réunion commune à la chancellerie. La première réunion, un peu plus large, avait eu lieu début juillet.

La cheffe de la Fédération allemande des syndicats (DGB) Yasmin Fahimi, le chancelier Olaf Scholz et le président de l’Association des employeurs Rainer Dulger après la dernière réunion d’action concertée [Photo par Mediathek Bundesregierung, capture d'écran]. [Photo by Mediathek Bundesregierung, Screenshot]

Lors de la première réunion, Scholz avait évoqué une «table ronde sociale de responsabilité» visant à «prévenir ou atténuer les pertes de revenus réelles.» Depuis lors, la réelle ampleur de la vague inflationniste qui déferle sur les ménages de la classe ouvrière est devenue visible. L’explosion des prix de l’énergie et de la nourriture met en difficulté même les hauts revenus.

Mais le gouvernement allemand, une coalition dite «tricolore» de sociaux-démocrates, Verts et libéraux, est déterminée à poursuivre sa confrontation avec la Russie. Elle fait peser sur les épaules de la population allemande tout le fardeau de la guerre et le coût horrifiant du réarmement militaire. C’est ce qu’a récemment confirmé le «plan d’aide» du gouvernement. Les grandes entreprises reçoivent de nouvelles aides financières, bien qu’elles fassent des milliards de bénéfices, tandis que les travailleurs, les retraités et les étudiants sont confrontés à des réductions drastiques de leurs revenus.

Au début de la semaine dernière, les négociations contractuelles ont débuté dans l’industrie métallurgique et électrique du pays, qui comprend l’industrie de la défense. Le syndicat IG Metall réclame une augmentation de salaire de 8 pour cent sur une période de 12  mois, ce qui signifie une réduction des revenus réels compte tenu du taux d’inflation à deux chiffres attendu.

Le résultat des négociations concerne 3,8  millions de travailleurs et est considéré comme une ligne directrice pour les autres secteurs. La négociation des contrats des 580.000  travailleurs de l’industrie chimique et pharmaceutique suivra à la mi-octobre. En fin d’année, les contrats des 2,7  millions de travailleurs des administrations et des collectivités locales, du commerce de détail, de l’industrie automobile et du secteur principal de la construction expireront tous.

Ces conflits contractuels doivent être transformés en offensive contre la guerre et ses conséquences sociales. Afin de compenser l’inflation et les réductions de salaires réels passées, il faut se battre pour obtenir d’importantes augmentations de salaire à deux chiffres. Mais c’est précisément ce que l’action concertée vise à empêcher.

Ce deuxième tour devait garantir que les syndicats ne permettent pas aux salaires de s’aligner sur l’inflation et, par là, que les revenus chutent. La coopération étroite entre le gouvernement, les associations patronales et les syndicats, présentée démagogiquement comme un «partenariat social» et un «soutien mutuel dans l’intérêt de tous», est en fait une conspiration contre la classe ouvrière.

Les syndicats jouent le rôle clé dans la suppression de toute résistance. Le gouvernement et les employeurs comptent sur leur appareil pléthorique de fonctionnaires pour imposer les réductions salariales et sociales les plus importantes depuis les années  30. L’IG Metall compte à lui seul 50.000  comités d’entreprise et 80.000  délégués syndicaux dans les usines. Environ 1.700  représentants d’IG Metall siègent aux conseils de surveillance des entreprises, où ils travaillent en étroite collaboration avec la direction et sont, à leur tour, généreusement récompensés.

Après la réunion d’Action concertée, le chancelier Scholz, le président des employeurs Rainer Dulger et la présidente du DGB Yasmin Fahimi se sont présentés devant la presse et ont fait de brèves déclarations, dont la formulation était presque identique.

Le chancelier a commencé par dire qu’il était bien conscient des préoccupations des gens «en raison de la forte hausse des prix». Il a dit savoir que ceux qui ressentaient «l’inflation lorsqu’ils faisaient leurs courses au supermarché, à la station-service, payaient leurs factures de chauffage» étaient nombreux. Il a fait l’éloge des mesures prises par son gouvernement jusqu’à présent et a répété son slogan ridicule, rendu populaire dans le monde du football ― «Vous ne marcherez jamais seul».

Puis Scholz est passé aux choses sérieuses. Il a mis en garde contre les revendications salariales excessives et a souligné que de nombreuses entreprises étaient également confrontées à des difficultés existentielles en raison des prix élevés de l’énergie. Il avait «proposé aux partenaires contractuels d’exonérer d’impôts et de taxes des versements supplémentaires allant jusqu’à 3.000  euros».

Avec cette offre, Scholz tente d’ouvrir la voie à un autre cycle de rémunération négative, après qu’IG Metall a convenu d’un seul paiement supplémentaire contractuel pour les travailleurs de l’industrie métallurgique et électrique depuis 2018. Si de tels paiements forfaitaires peuvent alléger la pression financière immédiate à court terme, ils conduisent à une réduction massive des salaires réels à long terme.

La dirigeante du DGB, Fahimi, a remercié le chancelier et le gouvernement pour leurs «grands efforts jusqu’à présent», qui étaient tous « également très largement documentés». Elle a toutefois averti qu’on devrait désormais «accélérer la mise en œuvre des résultats et la recherche de solutions». «La dynamique des problèmes et des défis nous dépasse pratiquement de semaine en semaine», a-t-elle déclaré.

«Nous, les syndicats, sommes d’avis que nous avons besoin cette année de nouvelles mesures à court terme en vue de stabiliser le pouvoir d’achat», a-t-elle souligné, soutenant explicitement «l’offre du gouvernement fédéral de permettre des versements supplémentaires jusqu’à 3.000  euros non imposables».

Elle a ensuite appelé à «des mesures d’aide et de protection de l’économie» pour éviter une vague de faillites aux conséquences catastrophiques.

Fahimi incarne un appareil syndical qui s’est pleinement intégré au camps du gouvernement et du patronat et qui conçoit son rôle comme une police dirigée contre les travailleurs. Avant son élection à la tête du DGB, Fahimi était secrétaire générale du SPD et secrétaire d’État au ministère du Travail. Son partenaire est Michael Vassiliadis, président du syndicat conservateur de la chimie IG BCE.

Le président de l’Association des employeurs, Dulger, a remercié le chancelier pour «une bonne discussion… fondée sur l’accord selon lequel, dans la situation actuelle, nous ne pouvons agir qu’ensemble».

Dulger a déclaré qu’il fallait saluer expressément la «volonté du gouvernement allemand de permettre aux employeurs d’effectuer des paiements uniques à leurs employés en franchise d’impôts et de taxes». Toutefois, a-t-il souligné, «toutes les entreprises ne peuvent pas se permettre ces paiements uniques», ajoutant: «Le gouvernement a déjà mis de nombreuses choses en route. Nous sommes heureux que le chancelier ait promis des solutions plus concrètes à court terme».

Le président du patronat avait déjà fait savoir début juillet ce qu’il exigeait pour sa coopération avec le gouvernement et les syndicats en menaçant publiquement de supprimer les lutte sociales. Les «grèves d’avertissement» de courte durée des dockers lui avaient «fortement déplu», a-t-il déclaré aux journalistes à Berlin. Il a appelé à un «état d’urgence national» qui pourrait briser les grèves – en d’autres termes, à la mise en œuvre d’une sorte de loi martiale contre les grévistes.

«Voilà les années fastes finies à présent», a-t-il dit pour expliquer sa proposition. L’Allemagne avait connu pendant de nombreuses années une «oasis de prospérité et de bien-être», mais c’était fini.

L’action concertée, que Scholz a relancée, a ses racines dans le modèle introduit en 1967. À l’époque, le ministre de l’Économie du SPD, Karl Schiller, avait réagi à la première récession de la République fédérale – au cours de laquelle 500.000  travailleurs avaient perdu leur emploi, en convoquant une action concertée, qui s’était entendue sur des accords de salaires bas. Au cours des deux années suivantes, les salaires réels moyens avaient diminué de 1,6 et 1 pour cent respectivement.

Les travailleurs n’étaient pas prêts à l’accepter et, en septembre 1969, des grèves sauvages à l’échelle nationale, dont les syndicats ont perdu le contrôle, avaient permis d’obtenir des augmentations de salaire massives. Les syndicats furent obligés d’augmenter leurs propres revendications initiales pour reprendre le contrôle de la situation.

Aujourd’hui, ils ne sont plus en mesure de le faire. Ils ont complètement dégénéré et se sont transformés en complices des entreprises. S’ils disposent toujours d’un appareil puissant pour intimider les travailleurs, leur influence a fortement diminué. Le nombre de membres de tous les syndicats du DGB est passé de 11,8  millions en 1990, l’année de la réunification allemande, à 5,73  millions aujourd’hui. Selon une enquête récente, seuls 26  pour cent des entreprises et 51  pour cent des travailleurs en Allemagne sont encore liés par une convention collective régionale ou interne.

Les salaires, les acquis sociaux et les emplois ne peuvent être défendus que par une rébellion contre les syndicats et leur politique du «partenariat social». Les travailleurs doivent utiliser le cycle actuel de négociations contractuelles pour arracher le contrôle à l’appareil syndical. Pour ce faire, il faut créer des comités d’action contrôlés démocratiquement par les travailleurs.

Le Comité international de la Quatrième Internationale a créé l’Alliance internationale des travailleurs pour les comités de base (IWA-RFC) afin de donner une direction à ces comités d’action et de les coordonner au niveau international.

(Article paru d’abord en anglais le 19  septembre2022)

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