Des manifestations contre la hausse des prix du carburant éclatent partout en Haïti

La capitale d’Haïti, Port-au-Prince, et d’autres grandes villes ont atteint un nouveau sommet d’agitation cette semaine en raison des manifestations de masse contre l’intention du premier ministre Ariel Henry de mettre fin aux subventions sur le combustible et d’augmenter le prix de l’essence. Cette hausse des prix paralysante intervient après des semaines d’opposition politique croissante de la classe ouvrière haïtienne au régime fantoche américain dirigé par Henry, aux gangs en guerre représentant les sections rivales de la kleptocratie haïtienne et à l’élite économique du pays.

Homme brandissant un drapeau rouge lors d’une manifestation contre la hausse des prix du combustible et pour la démission du premier ministre haïtien Ariel Henry, à Port-au-Prince, Haïti, le jeudi 15 septembre 2022.[AP Photo/Odelyn Joseph] [AP Photo/Odelyn Joseph]

Dans un contexte d’inflation galopante et de hausse des prix, le gouvernement a annoncé dimanche que le prix d’un gallon d’essence passerait de 250 gourdes (2$) à 570 gourdes (4,78 $), tandis que le prix du diesel passerait de 353 gourdes par gallon (3$) à 670 gourdes (5,60 $). Le prix d’un gallon de kérosène passerait de 352 gourdes (3$) à 665 gourdes (5,57 $).

Des milliers de manifestants ont bloqué la circulation à travers la capitale avec des pierres, des pneus brûlés, des portes métalliques et d’autres objets. Des images vidéo montrent des manifestants ciblant plusieurs institutions bancaires et d’autres ont été filmés en train de saisir des centaines de livres de riz dans un entrepôt géré par l’une des plus grandes sociétés d’importation d’Haïti. Les médias américains ont cherché à diffamer les manifestants en les qualifiant de «pillards» et ont défendu la répression policière pour réprimer la rébellion.

Les manifestations antigouvernementales se sont multipliées depuis le mois dernier, lorsque des centaines de travailleurs sont descendus dans les rues de la capitale pour exiger la démission d’Henry, un atout de longue date de la classe dirigeante américaine qui a été placé au pouvoir par le «Core Group», dirigé par les ambassadeurs des États-Unis, du Canada, de l’Allemagne, de la France, de l’Espagne, de l’Union européenne et du Brésil, dans le cadre d’un remaniement du gouvernement après l’assassinat du président Jovenel Moise en juillet 2021.

Les manifestations de cette semaine sont venues s’ajouter à des semaines d’agitation causées par une série de problèmes qui ont aggravé la crise économique du pays et la dévastation sociale ressentie par des millions de personnes appartenant aux masses laborieuses, notamment la dévaluation de la monnaie locale associée à la hausse des prix des denrées alimentaires, le manque de dollars américains et les pénuries croissantes de gaz et de propane. Une autre revendication centrale des manifestants est l’éviction d’Henry, dont le régime est embourbé dans la criminalité politique et les scandales, le plus notable étant la croyance répandue que lui et d’autres personnalités ont aidé à orchestrer l’assassinat de Moise avec l’aide des services secrets américains.

L’administration affirme que ses mesures d’austérité, largement contestées, sont nécessaires pour juguler l’inflation, dont le taux a augmenté de 30,7% en juillet par rapport à 2021, et parce que le gouvernement ne pouvait plus se permettre de subventionner le combustible, pour lequel il dépense 400 millions de dollars par an.

Il est beaucoup plus probable que l’effort d’Henry pour aggraver l’appauvrissement de la population ne vise pas à combattre les pressions inflationnistes, mais à négocier de futurs accords parasitaires avec les agences de prêt et les institutions financières. En juin, le Fonds monétaire international (FMI) approuvait un programmede référence (PR) pour Haïti, afin de suivre ses dossiers financiers et de servir de condition préalable aux autorisations de prêts.

Le rapport du FMI déplore les sommes considérables que le gouvernement déverse dans les subventions aux combustibles et le fait que ce secteur absorbe au moins un tiers des recettes intérieures d’Haïti. Le communiqué accuse le financement de la banque centrale d’être à l’origine de la spirale inflationniste, notant que «des rendements satisfaisants dans le cadre du PR pourraient conduire à un programme soutenu par le FMI dans le cadre d’un accord pluriannuel qui nécessiterait l’approbation du Conseil d’administration du FMI.» Ce qui se cache derrière le PR et la répression des déficits fiscaux par Henry, c’est le désir d’aligner le pays pour un nouveau cycle d’endettement et de pillage par le capital financier impérialiste.

La fin des subventions publiques sera désastreuse pour les millions de personnes qui souffrent de salaires chroniquement bas. Au cours des décennies qui ont suivi la chute des dictatures de «Papa Doc» et de «Bébé Doc» Duvalier, soutenues par les États-Unis, les administrations américaines successives, tant démocrates que républicaines, ont transformé Haïti en un État vassal protégeant les investissements et les profits des entreprises américaines attirées par des salaires de misère. Face aux manifestations de grande ampleur pour des salaires plus élevés survenues en février, le gouvernement a augmenté le salaire minimum de 54% pour le porter à moins de 7,50 dollars par jour, ce qui est bien inférieur aux 15 dollars par jour, toujours maigres, que certains travailleurs réclament.

L’énorme tremblement de terre de 2010 a plongé le pays dans une pauvreté encore plus grande et la seule réponse de l’élite politique vénale d’Haïti depuis a été d’agir dans l’intérêt des multinationales américaines et de l’oligarchie haïtienne. Gilbert Bigio, le seul milliardaire haïtien et chef du conglomérat industriel GB Group, préside à un quasi-monopole du marché haïtien de l’acier alors que l’ouvrier haïtien moyen est payé environ 34.000 gourdes (300 $) par mois. Des dizaines d’entreprises américaines de vêtements et de textiles génèrent des montagnes de profits grâce aux salaires de misère que reçoivent les travailleurs dans les ateliers clandestins d’Haïti.

L’agitation sociale se mêle à l’immense instabilité politique qui secoue le pays, Henry étant à la tête d’une dictature de facto, son gouvernement ayant omis d’organiser des élections présidentielles après la fin de son mandat le 7 février. La crise politique et le mouvement de protestation suscitent l’inquiétude des puissances impérialistes, surtout des États-Unis et du Canada, qui craignent que les manifestations ne prennent une tournure révolutionnaire, tandis que les responsables politiques étrangers s’interrogent sur la capacité d’Henry à réprimer l’opposition.

Susan D. Page, ancienne représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies en Haïti et ancienne chef de l’opération meurtrière de la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH), a émis l’idée, au début du mois, que la coalition au pouvoir d’Henry, dite Accord de Musseau, soit remplacée par une autre couche de politiciens et de journalistes tout aussi privilégiés et corrompus composant le grand rival de Musseau, l’Accord de Montana.

Dans un article publié par le Council on Foreign Relations, Page fait référence à l’Accord de Montana comme étant «un vaste groupe de citoyens haïtiens s’étant coalisés pour créer une feuille de route vers la restauration des normes démocratiques sans l’interférence de puissances étrangères. Pour les États-Unis, travailler en plus grand partenariat avec de telles organisations... pourrait aider à restaurer la confiance des Haïtiens.»

Les commentaires de Page font écho à un article rédigé par l’ancien vice-président de la National Endowment for Democracy (NED), George Fauriol, publié en février par le groupe de réflexion pro-Washington Center for Strategic and International Studies.

Soulignant le «quasi-effondrement de l’autorité publique haïtienne», l’article est une feuille de route pour un changement de régime. Fauriol a salué l’Accord de Montana pour avoir généré «une formule de transition plausible pour sortir de la crise» et établi des liens avec une coalition politique constituée par le Protocole d’Entente Nationale(PEN) réunissant une coalition de quelque 70 organisations et groupes politiques.

Le mouvement de protestation suscite également de nouveaux appels de la part de responsables politiques des Caraïbes pour que Washington et les autres puissances impérialistes interviennent en Haïti par l’entremise d’une autre intervention militaire de style colonial, à l’instar des forces de «maintien de la paix» des Nations unies qui avaient été déployées dans le cadre de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti(MINUSTAH) après le tremblement de terre de 2010. Lors d’une réunion cette semaine avec la vice-présidente Kamala Harris, des législateurs américains et des dirigeants de l’Organisation des États américains, le président de la République dominicaine Luis Abinader a lancé une mise en garde que la crise d’Haïti s’approchait d’une «guerre civile de faible intensité».

Une autre composante de la crise est l’accélération de la violence des gangs organisée par le célèbre gang G9 Familles et alliés, dirigé par l’ancien policier Jimmy «Babekyou» (Barbecue) Chérizier. Chérizier a des liens de longue date avec une section de la bourgeoisie haïtienne représentée par le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), qui inclut le régime fantoche soutenu par Clinton de l’ancien président Michel «Micky le doux» (Sweet Mickey) Martelly et Moise, ce dernier connu pour avoir déchainé ses forces dans des répressions violentes contre l’opposition populaire à sa présidence.

Au cours des derniers mois, le G9 a mis en déroute les fragiles forces de sécurité et de police haïtiennes, prenant le contrôle d’importantes portions de territoire, dont une grande partie du bidonville de Cité Soleil. Le gang a pris le contrôle de la ville après d’importants combats armés contre G-Pèp, la deuxième plus grande fédération de gangs du pays.

Bien qu’il se présente comme un groupe s’opposant à Henry et prétendant mener une «révolution» populaire en réponse à l’assassinat de Moise, le G9 est utilisé pour écraser l’opposition et consolider le pouvoir de l’élite économique haïtienne. Au début du mois, le G9 de Chérizier a mené un assaut violent à Cité Soleil, où la résistance avait éclaté face à l’extrême répression et où plusieurs groupes d’activistes locaux avaient organisé des protestations de masse.

Christella Delva, une étudiante de 17 ans qui manifestait, a été tuée d’une balle dans la tête par le G9, de même que deux jeunes journalistes haïtiens, Tayson Lartigue et Frantzsen Charles, après qu’ils aient interviewé les parents de Delva.

La violence omniprésente des gangs et les enlèvements, ainsi que la corruption bien ancrée de la classe dirigeante haïtienne, servent à maintenir le régime capitaliste en Haïti, dont les principaux maîtres, les impérialismes américain et européen, utilisent depuis des décennies ces forces pour imposer un climat d’inégalité sociale brutale, d’oppression politique et de misère. La demande d’Abinader pour une intervention de «maintien de la paix» fait partie intégrante de la domination continue de l’impérialisme américain sur Haïti, qui remonte à l’occupation américaine de 1915-1934 et à la série d’invasions sanglantes et de dictatures violentes dirigées contre la classe ouvrière insurgée d’Haïti.

Après qu’une rébellion nationale massive ait déposé la dictature de «Bébé Doc» Duvalier en 1986, la CIA a orchestré le renversement du prêtre et théologien Jean Bertrand-Aristide au début des années 1990, tandis que Washington utilisait l’armée haïtienne et les restes des Tontons Macoutes paramilitaires de Duvalier comme principal instrument pour terroriser la population. Après son retour au pouvoir, la promesse d’Aristide de mener des réformes au coup par coup tout en s’accommodant de l’impérialisme n’a rien fait pour empêcher les États-Unis, le Canada et la France de kidnapper l’ancien président et de le transporter dans un avion à destination de la lointaine République centrafricaine en 2004.

Face aux demandes de nouvelles élections, un avertissement doit être lancé: dans les pays au développement capitaliste tardif comme Haïti, pas une seule section de la bourgeoisie nationale n’est capable ou intéressée de mener une lutte révolutionnaire contre l’impérialisme – une condition essentielle pour garantir les aspirations démocratiques et sociales même les plus élémentaires des travailleurs et des ouvriers.

Il ne faut pas se faire d’illusions sur Aristide ou tout autre parti nationaliste, son parti Fanmi Lavalas ayant lui-même mis en œuvre les exigences du FMI et de la Banque mondiale en matière de politiques d’«ajustement structurel», inondant du coup Haïti de marchandises américaines et privatisant des entreprises publiques rentables. Aristide a été à la tête d’un régime qui n’a fait qu’apporter davantage de misère pour les masses de travailleurs haïtiens et éliminer des dizaines de milliers d’emplois.

Aristide continue de jouer ce rôle depuis le coup d’État, puisqu’il a rencontré Henry à son domicile de Tabarre dans le cadre des efforts de l’actuel premier ministre pour former une alliance avec plusieurs groupes de la classe moyenne et s’assurer de leurs efforts pour faire dérailler l’opposition sociale. Deux semaines auparavant, Aristide avait reçu chez lui Helen La Lime, ancienne ambassadrice des États-Unis en Angola et actuelle représentante spéciale du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), révélant ainsi les liens profonds que le leader du parti Fanmi Lavalas entretient avec l’impérialisme.

Les masses de la classe ouvrière haïtienne doivent couper tout lien avec les forces nationalistes et établir leur indépendance politique de toutes les factions de la bourgeoisie nationale en menant les masses opprimées dans une lutte révolutionnaire pour le socialisme à l’unisson avec les travailleurs de l’ensemble des Caraïbes, des Amériques et du monde entier.

(Article paru en anglais le 20 septembre 2022)

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