Le Royaume-Uni annonce une politique brutale pour « délocaliser » les réfugiés au Rwanda

Le Premier ministre Boris Johnson et la ministre de l'Intérieur Priti Patel ont annoncé hier les détails de leur plan de « délocalisation » du traitement des demandeurs d'asile.

Aggravant un système d'immigration déjà draconien, la plupart des réfugiés et demandeurs d'asile qui trouvent le moyen de se rendre en Grande-Bretagne n'ont désormais aucune chance d’y trouver refuge. Ils seront, quelques jours après leur arrivée, transportés par avion à 4 000 milles vers le Rwanda, un pays enclavé d’Afrique centrale.

La ministre britannique de l'Intérieur, Priti Patel, et le ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Vincent Biruta , signent le partenariat pour la migration et le développement économique (source Priti Patel/Twitter) [Photo: Priti Patel/Twitter]

Le ministère de l'Intérieur a déclaré que les personnes considérées comme étant arrivées illégalement se verront refuser l'asile et seront détenues dans une ancienne base militaire, avant d'être transportées par avion avec un « billet sans retour » vers le Rwanda. « Une fois au Rwanda, ils ne seront plus sous la juridiction du Royaume-Uni et soumis aux règles de ce pays sur les réfugiés, sans aucun droit juridique de retourner en Grande-Bretagne», fait remarquer le Daily Mail. S'ils sont jugés par le Rwanda comme n'ayant pas de demande d'asile légitime, ils seront expulsés vers leur pays d'origine. S'il s'avère qu'ils ont une demande valable, ils seront autorisés à rester au Rwanda pendant cinq ans.

Il n'y a pas de limite au nombre de réfugiés qui peuvent être envoyés au Rwanda, Johnson se vantant dans son discours que « l'accord que nous avons conclu n'est pas plafonné et que le Rwanda aura la capacité de réinstaller des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir ».

Le système de délocalisation a été initié par l'Australie, qui commença à détenir des demandeurs d'asile dans des centres de détention sur le petit pays insulaire de Micronésie, Nauru, et l'île de Manus en 2001. Des milliers de personnes y ont été détenues, l'Australie rendant l'opération permanente, malgré la somme stupéfiante de 12 milliards de dollars dépensés jusqu'en 2021, en juste les huit ans.

Un objectif central de l'accord avec le Rwanda est de dissuader tous les migrants et réfugiés se dirigeant vers la Grande-Bretagne par la menace d'être expédiés vers l'un des pays les plus pauvres du monde.

Avant même que le premier réfugié ne soit expulsé du pays, Johnson a chargé le ministère de la Défense de surveiller la Manche et de détenir ceux qui tentent de gagner la Grande-Bretagne en canots et autres embarcations fragiles.

Johnson a déclaré que pour « identifier, intercepter et enquêter sur ces bateaux, à partir d'aujourd'hui, la Royal Navy prendra le relais du commandement opérationnel de la Border Force dans la Manche, assurant la primauté pour notre réponse opérationnelle en mer [...] dans le but qu'aucun bateau ne se rende au Royaume-Uni sans être détecté ».

Le Telegraph a cité une source gouvernementale faisant cette menace: « Vous allez être accueilli par l'armée. Ils vous conduiront à l'aéroport et vous enverront directement au Rwanda. C'est là que vous allez terminer votre voyage dans l’espoir que cela suffira à dissuader les migrants. »

Le Rwanda a l'un des bilans les plus épouvantables de la planète en matière de droits de l'homme. Il y a moins de deux décennies, dans une guerre menée par un régime ethnique hutu soutenu par la France le pays a vu l'extermination d'entre 800 000 et un million de personnes, principalement de la minorité ethnique tutsi.

Human Rights Watch dit du Front patriotique rwandais au pouvoir qu'il « continue de cibler ceux qui sont perçus comme une menace pour le gouvernement. Plusieurs détracteurs de premier plan ont été arrêtés ou menacés et les autorités s'abstiennent régulièrement de mener des enquêtes crédibles sur des cas de disparitions forcées et de décès suspects d'opposants au gouvernement. La détention arbitraire, les mauvais traitements et la torture dans les centres de détention officiels et non officiels sont monnaie courante, et les normes d’une justice équitable sont régulièrement bafouées dans de nombreuses affaires politiques sensibles, où des accusations liées à la sécurité sont souvent utilisées pour poursuivre des critiques bien en vue du gouvernement ». 

L’arrangement a fait l’objet d’au moins trois ans de préparation – Patel en a fait sa politique phare – pour empêcher quelques milliers de personnes arrivant chaque année par la dangereuse route de la Manche de demander l'asile en Grande-Bretagne. C'est la base de son projet de loi sur la nationalité et les frontières, actuellement en cours d'examen au parlement, qui détruit les principes de base de la Convention de 1951 sur les réfugiés obligeant les pays signataires à offrir l'asile à ceux qui fuient la guerre ou la persécution.

Il y eut au ministère de l'Intérieur des discussions initiales sur un déplacement des migrants vers des plates-formes pétrolières déclassées en mer du Nord et sur d'anciens ferries au large des côtes britanniques pour le traitement administratif. Une multitude de pays et de lieux ont été envisagés pour la délocalisation, notamment l'Albanie, Gibraltar, l'île de Wight et un autre État africain, le Ghana. L'envoi de réfugiés sur l'île volcanique inhospitalière de l'Ascension, à plus de 4 000 milles dans l'océan Atlantique Sud, a également été évoqué.

La Grande-Bretagne a l'intention de délocaliser sa politique anti-réfugiés pour pas cher, le Rwanda ne recevant qu'environ 120 millions de livres sterling sur cinq ans dans le cadre de l'accord. Ce pays pauvre et déchiré par la guerre accueille déjà 130 000 réfugiés. La BBC, qui a «vu les logements dans lesquels les demandeurs d'asile seraient hébergés », a rapporté qu'on « estimait qu'il y avait suffisamment d'espace pour environ 100 personnes à la fois et pour en traiter jusqu'à 500 par an ».

Rien de tout cela n'a d'importance pour la Grande-Bretagne. Johnson a annoncé une rafle de migrants qui seront immédiatement expulsés, avertissant « qu’à partir d'aujourd'hui, notre nouveau partenariat pour la migration et le développement économique signifiera que toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni – ainsi que celles qui sont arrivées illégalement depuis le 1er janvier – peut maintenant être transféré au Rwanda ».

Au total, un demi-milliard de livres supplémentaires sera dépensé pour intensifier la répression contre les hommes, femmes et enfants fuyant des pays dévastés par les guerres impérialistes et les guerres par procuration soutenues par le Royaume-Uni, notamment l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, la Libye et le Soudan.

S'adressant aux troupes et agents des garde-côtes dans un aéroport près de Douvres, le Premier ministre Boris Johnson a déclaré : « Si vous venez ici illégalement de l'autre côté de la Manche… alors vous serez transféré de Douvres, de ce pays, au Rwanda et les Rwandais s'occuperont de vous. Nous espérons que cela dissuadera fortement les personnes qui traversent la Manche. » (Source : capture d'écran du clip vidéo – Boris Johnson/Twitter)

La Royal Navy, a déclaré Johnson, « sera soutenue par un nouveau financement de 50 millions de livres sterling pour de nouveaux bateaux, de la surveillance aérienne et du personnel militaire en plus de la force existante de navires de patrouille, d'hélicoptères Wildcat, d'avions de recherche et de sauvetage, de drones et d'avions télé-pilotés ».

«Les gens qui réussissent à venir au Royaume-Uni ne seront pas emmenés dans des hôtels aux frais de l'État, mais seront plutôt hébergées dans des centres d'hébergement comme ceux de la Grèce, le premier d'entre eux devant ouvrir ses portes sous peu. Dans le même temps, nous agrandissons nos centres de détention pour migrants, afin d'aider à l'expulsion de ceux qui n'ont pas le droit de rester au Royaume-Uni. »

Patel s'est rendue en Grèce l'année dernière pour examiner son infrastructure anti-immigration, (article en anglais) se déclarant impressionnée par le système répressif en place, y compris un camp de détention bientôt opérationnel sur l'île de Samos.

Personne ne sera épargné. Le Times a rapporté jeudi qu'un briefing avait laissé entendre que la politique rwandaise ne s'appliquerait qu'aux migrants de sexe masculin, mais dans l'après-midi, Sky News a rapporté : « Il a été indiqué que les enfants et les mineurs ne seront pas inclus, en référence à un briefing antérieur selon lequel ce serait seulement des hommes célibataires, mais on nous dit que cela n'est pas forcément correct.

L'accord avec le Rwanda, bien qu'en place depuis des semaines, a été annoncé maintenant dans le but de renforcer le soutien de Johnson dans la base droitière de son parti. Mais cela pourrait finir par aider Patel en tant qu’adversaire potentiel, étant donné que Johnson et son ministre des Finances Rishi Sunak ont reçu des amendes de la police londonienne cette semaine pour avoir participé à des fêtes illégales durant la pandémie. Elle a annoncé la politique ultime pour rassasier les couches droitières déchaînées dans les rangs conservateurs. Le député Bill Wiggin a déclaré à propos de la politique d'immigration qu’il souhaitait: « Nous voulons des Ukrainiens, nous voulons des Qataris, nous ne voulons pas de gens dans des bateaux pneumatiques. »

Johnson fait appel à ces couches en déclarant que l'initiative a été « rendue possible par les libertés du Brexit » qu'il avait obtenues. Son gouvernement était prêt à combattre toute contestation judiciaire par ce qu'il a appelé une « formidable armée d'avocats politiquement motivés ».

Le Parti travailliste d'opposition n'a aucune divergence de fond sur cette brutale persécution des migrants et des réfugiés. Son chef Sir Keir Starmer a axé son opposition à l'accord avec le Rwanda sur la critique qu’il serait trop coûteux et « irréalisable ». Le blairiste de droite Chris Bryant a tweeté: « Le plan du Rwanda coûtera plus cher que de les loger au Ritz. »

(Article paru en anglais le 15 avril 2022)

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