Ces remarques ont été prononcées par Keith Jones lors du septième congrès national du Parti de l’égalité socialiste (États-Unis), qui s’est tenu du 31 juillet au 5 août 2022.
Jones est le secrétaire national du Parti de l’égalité socialiste (Canada), la section canadienne du Comité international de la Quatrième Internationale.
C’est un privilège de présenter les salutations révolutionnaires fraternelles du Parti de l’égalité socialiste (Canada) à votre septième Congrès national.
En examinant le travail de la section américaine et du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) dans son ensemble au cours des deux dernières années, votre Congrès concrétise notre conception de cette cinquième phase du développement du mouvement trotskiste mondial. La phase dans laquelle la longue lutte du CIQI pour défendre et développer le programme de la révolution socialiste mondiale coïncide avec le développement de la marée montante de la classe ouvrière internationale et, par nos initiatives stratégiques et tactiques, réalise sa logique objective: le renversement du capitalisme et du système réactionnaire des États-nations rivaux.
Les défis sont énormes. Mais le travail du Congrès, qui a cherché à chaque fois à mettre à nu la relation entre les principes et l’analyse historiquement défendus et développés par le parti et sa réponse à la série de crises entrecroisées qui secouent actuellement le capitalisme mondial, indique ce qui doit être fait.
Les thèmes qui font l’objet de vos quatre résolutions – la pandémie mondiale, la lutte contre la guerre impérialiste, l’effondrement de la démocratie bourgeoise et la menace de la dictature, la recrudescence de la lutte des classes mondiale et la lutte pour construire l’IWA-RFC (Alliance ouvrière internationale des comités de base) – seraient au cœur de toute discussion sur les perspectives et les tâches du PES (Canada).
Cela ne fait que souligner que nous sommes dans les affres d’une crise systémique du capitalisme mondial et que la lutte de classe s’est mondialisée.
La bourgeoisie canadienne, comme ses rivaux impérialistes, a été ébranlée par les événements des deux dernières années et demie. Elle est maintenant confrontée à une opposition sociale croissante sous la forme d’une vague de grèves qui, bien qu’encore à ses débuts, prend de plus en plus la forme d’une rébellion contre les appareils syndicaux.
Puissance impérialiste de troisième rang, le capitalisme canadien a historiquement été privilégié en raison de son partenariat étroit avec la puissance capitaliste mondiale prédominante, soit la Grande-Bretagne et son empire au XIXe siècle et l’impérialisme américain au XXe siècle.
Cependant, le soleil s’est couché sur l’Empire britannique il y a longtemps, et l’impérialisme américain – qui a dû assumer la responsabilité de ressusciter le capitalisme mondial à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et, ce faisant, intégrer en lui toutes ses maladies et contradictions – est aujourd’hui le centre même de la crise capitaliste mondiale.
La réaction de la classe dirigeante canadienne a été de se déchaîner avec l’agressivité et la violence qui ont fait partie intégrante de son pouvoir depuis qu’elle a consolidé son contrôle sur la partie nord de l’Amérique du Nord en dépossédant les peuples autochtones. Cette attitude est illustrée par sa réaction meurtrière à la pandémie de COVID-19 et par son rôle belliqueux et provocateur dans la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie.
Travaillant en tandem avec Washington, l’impérialisme canadien a joué un rôle majeur dans la préparation et l’instigation de la guerre de l’OTAN contre la Russie et maintenant dans sa poursuite. Avec les armées américaine et britannique, les forces armées canadiennes ont aidé à former et à réorganiser les forces de sécurité ukrainiennes, pendant les sept années entre le coup d’État de 2014 et l’invasion russe, notamment par l’intégration du bataillon Azov et d’autres milices fascistes. Depuis janvier, elle a acheminé des centaines de millions de dollars d’armes à l’Ukraine et, comme l’a récemment révélé le New York Times, des forces spéciales canadiennes sont déployées en Ukraine.
En provoquant et en menant une guerre par procuration contre la Russie qui, à tout moment, pourrait facilement se transformer en un affrontement direct entre la Russie et l’OTAN, avec des armes nucléaires, la bourgeoisie canadienne poursuit témérairement ses propres intérêts prédateurs.
La classe dirigeante canadienne croit qu’il est essentiel de maintenir et d’élargir son alliance militaro-stratégique avec Washington, vieille de trois quarts de siècle, comme base pour défendre et poursuivre ses propres intérêts économiques et stratégiques mondiaux de plus en plus importants. Le Canada a également sa propre rivalité stratégique de longue date avec la Russie. Dans ce contexte, l’Arctique, dont les voies maritimes et les abondantes richesses pétrolières et minérales des fonds marins deviennent de plus en plus accessibles en raison des conséquences désastreuses du changement climatique, occupe une place importante.
Le rôle majeur de l’impérialisme canadien dans la guerre contre la Russie est également lié à son alliance de sept décennies avec l’extrême droite ukrainienne, que nous avons documentée dans la série en cinq parties intitulée «Les amis fascistes de l’impérialisme canadien». Le Canada a offert un refuge à des dizaines de milliers de fascistes ukrainiens qui avaient collaboré avec les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale, lors de l’Holocauste et de leur guerre d’extermination contre l’Union soviétique. La classe dirigeante canadienne les a aidés à blanchir les crimes monstrueux qu’ils avaient commis en tant que membres de l’organisation fasciste des nationalistes ukrainiens (OUN) ou de la Waffen SS, les utilisant comme pions de sa politique de guerre froide au pays et à l’étranger.
Avec la dissolution de l’Union soviétique par la bureaucratie stalinienne, ces forces ont été redéployées pour faire pression en faveur de l’arrimage de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE. Le fer de lance politico-idéologique de cette campagne a été la réinjection et la promotion d’un nationalisme ukrainien fasciste, fondé sur un anticommunisme véhément, une hostilité extrême envers la Russie et la glorification du collaborateur nazi et fasciste Stepan Bandera et de ceux qui ont combattu à ses côtés pour une «Ukraine pour les Ukrainiens» ethniquement pure.
Comme nous l’avons expliqué, l’alliance réactionnaire entre l’extrême droite ukrainienne et l’impérialisme canadien est incarnée par la personne de Chrystia Freeland, le principal faucon de guerre anti-russe du gouvernement canadien, son vice-premier ministre et ministre des Finances et le successeur probable de Justin Trudeau en tant que chef libéral et premier ministre du Canada. Le grand-père maternel de Freeland, Michael Chomiak, qu’elle admire publiquement pour l’avoir initiée au nationalisme et à la culture ukrainiens, était un collaborateur nazi de premier plan.
La mise à nu de l’alliance de l’impérialisme canadien avec les fascistes ukrainiens est un élément crucial dans la lutte du SEP Canada pour mobiliser la classe ouvrière contre la guerre et plus généralement pour contrer les mensonges frauduleux promus par les sociaux-démocrates et la pseudo-gauche sur le prétendu caractère démocratique et pacifique du capitalisme canadien.
L’année 2022 a commencé par un débat de la classe dirigeante, qui s’est déroulé dans les pages du Globe and Mailet d’autres grands quotidiens, sur la signification du coup d’État de Trump le 6 janvier, sur l’effondrement en cours de la démocratie américaine et sur la façon dont l’impérialisme canadien pouvait maintenir son alliance avec Washington tout en s’isolant de la crise politique et sociale qui secoue les États-Unis et de la menace de guerre civile qui déborde au Canada.
Cependant, les événements allaient rapidement démontrer que l’ordre démocratique bourgeois du Canada s’effondre également sous les mêmes pressions: une croissance massive des inégalités sociales depuis des décennies, le militarisme et la guerre, et le fait que la classe dirigeante cultive la réaction et les forces fascistes de plus en plus ouvertement. Comment pourrait-il en être autrement? Aucun pays n’est plus intégré économiquement, géopolitiquement et culturellement aux États-Unis, et l’impérialisme américain reste la pierre angulaire du capitalisme mondial, sur les fondations décrépites duquel repose l’ensemble du système.
Dans le but d’éliminer ce qui restait des mesures de santé publique anti-COVID, de pousser la politique très à droite et, si possible, de faire tomber le gouvernement libéral minoritaire, une importante faction de la classe dirigeante canadienne, menée par l’opposition conservatrice et ouvertement encouragée par Trump et ses partisans, a instrumentalisé le Convoi de la liberté, un mouvement d’extrême droite. Grâce à leur soutien, un mouvement soutenu activement par quelques milliers de personnes et auquel s’oppose la grande majorité des travailleurs a pu occuper de manière menaçante la capitale nationale pendant près d’un mois.
Quelques jours seulement après le début de l’occupation d’Ottawa – en nous basant sur l’analyse du CIQI, dont le camarade Patrick Martin a passé en revue des éléments importants dans son rapport de ce matin – nous avons identifié la volonté de sections puissantes de la classe dirigeante de fouetter un mouvement extra-parlementaire d’extrême droite comme un tournant dans l’effondrement de la démocratie canadienne. De plus, nous avions prévenu qu’en l’absence d’une intervention indépendante de la classe ouvrière, quelle que soit la façon dont cette crise serait résolue, ce serait au détriment des droits démocratiques et sociaux de la classe ouvrière.
Cette évaluation s’est rapidement avérée exacte. Après avoir laissé pendant des semaines le Convoi d’extrême droite occuper le centre-ville d’Ottawa et terroriser ses résidents, le gouvernement libéral, avec l’appui du NPD social-démocrate et des syndicats, a invoqué pour la toute première fois la draconienne Loi sur les mesures d’urgence. Il a ainsi créé un précédent inquiétant de suspension des droits démocratiques fondamentaux qui peut être et sera utilisé contre la classe ouvrière.
Au même moment, avec le feu vert du gouvernement libéral fédéral, les gouvernements de tout le pays se sont empressés de mettre en œuvre la demande du Convoi – et celle des grandes entreprises canadiennes – de supprimer toutes les mesures anti-COVID, des tests et de la mise en quarantaine au port du masque obligatoire.
Par conséquent, le Canada a subi les sixième et septième vagues de la pandémie, alimentées par les sous-variants Omicron. Le bilan officiel s’élève maintenant à près de 43.000 morts. Avec plus de 12.700 décès au cours des sept premiers mois de l’année et des écoles prêtes à rouvrir le mois prochain sans même les mesures d’atténuation les plus minimales, l’année 2022 est en passe d’être de loin la plus meurtrière à ce jour.
À la fin du mois de mars, le NPD, avec le soutien enthousiaste des syndicats, a formé une alliance gouvernementale avec le gouvernement minoritaire de Trudeau, en vertu de laquelle il s’est engagé à le soutenir au Parlement jusqu’en juin 2025. Au nom de la soi-disant «stabilité politique» – c’est-à-dire la stabilité du capitalisme canadien par la répression de la lutte des classes – le NPD donne au gouvernement Trudeau et à la classe dirigeante les coudées franches pour faire la guerre, augmenter massivement les dépenses militaires, moderniser le commandement conjoint de défense aérospatiale et maritime NORAD Canada-États-Unis en vue de la guerre contre la Russie et la Chine, et renforcer la position concurrentielle du capitalisme canadien par l’austérité et les réductions des salaires réels dues à l’inflation.
L’alliance entre les syndicats, le NPD et les libéraux est l’expression politique contemporaine la plus importante de l’intégration corporatiste des syndicats avec les grandes entreprises et l’État, qui a servi de mécanisme principal pour réprimer la lutte des classes pendant des décennies. Avec le déclenchement de la pandémie et maintenant de la guerre, ce partenariat corporatiste anti-ouvrier a atteint un niveau qualitativement nouveau.
Les syndicats et le NPD ont joué un rôle essentiel, au début de la pandémie, pour faire passer le sauvetage massif des banques, des grandes entreprises et des marchés financiers, puis pour appliquer la politique meurtrière de la classe dirigeante de retour au travail et à l’école. Aujourd’hui, alors que le NPD soutient un gouvernement libéral qui mène une guerre à l’étranger et une guerre de classe au pays, les syndicats tentent désespérément de contenir une vague montante de luttes ouvrières alimentée par une inflation galopante, des années de concessions et la politique pandémique désastreuse de la classe dirigeante qui consiste à faire passer les profits avant la vie.
La pseudo-gauche fonctionne comme le flanc gauche de l’alliance syndicats-NPD-Libéraux. Bien que diverses organisations pablistes, comme La Riposte socialiste de la Tendance marxiste internationale, prétendent officiellement s’opposer au soutien du NPD au gouvernement Trudeau, elles n’en font jamais – et je dis bien jamais – mention. De plus, dans le cadre de leurs efforts pour soutenir les syndicats et garder les travailleurs captifs de ceux-ci, ces groupes censurent le fait politique fondamental que les syndicats sont les principaux architectes et piliers de l’alliance gouvernementale NPD-libéraux.
En subordonnant la classe ouvrière à l’alliance entre les syndicats, le NPD et les libéraux et en s’efforçant de la piéger dans le cadre de la politique capitaliste, la pseudo-gauche contribue également à créer les conditions dans lesquelles l’extrême droite peut exploiter la colère et la frustration sociales grandissantes.
Le Convoi de la liberté, un mouvement d’extrême droite, est devenu l’enjeu principal de la course à la direction du Parti conservateur. Pierre Poilievre, le grand favori et défenseur acharné du Convoi, s’est engagé à faire du Canada le «pays le plus libre» du monde: par la privatisation, l’élimination des règlements environnementaux et le saccage de tous les droits sociaux de la classe ouvrière.
L’effort des syndicats et du NPD, et de leurs complices de la pseudo-gauche, pour étouffer la lutte des classes doit et va échouer. Leur autorité a été massivement érodée à la suite de leurs décennies de trahisons. Au cours de l’année écoulée, on a assisté à une vague de luttes ouvrières militantes, impliquant de larges couches de la classe ouvrière, notamment les mineurs, les travailleurs de l’industrie alimentaire, les travailleurs du gouvernement du Nouveau-Brunswick, divers groupes de cheminots et les travailleurs de la construction de l’Ontario.
Comme aux États-Unis, de nombreuses grèves ont éclaté uniquement parce que les travailleurs ont rejeté, dans certains cas à plusieurs reprises, les ententes de principe de capitulation.
Dans ces luttes, nous nous sommes de plus en plus imposés comme le pôle d’opposition à la bureaucratie syndicale sur la base de la lutte pour les comités de la base dans le cadre de l’IWA-RFC. Grâce au travail du Comité de sécurité pancanadien du personnel scolaire de la base, nous avons donné une expression concrète à la lutte pour la mobilisation indépendante de la classe ouvrière afin d’appliquer une stratégie scientifique de «zéro COVID» en opposition aux syndicats. Soulignant la nervosité avec laquelle la bureaucratie voit ces développements, les principaux responsables syndicaux, dont récemment le chef du Ontario School Board Council of Unions, qui compte 50.000 membres, ont dénoncé le CERSC et le Comité des travailleurs de la base du CP ou ont cherché à intervenir dans leurs activités.
L’intervention de Will Lehman dans l’élection à la présidence de l’UAW, basée sur la lutte pour une rébellion de la base contre la bureaucratie syndicale et la nécessité d’unir la classe ouvrière à l’échelle mondiale, nous offre une opportunité majeure de développer des comités de la base parmi les travailleurs de l’automobile au Canada, une section clé de la classe ouvrière. Le démantèlement de l’UAW par les ailes rivales de la bureaucratie au Canada et aux États-Unis a été une partie essentielle de leur répudiation et de leur mépris de toutes les traditions militantes de la classe ouvrière.
Aussi importantes que soient ces initiatives, nous sommes parfaitement conscients qu’en dehors du renforcement des fondements trotskistes du PES Canada, ces gains seront éphémères.
La fondation formelle du PES Canada, en tant que section du CIQI, doit servir d’étape cruciale dans le renforcement de son identité trotskiste, en réaffirmant et en définissant encore plus clairement notre attitude envers les luttes de la Quatrième Internationale, dirigée depuis 1953 par le CIQI, pour maintenir et développer le programme de la révolution socialiste mondiale. Un élément important de cette démarche est de dresser un bilan des racines et des conséquences de la liquidation de la première section canadienne du CIQI qui, en 1963, a rejoint le SWP américain en se réunissant avec les pablistes. Il sera particulièrement important de démontrer comment la lutte que le CIQI a menée contre l’opportunisme nationaliste du WRP et, par la suite, de tirer les leçons de la scission de 1985-86 a trouvé son expression dans la clarification programmatique des partisans canadiens du CIQI et l’a conduite à des questions clés de perspective politique qui demeurent à ce jour au centre de la lutte pour gagner la classe ouvrière canadienne au programme de la révolution socialiste mondiale. En particulier, la lutte contre le nationalisme canadien et québécois de gauche.
En conclusion, nous reconnaissons également que placer le travail du PES Canada à un niveau plus élevé est une contribution nécessaire au renforcement du travail du CIQI au niveau mondial, surtout aux États-Unis. La défaite de l’impérialisme américain est une tâche stratégique de la classe ouvrière mondiale et la classe ouvrière canadienne, étant donné ses longues traditions de lutte conjointe et d’unité objective avec la classe ouvrière américaine, doit apporter une contribution majeure à sa réalisation.
(Article paru en anglais le 29 août 2022)