Les chambres basse et haute du parlement allemand, le Bundestag et le Bundesrat, ont voté à une large majorité vendredi l’admission de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN. L’Allemagne est ainsi l’un des premiers pays à ratifier officiellement l’élargissement vers le nord de l’alliance militaire, décidé au sommet de l’OTAN à Madrid.
Avec l’admission de la Finlande et de la Suède, l’OTAN crée en Scandinavie et dans toute la région de la mer Baltique un nouveau front dans sa guerre contre la Russie. Cela accroît encore le risque d’une guerre totale contre une puissance dotée de l’arme nucléaire, qui pourrait coûter des millions de vies et détruire l’ensemble de l’Europe.
La veille du vote, le Parlement finlandais a adopté une loi visant à fortifier massivement la frontière terrestre avec la Russie, longue de plus de 1.300 kilomètres. L’objectif de cette loi est «d’améliorer la capacité opérationnelle des gardes-frontières à répondre aux menaces hybrides [de la Russie]», a déclaré Anne Ihanus, conseillère principale au ministère de l’Intérieur.
En agissant de la sorte, l’OTAN met aussi en marche une dangereuse spirale du réarmement en Europe du Nord. Si «des contingents et des infrastructures militaires étaient déployés en Finlande et en Suède», la Russie serait obligée de répondre de la même manière, a averti le président russe Vladimir Poutine durant le sommet de l’OTAN.
Cette politique de guerre est néanmoins,soutenue par l’ensemble de la classe dirigeante. Outre les partis au pouvoir, sociaux-démocrates (SPD), libéraux-démocrates (FDP) et Verts, ceux de l’opposition, les chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et le parti fasciste Alternative pour l’Allemagne (AfD) ont eux aussi soutenu l’admission de la Finlande et de la Suède. Seul le Parti de gauche a voté contre, mais en indiquant clairement qu’il soutenait lui aussi l’élargissement de l’OTAN.
Dans son discours, le porte-parole du Parti de gauche pour la politique étrangère, Gregor Gysi, a fait l’éloge de la Suède et de la Finlande. Elles avaient «fait beaucoup au cours des dernières décennies en tant qu’États militairement neutres». Mais la Russie avait alors «attaqué l’Ukraine en violation du droit international. C’est pourquoi nous devons respecter un tel besoin de sécurité».
Gysi a ajouté cyniquement qu’il voulait en fait recommander au groupe parlementaire du Parti de gauche non pas de rejeter les nouvelles adhésions à l’OTAN, mais de s’abstenir. «Le prix que la Suède, la Finlande et l’ensemble de l’OTAN (…) doivent payer à la Turquie», était cependant «trop élevé». Il avait donc «conseillé à son groupe de voter contre». Mais il savait «que d’autres députés sont également critiques vis-à-vis de tout cela».
Cette déclaration est aussi révélatrice que sans ambiguïté. En fait, le Parti de Gauche soutient la guerre de l’OTAN contre la Russie. Il l’a déjà fait savoir à son récent congrès d’Erfurt, où de nombreux orateurs se sont prononcés en faveur des livraisons d’armes à l’Ukraine, offrant même une tribune à des organisations ukrainiennes dont les membres luttent directement contre la Russie et réclament davantage «d’aide militaire allemande à l’Ukraine».
C’est exactement ce qui se passe actuellement. Dans son discours, la ministre de la Défense, Christine Lambrecht (SPD), a ouvertement admis que l’élargissement de l’OTAN vers le nord faisait partie d’une offensive militaire globale contre la Russie.
«Le renforcement supplémentaire de nos capacités de dissuasion et de défense à la frontière orientale de l’OTAN est déjà décidé et mis en œuvre», s’est-elle vantée. Le président américain Joseph Biden avait «pour la deuxième fois depuis son entrée en fonction décidé d’augmenter la présence des troupes américaines en Europe, réaffirmant ainsi clairement l’engagement de l’Amérique en Europe». Après «des décennies de coupes et de démantèlement», a-t-elle ajouté, «les dépenses de défense des alliés augmentent à nouveau». Et l’Allemagne avait «apporté une contribution très importante aux forces armées (Bundeswehr) avec le fonds spécial de 100 milliards d’euros».
Lambrecht a souligné que la semaine dernière, les 30 États membres de l’OTAN avaient « doté leur alliance d’un nouveau concept stratégique» qui «répondait à la menace russe» et envisageait « également les risques et les défis de l’avenir». L’adhésion de la Finlande et de la Suède devait être considérée «dans ce large contexte». Cela convenait «à une alliance en transition, qui se donne les moyens de continuer d’être le garant décisif de la sécurité à l’avenir», a-t-elle ajouté.
Lambrecht a choisi de ne pas entrer dans des détails plus concrets sur ce que l’OTAN entend par «sécurité» et «se donner les moyens pour l’avenir»: la préparation à une troisième guerre mondiale nucléaire.
Le nouveau concept stratégique de l’OTAN déclare: «Nous fournirons individuellement et collectivement l’éventail complet des forces (…) nécessaires à la dissuasion et à la défense, y compris la guerre trans-dimensionnelle de haute intensité contre des concurrents pairs possédant des armes nucléaires».
L’Allemagne joue un rôle central dans cette folie. Immédiatement après le sommet de l’OTAN, le chancelier fédéral Olaf Scholz (SPD) a annoncé que la Bundeswehr allait «maintenir en permanence une division blindée de l’ordre de 15.000 soldats pour la défense de l’Europe du Nord-Est, plus de 60 avions et jusqu’à 20 unités navales» pour faire avancer la guerre. Cette division fait partie de la Force de réaction de l’OTAN (NRF), qui passera de 40.000 à plus de 300.000 soldats.
En outre, «une brigade de combat», c’est-à-dire jusqu’à 5.000 soldats, sera préparée «exclusivement pour la défense du territoire de l’alliance en Lituanie» et un «commandement naval régional pour la région de la mer Baltique» sera mis en place afin de «pouvoir assumer la responsabilité du leadership dans le secteur maritime».
La classe dirigeante allemande voit dans l’offensive de l’OTAN l’occasion de mettre en œuvre des plans de réarmement de longue date et de redevenir la première puissance militaire en Europe et à l’international après avoir perdu deux guerres mondiales. Le gouvernement allemand travaille spécifiquement à accroître le poids germano-européen au sein de l’OTAN et à organiser le continent sous la direction militaire de Berlin.
«L’empreinte européenne dans l’OTAN» serait «encore plus grande» avec l’adhésion de la Finlande et de la Suède, a déclaré Lambrecht au Bundestag. Pour l’Union européenne où l’Allemagne fixe déjà l’agenda politique et économique, c’était «une décision importante, une bonne décision.» Au total, «23 des 27 membres (de l’UE) avaient adhéré à l’alliance» et les chances d’une «coopération intensive» étaient «beaucoup plus grandes en conséquence».
Le gouvernement ne le dit pas ouvertement, mais il est clair que l’impérialisme allemand se prépare également en coulisses à une confrontation avec les États-Unis dans la lutte pour le contrôle et le pillage de l’Europe de l’Est et de l’Eurasie.
Le président d’honneur du parti d’extrême droite AfD, Alexander Gauland, a salué la décision du gouvernement allemand de soutenir l’admission de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN comme étant de la «realpolitik au meilleur sens du terme». Si leur adhésion entraînait «que le poids européen déterminerait plus à l’avenir la politique de l’OTAN que les intérêts géostratégiques très différents des États-Unis, souvent contradictoires aux intérêts européens, cela aurait un effet positif supplémentaire».
Le politicien de la défense de l’AfD et colonel retraité de la Bundeswehr, Rüdiger Lucassen, a été encore plus clair dans son discours.
«Une OTAN européenne est une nécessité pour libérer l’Europe de l’étau des grandes puissances. La Suède et la Finlande peuvent y contribuer. En guise de cadeau de bienvenue, le gouvernement fédéral devrait enfin faire suivre ses nombreuses paroles d’actes. L’objectif doit être de faire de la Bundeswehr l’armée la plus forte d’Europe et d’en prendre la tête. L’autonomie stratégique n’est pas donnée, il faut la prendre», a-t-il déclaré.
Les discours des politiciens de l’AfD ne sont pas les seuls à rappeler les périodes les plus sombres de l’histoire allemande. Quatre-vingt-un ans après la guerre d’extermination menée par l’Allemagne contre l’Union soviétique, les orateurs se sont succédé pour fulminer contre la Russie. Selon Alexander Graf Lambsdorff (FDP), la politique étrangère de Moscou est «expansionniste, révisionniste et, en fait, violente». Johann David Wadephul, de la CDU, a accusé le Kremlin de «formuler des revendications géographiques impériales de grande envergure».
En fait, c’est exactement là le but de la politique étrangère des puissances impérialistes. L’invasion russe de l’Ukraine est réactionnaire, mais elle est en fin de compte une réaction désespérée du régime capitaliste de Poutine à la politique de guerre impérialiste des puissances de l’OTAN. Celles-ci mènent une guerre presque sans interruption depuis 30 ans et ont détruit des pays entiers – en plus de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Libye, des pays situés en Europe même.
L’impérialisme allemand y a joué un rôle central dès le début. Il y a trente ans, à l’instigation de l’Allemagne et des États-Unis, la reconnaissance de l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie a d’abord déclenché une terrible guerre civile dans l’ex-Yougoslavie. En 1999, le bombardement de la Serbie par l’OTAN a abouti à la sécession violente du Kosovo. Cette offensive impérialiste dans les Balkans se poursuit elle aussi. Vendredi, le Bundestag a prolongé les opérations de la Bundeswehr au Kosovo et le retour de la mission de l’UE en Bosnie-Herzégovine.
(Article paru d’abord en anglais le 11 juillet 2022)