Vendredi dernier, l'éditeur de WikiLeaks, Julian Assange, a déposé un recours contre son extradition vers les États-Unis devant la Haute Cour du Royaume-Uni.
Le recours marque la dernière étape d'une longue bataille juridique concernant l'envoi potentiel d'Assange aux États-Unis, où il risque 175 ans d'emprisonnement dans un établissement de haute sécurité pour avoir publié des informations véridiques, y compris des documents dévoilant les crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan.
La procédure judiciaire britannique en est maintenant à sa quatrième année, au cours de laquelle Assange a été incarcéré dans la prison à sécurité maximale de Belmarsh à Londres. Pendant la grande majorité de cette période, il a été en détention provisoire, sans avoir été reconnu coupable d'un crime en Grande-Bretagne.
Les audiences depuis janvier de l'année dernière se sont principalement concentrées sur la santé d'Assange. Sa détérioration physique et psychologique, résultant de plus d'une décennie de persécution, a été balayée par les procureurs agissant pour le compte des États-Unis et de la justice britannique. Cela malgré les avertissements de centaines de médecins qu’Assange pouvait mourir derrière les barreaux et l’admission du premier juge à entendre l'affaire devant le tribunal de première instance, que l'extradition équivaudrait effectivement à une condamnation à mort.
La complicité criminelle de l'État britannique dans la persécution d'Assange a été résumée par une décision de la Haute Cour britannique approuvant l'extradition (en octobre dernier), un refus ultérieur par le même tribunal d'entendre un appel centré sur des raisons de santé, et l'annonce en juin par la ministre de l'Intérieur Priti Patel qu'elle avait ordonné l'envoi d'Assange aux États-Unis.
L'appel déposé la semaine dernière par Assange est son dernier recours au sein du système judiciaire britannique. La question de sa santé étant rejetée, les audiences, si l'appel est accepté, se concentreront sur le caractère politique de la tentative de poursuites américaines et les innombrables abus qui se sont produits lors des poursuites d'Assange par les États-Unis.
Un communiqué de presse de WikiLeaks a expliqué que les motifs de l'appel comprennent :
* Julian Assange est poursuivi et puni pour ses opinions politiques
* Julian Assange est poursuivi pour un discours protégé
* La demande américaine viole le traité d'extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni et le droit international car elle concerne des délits politiques, qui sont exclus des motifs d'extradition.
* Le gouvernement américain a déformé les faits essentiels de l'affaire devant les tribunaux britanniques
* La demande d'extradition et les circonstances qui l'entourent constituent un abus de procédure
WikiLeaks a indiqué que l'appel d'Assange comprendrait également « des arguments selon lesquels la ministre de l'Intérieur Priti Patel a commis une erreur dans sa décision d'approuver l'ordonnance d'extradition pour des raisons de spécialité et parce que la demande elle-même viole l'article 4 du traité d'extradition américano-britannique ».
Dans une déclaration d'accompagnement, Stella Moris, l'épouse d'Assange, a déclaré : « Depuis la dernière décision, des preuves accablantes sont apparues prouvant que les poursuites américaines contre mon mari sont un abus criminel. Les juges de la Haute Cour vont maintenant décider si Julian a la possibilité de porter l'affaire contre les États-Unis devant un tribunal public, et dans son intégralité, lors de l'appel. »
L'appel, s'il est accueilli, prendra la forme d'une contestation de la décision de la juge du tribunal de première instance Vanessa Baraitser, rendue en janvier 2021. Lors de ces premières audiences, Baraitser a bloqué l'extradition pour des raisons de santé, qui ont été annulées par les juridictions supérieures en faveur des États-Unis. Sa décision a cependant confirmé les arguments de fond des États-Unis en faveur de l'extradition, établissant ainsi un précédent pour que les gouvernements poursuivent en justice ceux qui divulguent des informations qu’eux veulent garder secrets.
Ce précédent, si l'appel est accueilli, sera contesté devant les tribunaux.
Les preuves auxquelles Moris a fait référence, qui ont été révélées depuis le verdict de Baraitser au début de 2021, montre la demande d'extradition des États-Unis comme une feuille de vigne pseudo-légale pour une opération de séquestration impliquant des méthodes le plus souvent associées à des bandes criminelles organisées et violentes.
En juin 2021, Sigurdur « Siggi » Thordarson, un témoin américain vedette contre Assange, avoua qu'une grande partie de son témoignage était des mensonges proférés en échange de l'immunité contre les poursuites par le Federal Bureau of Investigation (FBI). Ces allégations restent néanmoins importantes dans l'acte d'accusation américain qui constitue la base de la demande d'extradition contre Assange.
Thordarson avait auparavant opéré comme taupe du FBI dans WikiLeaks. Avant sa dernière collaboration avec l'État américain, il avait été condamné en Islande pour pédophilie et détournement de fonds de WikiLeaks à hauteur de dizaines de milliers de dollars. Son aveu d'avoir menti pour l'acte d'accusation fut révélé par le bihebdomadaire Stundin en Islande, mais n'a jamais été rapporté dans la plupart des journaux occidentaux.
En septembre 2021, Yahoo! News publia un long article, révélant qu'en 2017 l'administration américaine du président Donald Trump et la Central Intelligence Agency (CIA) avaient discuté de l'enlèvement ou de l'assassinat d'Assange. À l'époque, l'éditeur de WikiLeaks était un réfugié politique internationalement reconnu résidant à l'ambassade d'Équateur à Londres.
Le reportage de Yahoo ! News était basé sur des informationsfournies par 30 anciens et actuels responsables du gouvernement et des services de renseignement américains. Son contenu n'a jamais été démenti. Mike Pompeo, directeur de la CIA de Trump, puis secrétaire d'État américain, a déclaré que les sources de Yahoo! Newsdevaient elles-mêmes être poursuivies pour des raisons de sécurité nationale, reconnaissant ainsi la véracité de leurs déclarations.
Pompeo a été convoqué plus tôt cette année par la Haute Cour nationale espagnole pour témoigner dans une affaire pénale contre UC Global, la société de sécurité privée qui aurait fonctionné comme complice secrète du renseignement américain à l'ambassade équatorienne. L'entreprise et ses dirigeants sont accusés d'une vaste opération d'espionnage illégale contre Assange pour le compte de la CIA, ainsi que d'avoir discuté de la mise en œuvre des plans de son enlèvement ou de son assassinat.
Pompeo n'a pas comparu devant le tribunal, bien que celui-ci ait annoncé une date limite pour sa comparution fin juin.
Plus important encore, ce n'est qu'après avoir prétendument envisagé de tuer ou d'enlever Assange à Londres, que les autorités américaines ont dressé un acte d'accusation contre lui. Il a été initialement conçu comme un mécanisme pour justifier sa séquestration par la CIA.
Il y a sans aucun doute d'immenses craintes à Washington, ainsi que dans le gouvernement et l'appareil d'État britanniques, sur la présentation de ce matériel en audience publique. C’est là une accusation accablante de la criminalité de la grande puissance impérialiste et de tous ses alliés, dont la Grande-Bretagne et l'Australie. Il n'y a donc aucune raison de supposer que la Haute Cour acceptera d'entendre l'appel.
Même si c'est le cas, les expériences de la dernière décennie ont montré que le système judiciaire britannique est un pilier clé de la persécution d'Assange. Il en va de même pour les principaux partis de tous les pays impliqués dans ces poursuites prolongées.
Aux États-Unis, l'administration Biden continue la demande d'extradition initialement déposée par Trump. En Grande-Bretagne, le gouvernement conservateur et l'opposition travailliste de Keir Starmer ont manifesté leur intense hostilité envers Assange.
En Australie, où Assange est né et dont il est citoyen, le gouvernement travailliste actuel a suivi le cours du précédent gouvernement libéral-national et de tous les gouvernements précédents. Il refuse d'utiliser ses pouvoirs diplomatiques et juridiques pour garantir la liberté d'Assange, renforçant bien plutôt l'alignement du pays sur les États-Unis dans leur confrontation avec la Russie et la Chine.
Cela souligne le fait que la défense d'Assange et la lutte pour sa liberté dépendent du développement d'un mouvement de la classe ouvrière, dirigé contre l'ensemble de l'establishment politique. La base d'un tel mouvement, ce sont les luttes de plus en plus explosives des travailleurs contre la flambée du coût de la vie, l'austérité et le tournant général des gouvernements vers l'autoritarisme, dont l'attaque contre Assange est un fer de lance.
(Article paru en anglais le 27 août 2022)