Êtes-vous un cheminot du CP ou d’une autre compagnie? Communiquez avec nous à cpworkersrfc@gmail.compour nous dire ce que vous pensez de la décision des Teamsters de saboter la lutte du CP.
Aux premières heures de mardi matin, la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) a brusquement annoncé une entente avec le Chemin de fer du Canadien Pacifique (CP) pour mettre fin au lock-out de 3000 mécaniciens, chefs de train et agents de triage et soumettre le différend contractuel à un arbitrage exécutoire. Les travailleurs n’ont pas eu leur mot à dire dans cette conspiration antidémocratique, qui les privera pour les années à venir de leurs droits légaux de faire la grève, de prendre d’autres mesures de travail et de négocier collectivement. En quelques heures, les 3000 travailleurs ont été renvoyés au travail.
L’arbitre est un représentant nommé par le gouvernement qui examinera les positions des représentants de la CFTC et du CP avant d’imposer un accord final aux deux parties. Les déclarations de la compagnie et des Teamsters laissent entendre que seule une partie des 24 questions contractuelles en suspens sera abordée dans le cadre du processus d’arbitrage. Les travailleurs n’auront pas le droit de voter sur l’accord final.
Dans une lettre adressée à ses membres, le syndicat des Teamsters a cherché à justifier de façon pathétique sa capitulation devant la direction du CP, qui a mené une féroce campagne de dénigrement des travailleurs ferroviaires avec l’appui de grandes organisations patronales. «Compte tenu des positions fermes des parties à la négociation et de la quasi-certitude que notre différend se terminerait éventuellement par un arbitrage final et exécutoire tel qu’ordonné par le gouvernement [...], notre comité de négociation a décidé qu’il serait dans notre intérêt à tous de prendre le contrôle de la situation et de conclure une entente qui nous donne le pouvoir sur les modalités, les conditions et l’arbitre éventuel.»
En d’autres termes, les Teamsters savaient que le gouvernement libéral des grandes entreprises imposerait une loi anti-démocratique de retour au travail et un règlement pro-employeur, alors les bureaucrates ont décidé d’épargner les ministres de Trudeau et de faire leur sale boulot pour eux.
Dans le paragraphe suivant, la CFTC a révélé que toutes les fanfaronnades sur le maintien du «pouvoir» et du «contrôle» n’étaient qu’un écran de fumée destiné à dissimuler sa prostration devant les exigences de l’entreprise. Les «principales questions» à soumettre à l’arbitre seraient «les salaires, les avantages sociaux et les pensions», écrit le syndicat. Les horaires brutaux et les régimes disciplinaires du CP, que les cheminots ont documentés dans des entretiens approfondis avec le WSWS ces derniers jours, resteront inchangés.
Pour conclure ce spectacle de capitulation totale, le communiqué de presse des Teamsters annonçant l’accord s’est conclu par la phrase suivante: «Les porte-parole du syndicat ne feront aucun commentaire aux médias tant que le processus d’arbitrage ne sera pas terminé.»
Signe évident que l’entreprise a obtenu tout ce qu’elle voulait de l’accord d’arbitrage, le PDG Keith Creel a déclaré de façon optimiste dans une lettre condescendante adressée au personnel du CP: «Je suis heureux que les dirigeants de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) aient accepté d’entamer un arbitrage exécutoire avec le Canadien Pacifique.»
Creel a ajouté que les travailleurs ferroviaires pouvaient désormais «soutenir l’économie nord-américaine et aider à acheminer les ressources canadiennes vers un monde qui en a besoin.» Ayant du mal à contenir son enthousiasme, Creel s’est vanté des «possibilités excitantes» de l’année à venir, y compris la perspective que le CP, grâce à son acquisition de Kansas City Southern, «crée le premier, et probablement le seul, chemin de fer transnational reliant trois grandes démocraties», le Canada, les États-Unis et le Mexique. Il n’y avait aucun soupçon d’ironie dans cette déclaration d’un homme qui venait de priver les travailleurs de son entreprise de leurs droits démocratiques afin de reprendre l’accumulation effrénée de profits.
Les cheminots qui se sont adressés au WSWS ont réagi avec indignation à cet accord. «Ils nous enlèvent le droit de manifester et de faire la grève, et nous voilà de retour au travail en moins d’une journée», a déclaré un travailleur ferroviaire du CP en Colombie-Britannique. «Je doute fortement que l’arbitre se prononce en faveur des employés. Nous n’allons toujours pas obtenir ce que nous voulons, et nous nous battons depuis deux contrats. Les membres n’auront même pas l’occasion de voter! Pour le syndicat, décider arbitrairement en faveur des employés, ce n’est pas dans l’intérêt du groupe collectif.»
La décision d’un arbitrage contraignant s’inscrit dans le cadre d’une guerre de classe de plus en plus profonde contre les travailleurs, menée par l’élite dirigeante dans tous les pays. Au début du mois de février, les cheminots de BNSF, le plus grand chemin de fer américain, se sont vu interdire par une injonction du tribunal de faire grève contre la politique draconienne de présence «Hi Viz». La semaine dernière, P&O Ferries a licencié avec effet immédiat les 800 membres d’équipage de ses transbordeurs en Grande-Bretagne et les a remplacés par des travailleurs contractuels payés une fraction du salaire normal.
Tout au long du conflit, le CP a agi avec une extrême belligérance. Il a déposé un avis de lock-out de 72 heures mercredi dernier et a immédiatement commencé à mettre en œuvre son «plan d’urgence en cas d’arrêt de travail», puis a cherché à diaboliser les cheminots pour avoir fait grève illégalement après le début du lock-out. Les négociateurs de la compagnie ont refusé d’accepter tout ajustement au plafond des pensions, qui est en place depuis une décennie et qui empêche les travailleurs de prendre leur retraite avec une pension viable. Ils ont également offert une maigre «augmentation» salariale de 2 % la première année et de 2,5 % par la suite, dans un contexte où l’inflation au Canada avoisine les 6 % par an.
L’entreprise a bénéficié du soutien d’une campagne sauvage menée par les groupes de pression du monde des affaires, qui ont clairement fait savoir qu’ils ne toléreraient pas de grève dans des conditions où les prix élevés du pétrole et des produits agricoles, y compris les engrais, promettaient de rapporter des profits faramineux aux actionnaires. Le gouvernement libéral de Trudeau s’est joint à eux, le ministre du Travail, Seamus O’Regan, déclarant de manière menaçante dimanche: «Nous voulons une résolution, et nous la voulons maintenant.»
Il y a deux raisons centrales à ce degré d’agressivité sans précédent de l’élite dirigeante. Tout d’abord, les grandes entreprises canadiennes voient une occasion de tirer un profit considérable des prix élevés du pétrole et des engrais produits par les sanctions radicales imposées à la Russie par les puissances impérialistes occidentales après que Moscou ait été poussé à envahir l’Ukraine par les provocations américaines et canadiennes. Alors que l’inflation produite par ces politiques, exacerbée par la perturbation des chaînes d’approvisionnement causée par la pandémie, rapporte des gains massifs aux producteurs de pétrole et aux investisseurs, elle a des conséquences dévastatrices sur le niveau de vie des travailleurs au Canada et dans le monde.
Deuxièmement, et plus fondamentalement encore, l’élite dirigeante craint qu’en raison de l’aggravation de la crise sociale et économique, une lutte déterminée des travailleurs du rail ne déclenche une explosion plus large de la colère de la classe ouvrière contre le profit effréné et le mépris total pour la vie des travailleurs pendant la pandémie. La bureaucratie syndicale, qui a systématiquement étouffé les luttes des travailleurs au cours des quatre dernières décennies, était également terrifiée, ce qui explique la capitulation abjecte des Teamsters devant Creel et les actionnaires du CP.
Cette capitulation était l’aboutissement logique de la politique de la CFTC consistant à bloquer toute opposition collective des travailleurs du rail aux conditions de travail désastreuses du CP. Les négociateurs de la CFTC ont tenu les travailleurs dans l’ignorance de ce qui se passait à la table de négociation et ont refusé d’émettre un avis de grève malgré un vote écrasant de 96,7 % en faveur d’un arrêt de travail. Les actions du syndicat ont permis au CP de prendre l’offensive, d’annoncer le lock-out et de déclencher sa campagne agressive contre les travailleurs. Pour sauver la face, les Teamsters ont tardivement émis un avis de grève 24 heures après le dépôt de l’avis de lock-out.
Ce n’est pas une simple coïncidence si la décision des Teamsters de saboter la lutte du PC est survenue quelques heures seulement après que le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, ait confirmé que son parti allait conclure une alliance officielle avec le gouvernement libéral pour le soutenir jusqu’en 2025. La décision de Singh donnera à Trudeau les coudées franches pour pivoter vers une austérité «post-pandémique» pour les travailleurs, afin de payer une augmentation massive des dépenses militaires dans le cadre de l’élan insouciant de l’impérialisme canadien vers la guerre avec la Russie. Cela signifie également que les syndicats, qui sont traditionnellement alignés avec le NPD, font effectivement partie de ce gouvernement pro-austérité et pro-guerre. Les actions des Teamsters tôt mardi soulignent que le rôle de la bureaucratie syndicale dans cette alliance désastreuse sera de discipliner la classe ouvrière pour la soumettre.
Cet alignement de forces politiques souligne que les travailleurs du CP ne sont pas seulement confrontés à un employeur particulièrement impitoyable mais au programme de guerre de classe de toute l’élite dirigeante du Canada. S’ils veulent résister au régime de travail punitif du CP, aux procédures disciplinaires draconiennes, au vol de leurs pensions et à la stagnation des salaires, ils doivent entreprendre une lutte politique contre la domination de la vie sociale par une minuscule oligarchie financière et ses laquais du NPD et des syndicats.
La tâche de former un comité des travailleurs de la base au CP se pose donc avec une urgence renouvelée. Ce comité devrait se battre pour obtenir ce dont les travailleurs ont besoin pour garantir un environnement de travail sûr, notamment une période de repos d’au moins 24 heures entre les quarts de travail, l’établissement d’une correspondance entre les augmentations salariales et les hausses annuelles des prix du fret du CP, l’abolition du plafond des pensions et la restitution des contributions que l’entreprise a illégalement retenues du fonds de pension depuis 2012.
Surtout, le comité des travailleurs de la base du CP doit se battre pour élargir la lutte pour un salaire décent et des conditions de travail sûres à d’autres sections de la classe ouvrière, y compris les autres travailleurs du transport, les travailleurs de l’énergie, les employés du secteur public et les travailleurs industriels. Si vous êtes d’accord et souhaitez vous joindre à cette lutte, écrivez-nous à cpworkersrfc@gmail.com.
(Article paru en anglais le 23 mars 2022)