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Les syndicats qui représentent 70.000 membres du personnel hospitalier de première ligne en Ontario et leur employeur – à toutes fins utiles, le gouvernement provincial conservateur dirigé par Doug Ford – se préparent à imposer des contrats à rabais dès qu’ils auront permis aux membres de se défouler avant les élections provinciales de jeudi.
Depuis juillet dernier, les travailleurs hospitaliers – membres du Conseil ontarien des syndicats hospitaliers du Syndicat canadien de la fonction publique (COCHU-CUPE) et de l’Union internationale des employés de service (UIES) – sont engagés dans une lutte acharnée pour obtenir des niveaux de personnel adéquats, des augmentations de salaire correspondant aux taux d’inflation actuels, de meilleurs soutiens en santé mentale et une protection du lieu de travail contre la COVID-19 et d’autres maladies hautement infectieuses, y compris un accès adéquat à de l’équipement de protection individuelle. Les conventions collectives entre le SCFP et l’UIES et l’Association des hôpitaux de l’Ontario (AHO) ont expiré, respectivement, en septembre et décembre derniers.
En raison du système de relations de travail anti-ouvrières de l’Ontario, que le SCFP, l’UIES et toute la bureaucratie syndicale soutiennent et font respecter, les travailleurs de la santé n’ont pas le droit de grève. Si les questions en litige ne sont pas réglées d’ici juin, les conditions d’emploi de dizaines de milliers de travailleurs de la santé seront déterminées par un arbitre nommé par le gouvernement.
L’OCHU-CUPE a annoncé à la mi-mai que les négociations avaient été rompues avec l’AHO, qui représente 154 hôpitaux publics de la province. Selon le SCFP, l’AHO refuse de répondre aux demandes des travailleurs concernant des augmentations salariales proportionnelles à la hausse du coût de la vie et de meilleures protections en matière de santé et de sécurité, et exige des concessions dans d’autres domaines.
Les salaires réels des travailleurs hospitaliers n’ont cessé de s’éroder depuis que le gouvernement conservateur de droite a mis en œuvre le projet de loi 124. Adopté en novembre 2019, le projet de loi 124 a plafonné les augmentations de salaire de plus d’un million de travailleurs du secteur public provincial à 1% par an pendant trois ans. Alors que le taux d’inflation officiel n’a jamais été aussi élevé depuis 31 ans (près de 7%) et que les prix des aliments, de l’énergie et d’autres produits essentiels augmentent encore plus rapidement, une «augmentation» salariale de 1% signifierait une baisse de salaire réel de l’ordre de 6% pour la seule première année des contrats des travailleurs hospitaliers.
L’écrasante majorité des travailleurs hospitaliers a catégoriquement rejeté l’offre de contrat pourrie de l’OHA, qui est basée sur le plafond salarial anti-travailleur du projet de loi 124. Un sondage réalisé au début du mois par le SEIU, qui représente 17.000 travailleurs hospitaliers, a montré que 96% d’entre eux sont favorables au rejet de l’offre de l’OHA. De plus, la moitié d’entre eux (50%) ont déclaré que si le projet de loi 124 n’était pas abrogé, ils démissionneraient et chercheraient un emploi à l’extérieur du système hospitalier de l’Ontario afin d’obtenir un meilleur salaire.
Les conditions de travail pénibles, voire punitives, auxquelles est confronté le personnel hospitalier en raison de la pénurie chronique de personnel résultant de décennies d’austérité, se sont considérablement aggravées pendant la pandémie. En raison des politiques désastreuses de retour au travail et à l’école mises en œuvre par tous les niveaux de gouvernement, le Canada a connu six vagues successives d’infections et de décès massifs. Le système hospitalier de l’Ontario a été submergé à plusieurs reprises par l’afflux massif de patients atteints de COVID-19, ce qui a obligé à reporter des chirurgies et d’autres procédures médicales vitales et a poussé les travailleurs à leurs limites physiques et mentales. Le bilan officiel du Canada pour la COVID-19 s’élève maintenant à plus de 40.000 décès, dont plus de 13.200 en Ontario.
Depuis le début de la pandémie, il y a eu plus de 30.000 infections à la COVID-19 et plus de 17 décès parmi les travailleurs de la santé de l’Ontario. Du 14 janvier 2022 au 16 février 2022, les infections à la COVID-19 chez les travailleurs de la santé sont passées de 28.336 à 34.662, un pic énorme associé au rationnement de l’équipement de protection individuelle et au fait de forcer les travailleurs infectés à travailler pendant ce qui était jusqu’alors reconnu comme la période d’isolement nécessaire.
L’implacable crise tous azimuts des soins de santé, produit de décennies de compressions par tous les gouvernements, peu importe le parti, a alimenté un exode des travailleurs de la santé hors de la profession. L’Ontario a actuellement le plus faible ratio d’infirmières autorisées du pays travaillant dans le domaine des soins directs, et un arriéré de près de 22 millions de services de soins de santé, dont 1 million de chirurgies.
Les postes vacants s’accumulent dans les hôpitaux de la province, le SCFP faisant état de 32.000 postes ouverts dans les établissements de soins infirmiers et de soins résidentiels et de 10.350 autres dans les soins ambulatoires. Le taux de postes vacants dans les hôpitaux de la province a presque quadruplé depuis 2015. Au cours des deux dernières années, les postes vacants d’infirmières autorisées ont plus que doublé et ceux d’infirmières auxiliaires autorisées ont plus que triplé. La solution de Ford, après une vaste campagne d’austérité et de privatisation, a été de vanter une maigre prime de rétention de 5000 $ pour les infirmières.
Des rassemblements organisés par le SCFP pour demander l’abrogation du projet de loi 124, qui mettrait fin aux plafonds salariaux imposés par le gouvernement dans le secteur public, ont lieu dans toute la province. L’attitude frauduleuse du syndicat sur cette question permet aux membres de se défouler sans poser de menace réelle à la volonté du gouvernement et de l’OHA d’imposer des réductions salariales en termes réels. Le syndicat sait parfaitement qu’en juin prochain, un conseil d’arbitrage truqué et favorable à l’employeur sera chargé de régler toutes les questions contractuelles en suspens. Les travailleurs hospitaliers n’auront même pas le droit de voter sur les nouvelles «conventions collectives» qui les lieront pour les deux prochaines années.
Avec l’aide des syndicats, les gouvernements et les sociétés du Canada ont de plus en plus recours à l’arbitrage obligatoire pour imposer des reculs contractuels face à la colère et au militantisme croissants des travailleurs, en particulier dans les secteurs et les industries jugés «essentiels». Parmi les exemples récents, citons les grèves des cheminots du Chemin de fer Canadien Pacifique et de la gare Union de Toronto, qui ont été brusquement interrompues par les syndicats et dont toutes les questions en suspens ont été soumises à l’arbitrage exécutoire, privant ainsi les travailleurs de tout droit de vote sur leurs futures conditions d’emploi et de tout droit légal de mener des actions collectives pendant des années.
Bien que le projet de loi 124 ait été adopté il y a plus de deux ans et que plus d’un million de travailleurs – y compris les enseignants, les travailleurs municipaux et les employés des gouvernements provinciaux – aient déjà été soumis au plafond salarial de 1%, les syndicats n’ont organisé aucune lutte contre celui-ci. Tout en prétendant s’opposer au plafonnement des salaires, les bureaucrates syndicaux ont signé à maintes reprises des contrats pour l’appliquer. Il n’a jamais été question d’une action de grève commune contre la loi 124. Au lieu de cela, les syndicats ont organisé une poignée de rassemblements et de manifestations symboliques contre le projet de loi 124.
Récemment, la Fédération du travail de l’Ontario, le SCFP et d’autres syndicats ont dénoncé plus vigoureusement le projet de loi 124 dans le but d’apaiser la colère croissante de la base face à la flambée des prix. Leur campagne contre le projet de loi 124 s’inscrit également dans le cadre de leurs efforts visant à obtenir un soutien pour les soi-disant «partis progressistes», le NPD et les libéraux, lors des élections provinciales du 2 juin.
Si les syndicats s’opposent au projet de loi 124 et, plus généralement, au gouvernement Ford, ce n’est pas parce qu’il impose des réductions de salaire en termes réels aux travailleurs du secteur public et sabre les services publics. Au cours des quatre dernières décennies, les syndicats ont renoncé à toute association avec les luttes de la classe ouvrière et se sont intégrés de plus en plus complètement au patronat et à l’État. Ce qu’ils n’apprécient pas, c’est que le gouvernement conservateur soit moins enclin que les deux autres partis traditionnels à utiliser leurs services en tant que «partenaires» corporatistes pour imposer le programme de la classe dirigeante, les privant ainsi de certains de leurs avantages et de leur influence.
Les néo-démocrates et les libéraux se sont engagés à annuler le projet de loi 124 s’ils arrivent au pouvoir après le vote de jeudi. Ces promesses sont totalement fausses. Premièrement, aucun des deux partis ne propose d’annuler les conventions collectives déjà négociées qui ont imposé le plafond salarial de 1% de Ford sur trois ans, que ce soit entièrement ou, selon la durée de l’accord, partiellement. Deuxièmement, aucun des deux partis ne promet de rétablir les salaires réels ou le pouvoir d’achat des travailleurs du secteur public dans leurs futurs contrats.
La promesse du NPD et des libéraux d’annuler le projet de loi 124 repose plutôt sur le calcul que le programme d’austérité et de restriction salariale de la classe dirigeante dans le secteur public peut être réalisé plus efficacement par la coopération avec les syndicats plutôt que par un décret gouvernemental. Ils reconnaissent également que les restrictions salariales dans le système de soins de santé ont été si sévères ces dernières années qu’elles ont gravement exacerbé les pénuries chroniques de personnel, menaçant le système d’effondrement; et que la compensation salariale, y compris par le biais de primes et d’accords de productivité anti-travailleurs, doit être augmentée au-delà du plafond de 1 pour cent pour retenir et attirer suffisamment de personnel.
Lorsque les libéraux étaient au pouvoir en Ontario, ils ont imposé un gel des dépenses de quatre ans sur le financement des hôpitaux entre 2012 et 2016, avec le soutien du NPD, ce qui a eu un impact dévastateur sur les hôpitaux de l’Ontario. Entre 2013 et 2016, le gouvernement Wynne a supprimé des milliers d’emplois dans les hôpitaux, notamment des postes d’infirmières.
Ailleurs, les syndicats jouent un rôle tout aussi sinistre. En juin dernier, le syndicat des infirmières du Québec, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), a fait passer un accord de capitulation qu’il a conclu avec le gouvernement Legault ultraconservateur du Québec, malgré la colère généralisée des travailleurs contre les termes du contrat, qui comprenait des «augmentations» salariales dérisoires. Le contrat de trois ans exclut toute mesure sérieuse pour combattre les pénuries chroniques de personnel, perpétue un régime punitif d’heures supplémentaires obligatoires et maintient les décrets ministériels «d’urgence» COVID-19 qui donnent au gouvernement des pouvoirs extraordinaires pour dicter les conditions de travail dans le secteur des soins de santé.
Une véritable lutte pour de meilleurs salaires et conditions de travail dans les hôpitaux ne peut être menée que par la formation de comités de la base dirigés par les travailleurs hospitaliers eux-mêmes, et indépendants des partis politiques de l’establishment et de leurs laquais syndicaux, qui servent tous les intérêts des grandes entreprises. Cette lutte doit être reliée à celle des autres travailleurs de la santé au Canada et aux États-Unis, où des dizaines de milliers d’infirmières ont fait grève au cours des derniers mois pour obtenir des améliorations salariales et des conditions de travail, afin de mobiliser toute la force collective de la classe ouvrière contre les réductions des dépenses sociales et les lois anti-grèves, et pour défendre les emplois, les salaires et les services publics.
(Article paru en anglais le 30 mai 2022)