Les développements de la semaine passée en Australie constituent un avertissement pour la classe ouvrière à l’échelle internationale du passage rapide à des formes de gouvernement dictatorial alors que la classe capitaliste craint une explosion de l’agitation sociale et du mécontentement politique partout dans le monde.
Dans le dos de la population, et derrière la feuille de vigne du régime parlementaire, des décisions sans précédent ont été prises, renversant toute la rhétorique de la subordination du pouvoir exécutif aux représentants élus.
Beaucoup de choses restent cachées, mais jusqu’à présent, les révélations des médias bourgeois et de l’establishment politique ont montré qu’à partir de mars 2020, le premier ministre libéral-national de l’époque, Scott Morrison, a secrètement pris le contrôle conjoint d’au moins cinq ministères clés, agrégeant le pouvoir sur la santé, les finances publiques, l’industrie et l’appareil policier et de renseignement. Dans certains cas au moins, il semble que même les ministres responsables n’étaient pas au courant des mesures prises par Morrison.
L’Australie est régulièrement présentée, à tort, dans les médias bourgeois, comme une démocratie parlementaire stable. En outre, son élite dirigeante occupe une position centrale dans l’escalade des préparatifs de guerre et de provocations des États-Unis contre la Chine, dans une prétendue défense de la «démocratie» contre l’«autocratie».
Ce qui a été révélé, cependant, c’est la rapidité avec laquelle l’establishment politique a eu recours à des formes de gouvernement extra-parlementaires et de conspiration, alarmé par la perspective de troubles massifs dans la population, dès l’apparition de la pandémie mondiale de la COVID-19.
Par-dessus tout, la bourgeoisie craignait un mouvement de la classe ouvrière contre le refus des gouvernements de protéger la population, alors que les systèmes de santé s’effondraient, et aussi de fournir un soutien financier aux millions de travailleurs qui commençaient déjà à perdre leurs moyens de subsistance à mesure que la pandémie s’installait au niveau international.
Morrison a bénéficié de l’aide du gouverneur général David Hurley, représentant du monarque britannique qui est le chef d’État en Australie, et ancien chef des forces armées ayant des liens étroits avec les agences militaires et de renseignement, notamment des États-Unis et du Royaume-Uni. Hurley a secrètement nommé Morrison à ces postes cruciaux sans qu’aucun document public ne soit publié, et encore moins annoncé.
Cette action sans précédent a été suivie d’un jour à l’autre par la formation d’un «Cabinet national» anticonstitutionnel, semblable à un cabinet de guerre, réunissant les dirigeants des gouvernements des États et des territoires, la majorité appartenant au Parti travailliste, pour former ce qui était, en fait, un régime de coalition de facto. Parallèlement, le parlement fédéral tout comme ceux des États et des territoires ont ainsi dans les faits été fermés pendant des mois.
Délibérément protégé par la confidentialité, le secret et l’immunité à l’égard des lois sur la liberté d’information, le rôle central de ce Cabinet national inédit n’était pas de protéger la population, mais plutôt exactement le contraire – de bloquer les demandes des médecins, des enseignants et autres travailleurs, ainsi que les conseils des responsables de la santé publique, en faveur de mesures sanitaires urgentes, notamment l’arrêt des lieux de travail et la fermeture des écoles et des lieux de travail dangereux.
Dès le départ, la préoccupation de la classe dirigeante et de ses serviteurs politiques – travaillistes et libéraux-nationaux – a été de tromper le public sur la terrible menace qui pesait sur la santé et les vies, et d’empêcher toute restriction qui aurait un impact négatif sur les profits des entreprises.
Le souci primordial était d’étouffer et de réprimer l’opposition des travailleurs et des professionnels de la santé à mesure que la pandémie se propageait. Comme déclarait Morrison la semaine dernière, défendant de façon belliqueuse son agrégation de pouvoir: «La perspective de perturbations civiles, de nombreux décès et d’un effondrement économique était réelle.»
Des craintes similaires étaient présentes, et sont toujours présentes, au sein des classes dirigeantes à l’échelle internationale, alors que la pandémie se poursuit sans contrôle, alimentant et intensifiant le mécontentement de masse produit par la crise des coûts des aliments, du carburant et de la vie en général, le niveau toujours croissant d’inégalité sociale, les désastres produits par les changements climatiques et la plongée vers une troisième guerre mondiale impliquant des armes nucléaires.
Comme mettait en garde Léon Trotsky en 1929, face à la montée du fascisme, les interrupteurs et les fusibles de la démocratie bourgeoise sautent «sous une trop forte tension des classes et des antagonismes internationaux.» Faisant alors référence au fascisme italien, il écrivait: «la goutte commence au petit doigt de la main ou dans le gros orteil, mais une fois installée, elle se fraye la voie directement au cœur.»
Aujourd’hui, cette pourriture de la démocratie bourgeoise est la plus aiguë aux États-Unis, au cœur même de l’impérialisme mondial. Cela est clairement démontré par la tentative du président de l’époque, Donald Trump, le 6 janvier 2021, d’annuler les résultats de l’élection présidentielle de 2020 et de s’emparer du pouvoir, soutenu par des forces fascistes. Loin de disparaitre, cette menace perdure, aidée par la réponse inerte de l’administration Biden et du Parti démocrate.
Partout dans le monde, des développements similaires se produisent alors que la façade de la démocratie s’avère incapable de contenir les conflits de classe et géostratégiques – de l’effondrement du gouvernement Johnson au Royaume-Uni, à l’installation d’un régime répressif dirigé par Ranil Wickremesinghe au Sri Lanka, en passant par le retour effréné à la loi martiale aux Philippines sous le règne du président Ferdinand Marcos fils.
En Australie, l’actuel gouvernement travailliste du premier ministre Anthony Albanese et les médias bourgeois tentent désespérément de dissimuler l’étendue de ce qui s’est passé et d’en enterrer les implications politiques de grande portée, tout en conservant le Cabinet national comme mécanisme de gouvernement, toujours entouré du secret absolu.
La bourgeoisie craint que toute nouvelle révélation des véritables rouages de l’État capitaliste n’aggrave la désaffection et l’hostilité du public qui se sont manifestées lors des élections fédérales de mai, lorsque le vote combiné pour les deux principaux partis du pouvoir capitaliste – le Parti travailliste et la Coalition libérale-nationale – a atteint son niveau historique le plus bas.
Cette situation engendre une crise politique profonde. Les travaillistes ont pris le pouvoir avec le soutien électoral d’à peine un tiers des électeurs, mais ils ont l’intention de continuer à imposer l’aggravation du désastre pandémique avec son approche du «laisser-faire» (laissez la pandémie se propager sans entraves) axée sur le profit, tout en appliquant ce qui correspond aux plus grandes réductions de salaires réels par rapport à l’inflation galopante depuis la Grande Dépression des années 1930, en réduisant les dépenses sociales et en intensifiant les préparatifs pour rejoindre la campagne guerrière des États-Unis contre la Chine.
De façon absurde, les actions de Morrison sont attribuées à son «ego» ou à quelques supposées inclinations mégalomaniaques qu’il aurait. Mais on sait déjà qu’il a pris le contrôle de ministères puissants au su et avec l’accord de personnalités clés de l’appareil d’État, notamment du gouverneur général, du procureur général, du comité de sécurité nationale du cabinet, d’autres ministres et de hauts fonctionnaires. Rupert Murdoch et son empire étaient au courant puisque deux journalistes australiens en ont été informés depuis le début par Morrison même, alors qu’ils écrivaient un livre sur lui, intitulé Plagued, vantant ses prétendues réalisations, et qui n’a été publié qu’après les élections de mai.
Les dirigeants travaillistes qui collaborent constamment avec Morrison au sein du Cabinet national, devaient également être au courant. Albanese en personne a également travaillé en étroite collaboration avec Morrison et son gouvernement, offrant du coup un soutien bipartisan à toutes les grandes mesures adoptées tout au long de la pandémie.
Le rôle de Hurley dans cette crise politique est particulièrement significatif car, en tant qu’ancien chef militaire, il a, comme sir Peter Cosgrove, son prédécesseur vice-royal, des relations étroites avec les appareils militaires et de renseignement et leurs partenaires des États-Unis et du Royaume-Uni. L’implication centrale de Hurley, en tant que représentant de la Reine, dans l’accumulation de pouvoirs par Morrison signifie que des personnalités de premier plan dans l’ensemble de ces réseaux, y compris à Londres et à Washington, doivent avoir eu connaissance de ces processus et les avoir soutenus.
Morrison lui-même avait des rapports très chaleureux avec Trump, auquel il s’identifie politiquement. Morrison refuse ainsi catégoriquement de condamner la tentative de coup d’État de Trump du 6 janvier. Mais il a également agi rapidement afin d’établir des liens plus étroits avec la Maison-Blanche de Biden. C’est d’autant plus vrai que Biden a rapidement intensifié le conflit avec la Chine, ainsi que les demandes de Washington pour que le gouvernement australien joue un rôle inconditionnel et de premier plan dans la campagne agressive visant à réaffirmer l’hégémonie mondiale des États-Unis.
La deuxième vague d’auto-nominations ministérielles de Morrison est survenue en avril-mai 2021 dans le contexte de l’intensification des plans de guerre de la nouvelle administration Biden contre la Russie et la Chine, dans lesquels l’Australie joue un rôle clé et de première ligne. À peu près à la même époque, Biden convoquait la première réunion des dirigeants du quadrant antichinois (États-Unis, Japon, Inde et Australie) et tenait des discussions en coulisses avec Morrison et le premier ministre britannique Johnson sur l’alliance militaire AUKUS, visant ouvertement la Chine et annoncée par la suite en septembre 2021.
Sachant également qu’une vague pandémique encore plus meurtrière avec le variant Delta était à venir, détruisant du coup la première offensive de «réouverture économique» du Cabinet national, Morrison a pris le contrôle direct du Trésor et de deux super-portefeuilles – celui d’Industrie, Science, Énergie et Ressources et celui des Affaires intérieures, ce dernier commandant la Police fédérale australienne, l’Organisation australienne du renseignement de sécurité (ASIO) et la Force frontalière australienne.
Le WSWS a déjà demandé que toute la correspondance entre Morrison, le gouverneur général, les agences de renseignement américaines et australiennes et la direction du Parti travailliste, ainsi que les documents encore secrets du Cabinet national, soient immédiatement rendus publics afin de révéler la vérité derrière ces développements.
Les crises politiques précédentes en Australie ont vu la façade de la démocratie parlementaire balayée, révélant la faiblesse et la fragilité sous-jacentes du capitalisme australien. Chaque fois, les empreintes digitales de Washington sont apparues partout, reflétant la dépendance de la classe dirigeante australienne vis-à-vis du soutien de la principale puissance impérialiste.
Ainsi, en 1975, les «pouvoirs de réserve» du gouverneur général en vertu de la Constitution de l’ère coloniale de 1901, ont été déployés pour destituer le gouvernement travailliste de Gough Whitlam, qui n’avait pas réussi à contenir les grèves et les luttes de la classe ouvrière lors des éruptions sociales de 1968-1975 à travers le monde.
En 2010, comme prouveront plus tard les documents publiés par Julian Assange sur WikiLeaks, le premier ministre Kevin Rudd a été évincé, sous l’impulsion de sources américaines protégées au sein de la direction travailliste, après avoir proposé un accommodement à la montée de la Chine. Rudd a été remplacé par Julia Gillard, avec qui est venue l’alignement inconditionnel derrière le «pivot» Obama-Biden vers l’Asie pour affronter la Chine.
En 2018, Morrison lui-même était propulsé premier ministre, salué par Trump, après une nuit des longs couteaux au sein du Parti libéral contre Malcolm Turnbull, que Washington considérait comme insuffisamment fiable dans son offensive en développement contre la Chine.
Si Morrison n’a pas ouvertement utilisé les pouvoirs qu’il a agrégés, sauf à une occasion connue pour refuser l’approbation d’un projet controversé d’exploration pétrolière offshore, c’est parce que son gouvernement fait également appel aux dirigeants travaillistes et syndicaux pour réprimer la résistance des travailleurs à la réouverture homicide des écoles et des usines et à la réduction des emplois, des salaires et des conditions de travail.
En mai 2020, Morrison invitait secrètement la secrétaire de l’Australian Council of Trade Unions (ACTU), Sally McManus, à Kirribilli House, la résidence officielle du premier ministre à Sydney, pour des discussions privées sur la façon d’exploiter la pandémie afin de restructurer les relations industrielles. Le ministre des Relations sur les lieux de travail, Christian Porter, avait déjà, le mois précédent, appelé McManus sa «BFF» (meilleure amie pour toujours), affirmant aux employeurs: «Vous pouvez obtenir tout ce que vous voulez en collaborant».
Ces développements sont une mise en garde d’une évolution vers des formes de gouvernement dictatorial en Australie, tout comme aux États-Unis et ailleurs – jouissant de la complicité des machines travaillistes et syndicales – dans des conditions de tensions de guerre croissantes, de la catastrophe pandémique qui se poursuit, de la crise du coût de la vie et de la montée en flèche du niveau d’inégalités sociales.
(Article paru en anglais le 21 août 2022)