Le voyage de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, à Taïwan cette semaine a considérablement aggravé le conflit entre les États-Unis et la Chine, déclenchant la plus grande crise militaire dans le détroit de Taïwan depuis une génération.
Hier, Taïwan a été soumis à un véritable blocus militaire, la Chine effectuant des exercices à balles réelles tout autour de l’île. Deux porte-avions chinois ont fait route sur Taïwan ayant en face d’eux un groupe de combat de porte-avions américains et deux groupes d’intervention amphibies prêts à intervenir dans les eaux voisines.
Au milieu d'une crise militaire qui menace d'éclipser la guerre faisant actuellement rage avec la Russie en Ukraine, aucune figure médiatique américaine n'a sérieusement cherché à expliquer, et encore moins à poser, la question évidente de pourquoi la présidente de la Chambre des États-Unis, avec le soutien de la Maison Blanche, est allée à Taïwan ?
L’affirmation du porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby, que ce voyage ne changeait «rien» aux relations des États-Unis avec la Chine est manifestement absurde.
Les gouvernements Trump et Biden avaient désigné des actes que la Chine considérait comme des violations inacceptables de sa souveraineté et ont passé à leur exécution, l’un après l’autre, démantelant systématiquement une politique de la Chine unique qui régissait la normalisation des relations entre les États-Unis et la Chine depuis les années 1970.
Le président américain Joe Biden sait parfaitement, et la Chine l'en a averti publiquement, que si les États-Unis renoncent à la politique d'Une seule Chine, reconnaissant ainsi effectivement Taïwan comme nation indépendante, la Chine reprendra l'île militairement. Et Biden lui-même a promis d'entrer en guerre contre la Chine si cela se produit.
Autrement dit, le gouvernement Biden suit une ligne de conduite dont il sait pertinemment qu’elle conduira à un conflit militaire avec le pays le plus peuplé du monde. Biden veut, en fait ou en droit, un état de guerre avec la Chine, considérée à Washington comme la plus grande menace à la domination mondiale américaine.
En mars 2021, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré que Biden avait instruit le «Département de la Défense de considérer la Chine comme son défi de cadence». Blinken a ajouté: «La Chine est le seul pays qui possède la puissance économique, diplomatique, militaire et technologique pour défier sérieusement le système international stable et ouvert».
Les motivations géopolitiques américaines pour faire la guerre à la Chine ont été décrites par Elbridge Colby, principal auteur de la Stratégie de Défense nationale 2018, qui a déclaré mardi sur Twitter qu’un conflit avec la Chine au sujet de Taïwan «avait du sens pour les intérêts économiques concrets des Américains».
Colby met en garde, si la Chine n’est pas contenue militairement, contre un avenir où «elle aura une influence déterminante sur plus de 50 pour cent du PIB mondial. Elle sera le gardienne et le centre de l’économie mondiale». Et «le yuan sera la monnaie dominante».
Dans son livre «The Strategy of Denial » (La stratégie du déni), paru en 2021, Colby préconise une politique visant à pousser la Chine à l’action militaire. «Peut-être que la façon la plus claire et parfois la plus importante de s’assurer que la Chine soit perçue de cette façon [comme l’agresseur] est simplement de faire en sorte que c’est elle qui frappe la première. Peu d’intuitions morales humaines sont plus profondément ancrées que celle-ci : celui qui a commencé est l’agresseur et, par conséquent, il est celui qui est présumé avoir une plus grande part de responsabilité morale».
En d’autres termes, les États-Unis cherchent à établir toutes les «lignes rouges» de la Chine, à les franchir, puis à faire semblant d’être surpris quand la Chine répond par une action militaire.
Les objectifs géopolitiques de l’impérialisme américain ne sont qu’une composante de la campagne de guerre des États-Unis. Confrontée à une crise médicale, économique et sociale incontrôlable, la classe dirigeante américaine est anxieuse d’utiliser le conflit militaire comme moyen de garantir l’«unité nationale».
L’escalade du conflit avec la Chine s’accompagnera d’attaques radicales contre les droits sociaux et économiques de la classe ouvrière, et d’exigences que les travailleurs sacrifient leur niveau de vie au nom de l’effort de guerre.
Le plan de guerre dément et meurtrier de Biden a reçu le soutien de l’ensemble de l’establishment politique américain.
Mardi, le leader républicain du Sénat, Mitch McConnell, et vingt-cinq autres républicains du Sénat, ont déclaré dans un communiqué: «Nous soutenons le voyage de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, à Taïwan».
«La crise de Taïwan pointe à l’horizon», a déclaré un éditorial du Wall Street Journal, proche des républicains, ajoutant: «Les livraisons d’armes doivent se faire plus rapidement, et du type qui dissuaderait le plus une invasion potentielle».
Le sénateur Bob Menendez, président de la Commission des affaires étrangères du Sénat, a loué ainsi le voyage de Pelosi dans une tribune du New York Times: «Mme Pelosi a eu raison de ne pas laisser la Chine décider de qui peut ou ne peut pas visiter Taïwan».
Dans cette tribune, Menendez annonce que lui et le sénateur républicain Lindsey Graham allaient présenter un projet de loi intitulé «Loi sur la politique envers Taïwan 2022» qui multiplierait par 10 les dépenses militaires américaines pour armer Taïwan.
Menendez écrit :
Notre législation renforcerait la sécurité de Taïwan en fournissant près de 4,5 milliards de dollars d’aide à la sécurité au cours des quatre prochaines années et en reconnaissant Taïwan comme un «allié majeur non-OTAN» – une appellation forte pour faciliter des liens militaires et sécuritaires plus étroits. Elle élargirait également l’espace diplomatique de Taïwan par sa participation aux organisations internationales et aux accords commerciaux multilatéraux.
Cela marquerait la fin effective de la politique de la Chine unique aux États-Unis. Autrement dit, les démocrates adoptent la politique emblématique du gouvernement Trump.
Tandis que Biden s’efforce de provoquer une guerre avec la Chine, l’aile «progressiste» du Parti démocrate – les sénateurs Bernie Sanders et Elizabeth Warren – gardent le silence sur le voyage de Pelosi, refusant de répondre aux questions directes des journalistes.
Mais les déclarations de son conseiller en politique étrangère, Matt Duss, qui a soutenu pleinement les objectifs du renforcement militaire américain dans une interview à The Intercept, ont clairement montré l'attitude de Sanders.
Duss a préconisé «d’améliorer la sécurité de Taïwan» et «de donner la priorité… à la sécurité et l’auto-défense de Taïwan».
Il a condamné «l’inflation galopante des menaces» de ceux qui mettaient en garde contre les conséquences du voyage de Pelosi à Taïwan, et précisé que «s’engager dans un schéma d’inflation de menaces concernant Taïwan [était] contre-productif».
En d’autres termes, ceux qui avertissent que les actions de Pelosi menacent l’humanité tout entière sont le véritable problème, et non la pyromane Pelosi et l’armée américaine. L’interview de l’Intercept condamne les «progressistes» qui présentent la «relation États-Unis-Chine comme étant principalement liée aux actions américaines alors qu’il y a eu, vous savez, une montée de l’autoritarisme en Chine».
Ces déclarations montrent une fois de plus clairement qu’aucune section du Parti démocrate ou de l’establishment politique américain ne s’oppose sérieusement au militarisme américain, peu importe combien irresponsables ou dangereuses sont les actions de la Maison-Blanche.
Face au soutien de tout l’establishment politique américain pour l’escalade militaire visant la Chine, c’est la classe ouvrière qui constitue la base sociale de la lutte contre la guerre. Les travailleurs, qui sont déjà confrontés à une crise massive du coût de la vie et à une récession imminente, doivent rejeter les «sacrifices» au nom de la campagne xénophobe anti-chinoise des États-Unis, et s’unir à leurs collègues ouvriers chinois dans la lutte contre la guerre.
(Article paru d’abord en anglais le 4 août 2022)