Alors que l’OTAN continue d’intensifier témérairement la guerre en Ukraine, il est grand temps de poser deux questions au président Biden: 1) Quand avez-vous déclaré dans votre campagne présidentielle que vous risqueriez une guerre nucléaire avec la Russie? 2) Sur la base des renseignements qui vous ont été fournis par les conseillers du Pentagone et de la CIA, combien de centaines de millions, voire de milliards de personnes, mourraient aux États-Unis, en Europe et dans le monde entier dans un échange nucléaire avec la Russie?
Dans les médias et les discussions entre politiciens capitalistes, cela semble qu’un Rubicon non seulement politique, mais aussi psychologique a été franchi. Le danger réel que la guerre entre l’OTAN et la Russie conduise à l’utilisation d’armes nucléaires tactiques et, de là, au lancement d’armes nucléaires stratégiques est désormais largement reconnu. Mais au lieu d’avertir que cela doit être évité à tout prix, l’utilisation d’armes nucléaires est ouvertement considérée comme une option légitime.
On n’a utilisé les armes nucléaires qu’une seule fois, et c’était par les États-Unis. En août 1945, le président Harry Truman a autorisé le largage de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Les pertes de vie combinées sont estimées à 200.000 personnes. Truman a déclaré plus tard qu’il n’avait pas perdu une nuit de sommeil à cause de sa décision. Ce crime monstrueux a été justifié – et continu de l’être aujourd’hui par le gouvernement américain – par l’affirmation longtemps discréditée selon laquelle le largage de bombes atomiques était nécessaire pour contraindre le Japon à se rendre. Mais cette affirmation mise à part, le célèbre historien Gabriel Jackson a expliqué la signification de cet acte en tant que preuve de l’impitoyabilité et de la brutalité dont l’impérialisme américain est capable:
Dans les circonstances spécifiques d’août 1945, l’utilisation d’une bombe atomique a montré qu’un chef de l’exécutif psychologiquement très normal et démocratiquement élu pouvait utiliser cette arme tout comme le dictateur nazi l’aurait fait. De cette façon, les États-Unis – pour quiconque se préoccupe des distinctions morales dans la conduite des différents types de gouvernements – ont estompé la différence entre fascisme et démocratie.
En 1950, le général Douglas MacArthur a plaidé pour le largage de bombes atomiques sur la Chine pendant la guerre de Corée. Mais à ce moment-là, l’Union soviétique avait développé sa propre bombe nucléaire. Truman ne voulait pas prendre le risque d’une escalade de la guerre au point qu’elle puisse se transformer en un conflit avec une puissance dotée de l’arme nucléaire.
Des sections de l’establishment de Washington, représentées de manière plus notoire par le secrétaire d’État John Foster Dulles, insistent sur le fait que la volonté des États-Unis d’utiliser des armes nucléaires stratégiques est un élément crucial de la politique étrangère.
Tout au long des années 1950 et au début des années 1960, le monde était hanté par le spectre de la guerre nucléaire. Il a servi de toile de fond cauchemardesque à d’innombrables romans et films. À la fois roman et film, «Sur la plage» de Nevil Shute – l’histoire des dernières semaines de vie en Australie après une guerre nucléaire, qui produit des retombées radioactives mortelles qui encerclent le globe – a eu un impact profond sur l’opinion publique internationale.
L’ampleur du danger n’est apparue que trop clairement lors de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962. Deux semaines de négociations tendues entre Washington et Moscou ont permis d’éviter de justesse la catastrophe. Dans deux films importants sortis au lendemain de la crise, Fail-Safe et Dr Strangelove, la catastrophe n’a pas été évitée.
La crise des missiles de Cuba en 1962 a été le moment où le monde a été le plus proche d’une guerre nucléaire au cours de cette période. La signature du traité d’interdiction des essais nucléaires en 1963 a suivi, tout comme un certain nombre d’autres traités de contrôle des armements, alors que les États-Unis poursuivaient une politique de «détente» vis-à-vis de l’Union soviétique. La doctrine généralement acceptée était celle de la «destruction mutuelle assurée» (MAD), selon laquelle une guerre nucléaire était impensable, car elle impliquait l’anéantissement de la population de tous les pays concernés. L’acronyme le plus approprié pour cette politique était «MAD» signifiant «fou» en anglais.
Ces dernières années, la possibilité d’utiliser des armes nucléaires est devenue un sujet de débat parmi les planificateurs de guerre à Washington. Un élément central de ce débat est le contrepoids des armes nucléaires «tactiques» aux armes nucléaires «stratégiques», qui repose sur l’hypothèse que les armes «tactiques» sont des bombes «à faible rendement» dont l’effet est géographiquement limité (à un champ de bataille ou à une installation industrielle spécifique), et dont les conséquences peuvent être maitrisées.
En 2017, le Centre for Strategic and Budgetary Assessments a publié un rapport déclarant: «Par opposition à l’apocalypse mondiale envisagée à la suite d’un échange nucléaire entre superpuissances pendant la guerre froide, on aura très probablement un monde fonctionnel après une guerre.» Un autre rapport de l’organisation s’intitule: «Repenser l’Armageddon».
Cette semaine, le New York Times a écrit: «Aujourd’hui, la Russie et les États-Unis disposent d’armes nucléaires beaucoup moins destructrices. Leur puissance ne représente que des fractions de celle de la bombe d’Hiroshima. Leur utilisation est peut-être moins effrayante et plus facilement envisageable».
Cette hypothèse dangereuse a été remise en question même au sein de l’establishment de la politique étrangère et de l’armée. Dans un article sur les armes nucléaires tactiques publié en 2019, Le Bulletin of Atomic Scientists a mis en garde:
La distinction entre une arme ou une mission nucléaire stratégique et non stratégique est intrinsèquement floue et le restera probablement, étant donné que les armes nucléaires stratégiques peuvent être utilisées de manière tactique et que toute utilisation d’une arme nucléaire, quel que soit son rendement ou sa courte portée aurait des conséquences stratégiques de grande portée. Ce sentiment a aussi été exprimé par l’ancien secrétaire à la Défense James Mattis en février 2018, lorsqu’il a déclaré devant la Commission des services armés de la Chambre des représentants qu’il ne croit pas qu’«une arme nucléaire tactique existe. Toute arme nucléaire utilisée à tout moment change les règles du jeu stratégique».
Néanmoins, le déclenchement d’une guerre avec la Russie instiguée par l’OTAN a entrainé une nouvelle érosion des restrictions sur l’utilisation des armes nucléaires.
Au cours de la semaine dernière, les États-Unis et les puissances de l’OTAN ont tenu une série de réunions qui s’apparentent à des conseils de guerre, organisant une vaste militarisation supplémentaire de leur «flanc oriental», y compris le déploiement de dizaines de milliers de soldats. Ils ont également discuté d’une proposition de la Pologne d’envoyer une «force de maintien de la paix» de l’OTAN en Ukraine, ce qui, selon le président biélorusse Alexandre Loukachenko, un allié de Poutine, signifierait «la troisième guerre mondiale».
La guerre suivant sa propre logique, l’éventualité d’un conflit direct entre les deux puissances nucléaires les plus lourdement armées est un avertissement qui soulève la nécessité d’y mettre fin le plus rapidement possible, mais ce danger est ignoré. Aucune proposition n’est faite pour organiser un cessez-le-feu, des discussions et des négociations d’urgence.
Les déclarations des dirigeants de l’OTAN, et en particulier de Biden, sont délibérément provocatrices et incendiaires. Les dénonciations de Poutine comme «voyou» et «criminel de guerre» ne peuvent être perçues par Poutine que comme une menace personnelle. Une étrange contradiction existe dans la politique du gouvernement Biden. D’une part, ils proclament que Poutine est le prochain Hitler, et d’autre part, ils supposent qu’il se comportera de manière «rationnelle» sans recourir à des mesures plus extrêmes.
Le monde est amené au bord d’une catastrophe nucléaire par des gouvernements impérialistes dont les dirigeants prennent des décisions en secret tout en dissimulant les véritables intérêts géopolitiques et économiques au nom desquels ils agissent.
Le New York Times – qui mène la campagne de propagande en faveur de l’escalade de la guerre – a fait la promotion jeudi d’un sondage AP prétendant que 56 pour cent de la population pense que la réponse de Biden à l’invasion russe n’est «pas assez ferme». Le sondeur a formulé la question pour produire la réponse souhaitée. On aurait obtenu une réponse très différente si on avait demandé aux personnes interrogées: «Êtes-vous d’accord que le droit de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN vaut l’incinération nucléaire et l’extinction de la vie sur cette planète?»
L’imprudence stupéfiante, la nonchalance avec laquelle la classe dirigeante risque la guerre nucléaire, ne peut être comprise que par rapport à l’environnement créé par la pandémie. Tous les gouvernements qui prennent les décisions sur lesquelles repose le destin de l’humanité ont démontré au cours des deux dernières années leur mépris total pour la vie humaine.
La déclaration du premier ministre britannique Boris Johnson – «Plus de p*ta*n de confinements, laissons les corps s’empiler par milliers» – ne faisait qu’exprimer de la manière la plus grossière la politique adoptée par tous les grands pays capitalistes, Russie comprise. Le résultat a été la mort inutile de 20 millions de personnes. Si 20 millions de morts sont un coût acceptable pour faire avancer les intérêts de l’oligarchie, pourquoi pas 200 millions dans une guerre?
L’extrême insouciance témoigne non seulement de l’impérialisme impitoyable dans la poursuite de ses intérêts géostratégiques, mais aussi de la crise et du désespoir d’une élite dirigeante face à des crises intérieures insolubles.
La classe dirigeante américaine croit qu’elle peut se sortir de tous les problèmes par la force. Dans les années 1990 et 2000, c’était le culte des munitions à guidage de précision, qui devait permettre aux États-Unis de conquérir le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Chacune de ces guerres ayant produit une catastrophe, on se tourne vers les armes nucléaires tactiques. C’est la logique d’une classe dirigeante qui a conduit l’humanité dans une impasse.
Quelle que soit l’issue immédiate de la crise actuelle, une conclusion s’impose: le pouvoir politique et social doit être retiré des mains de l’oligarchie capitaliste et placé entre les mains de la classe ouvrière internationale qui dirigera le développement futur de la société.
(Article paru en anglais le 26 mars 2022)