Le 13 décembre 2021, le tribunal administratif de Berlin a rejeté la plainte déposée par la Sozialistische Gleichheitspartei(Parti de l'égalité socialiste, SGP) en janvier 2019. Le SGP avait lancé une action en justice contre le ministère allemand de l'Intérieur parce que le Verfassungsschutz(Bureau pour la protection de la Constitution, comme on appelle les services secrets allemands) l'avait répertorié comme organisation « de gauche extrémiste » et ordonné sa mise sous surveillance. Le jugement du tribunal, désormais disponible par écrit, constitue une atteinte fondamentale aux droits démocratiques. Il vise à interdire les idées socialistes et toute critique du capitalisme.
Le verdict est motivé de manire purement politique. Il rejette la plainte du SGP non pas parce que le parti s'oppose à la démocratie et à la liberté, mais parce qu'il les défend et qu’il déclare ouvertement que ces valeurs sont incompatibles avec un ordre social qui concentre la richesse et le pouvoir économique entre les mains d'une infime minorité. Dans la tradition des lois anti-socialistes de Bismarck et du Gesinnungsstrafrecht (délits d’opinions) des nazis, le tribunal et son président Wilfried Peters déclarent inconstitutionnelle toute demande de démocratisation de l'économie et toute mise en doute des institutions de l'État.
Par ce jugement, le tribunal réagit à l'a montée des oppositions aux inégalités sociales massives et à la politique faisant passer les « profits avant les vies » durant la pandémie et aux niveaux épouvantables des dépenses militaires. Quiconque qualifie clairement ces politiques comme servant les intérêts des riches doit être muselé. Près de 90 ans après l'arrivée au pouvoir des nazis, les idées socialistes sont à nouveau criminalisées.
Le jugement vise le SGP parce qu'il donne à cette opposition une voix et une perspective socialiste, mais il est également dirigé contre quiconque critique le capitalisme et rejette les politiques de droite du gouvernement. Sur la base de ce jugement, chaque auteur qui se réfère positivement aux classiques marxistes, chaque sociologue qui examine les effets des inégalités sociales sur la société, chaque journaliste qui fait la lumière sur les réseaux terroristes d'extrême droite dans les forces armées et chaque gréviste pourrait être déclaré un ennemi de la constitution.
Nous appelons donc tous ceux qui veulent défendre les droits démocratiques et affronter le danger que constitue la droite à soutenir les procédures du SGP. Nous n'accepterons pas la décision du tribunal administratif et avons déjà déposé un recours auprès du tribunal administratif supérieur de Berlin. Soutenez-nous en cela, signez notre pétition sur change.org, inscrivez-vous comme sympathisant actif et partagez cette déclaration avec vos connaissances et amis.
Le jugement en détails
Le tribunal justifie explicitement la qualification du SGP d'« extrémiste de gauche » et sa surveillance par le Verfassungsschutzau motif qu'il prône une perspective marxiste. Parce que le SGP « ne s'engage pas dans une réflexion historique, mais poursuit un programme politique fondé sur les écrits de Marx, Engels, Trotsky et Lénine », ceci est dirigé contre l'ordre fondamental démocratique libéral, selon le jugement.
En fait, presque tous les droits démocratiques dans ce pays ont été gagnés grâce aux luttes du mouvement ouvrier marxiste. Même l'ordre parlementaire limité ne put être établi qu'en 1919 après que les conseils d'ouvriers et de soldats eurent renversé le Kaiser. En fin de compte, seuls les partis ouvriers ont voté contre la loi donnant à Hitler des pouvoirs dictatoriaux. Ce sont les trotskystes, qui se sont battus pour une perspective de front uni à l'époque, qui auraient pu arrêter les nazis.
Lorsque le tribunal se réfère à « l'ordre fondamental démocratique libéral », cela ne signifie pas les droits démocratiques fondamentaux pour lesquels le mouvement ouvrier marxiste se bat, mais la protection du capitalisme contre la majorité de la population. Comme Bismarck et Hitler auparavant, il veut interdire tout parti qui s’appuie sur Marx, Engels, Lénine ou Trotsky.
Le tribunal ne nie pas que le SGP veut atteindre son objectif d'une société socialiste par des moyens démocratiques et gagner le soutien de la majorité de la population pour cela. Il se réfère à l’énoncé dans la Déclaration de principes du SGP selon laquelle « la décision sur ces changements démocratiques et d'autres sera prise par les masses elles-mêmes » et que les travailleurs doivent « défendre vigoureusement tous les droits démocratiques » dans la lutte pour le pouvoir.
C'est ce programme de contrôle démocratique sur tous les aspects de la vie sociale, y compris l'économie, par les masses elles-mêmes, que le tribunal déclare anticonstitutionnel. Toute déclaration selon laquelle les inégalités sociales flagrantes sont incompatibles avec la démocratie, que le pouvoir des grandes banques et des grandes entreprises va à l'encontre d'un véritable gouvernement populaire, ou que les organes de l'État servent les intérêts des riches, devrait être interdite, selon le tribunal. Voici ce que dit le jugement :
Si les organes établis en vertu de la Loi fondamentale (constitution) ne servent qu'à une classe capitaliste pour se maintenir au pouvoir, alors que selon la constitution ils ont la légitimité du peuple tout entier, il est évident que les « nouveaux organes » envisagés par le plaignant doivent avoir une légitimité différente de celle-ci. Car si les « nouveaux organes » pouvaient aussi remonter à la volonté du peuple tout entier, rien ne changerait en fait aux circonstances dénoncées par le plaignant. Cela suggère que le demandeur a à l'esprit un système de conseils [d'ouvriers] pour les « nouveaux organes » qui est incompatible avec la démocratie parlementaire de la Loi fondamentale.
Le cœur de ce verbiage est que toute remise en cause de la légitimité démocratique des institutions étatiques est déclarée inconstitutionnelle. Ailleurs, le tribunal interdit l'opinion du SGP selon laquelle les organes de l'État représentent les intérêts des capitalistes et doivent donc être remplacés par des organes véritablement démocratiques. Car : « Bien que selon l'article 20 (2) alinéa 1 GG [Grundgesetz, la Loi fondamentale] tout le pouvoir de l'État émane du peuple, le demandeur prétend que l'État n'est pas légitimé par l'ensemble du peuple. »
Ainsi, si un mouvement de masse de la grande majorité de la population devait nier la légitimité des organes de l'État, exproprier les grandes banques et les grandes entreprises et démocratiser l'économie, cela, selon le tribunal, serait dirigé contre une « volonté » mystifiée « de l'ensemble du peuple », qui trouve son expression absolue dans les organes de l'État. Par ces organes, le tribunal entend expressément l'appareil étatique de répression :
Le fait que le demandeur ait une conception de la démocratie qui s'écarte de la conception de la Loi fondamentale est démontré, en fin de compte, par le fait qu'au paragraphe 24 de la Déclaration de principes, il dénigre les institutions de l'État qui sont légitimées conformément à la Loi fondamentale – à savoir le Verfassungsschutz et la Bundeswehr [Forces armées fédérales] – comme antidémocratiques et dirigées contre le peuple.
C'est le langage de la dictature. Dans cette logique, ce n’est pas la volonté déclarée de la majorité de la population, mais les institutions de l'État qui doivent être protégées. Cette argumentation n'a rien à voir avec la protection d'un « ordre fondamental démocratique libéral » mais vise à défendre les institutions étatiques contre un mouvement démocratique.
La tentative de coup d'État de Trump aux États-Unis le 6 janvier 2021 a montré à quel point le danger des tendances autoritaires dans les appareils d'État est grave. En Allemagne, l'armée et la police sont infestées de réseaux terroristes d'extrême droite, et le Verfassungsschutz est étroitement lié à la mouvance néonazie.
La même logique anti-démocratique imprègne tout le jugement. Ainsi, le tribunal déclare que « l'utilisation de termes tels que socialisme, révolution et capitalisme » n'est autorisée que s'ils se réfèrent à une « transformation des relations économico-politiques ». Si, cependant, les effets du système économique sur la politique sont abordés – par exemple par le langage courant selon lequel c’est argent qui fait tourner le monde – c'est inconstitutionnel selon le tribunal.
Le marxisme en particulier est anticonstitutionnel, aux yeux du tribunal, car « selon l’entendement marxiste, le capitalisme ne peut jamais se limiter au seul système économique. Au contraire, selon lui, la totalité des rapports de production constitue la structure économique de la société, le véritable fondement, sur lequel s'élève une superstructure juridique et politique. »
Comme les diktats des banques et des grandes entreprises deviennent de plus en plus évidents, le tribunal veut interdire toute référence à celles-ci. En conséquence, il déclare inconstitutionnelle la transformation de la société selon les principes socialistes car cela va au-delà d'un simple changement de politique économique.
En prononçant le jugement oral du tribunal, le juge président Peters a même élevé le « système de propriété fondé sur le marché » au rang de « loi de la liberté » et déclaré la critique qu’en fait le SGP, ainsi que la remise en cause de la « propriété privée des moyens de production », inconstitutionnelles. Il a ainsi élevé l'exploitation des personnes au rang de droit fondamental suprême qui doit être défendu même contre la volonté déclarée de la grande majorité.
Le tribunal veut également interdire toute politique qui découle des antagonismes de classe existants. Voici ce que dit le jugement :
Le demandeur est libre de dire que la différenciation de la société en classes est un « instrument scientifiquement reconnu et largement utilisé pour l'analyse des sociétés ». Cependant, le demandeur ne mène pas d'études sociologiques de la société, mais le programme de son parti est fondé sur la division de la société en classes. Celui-ci est clairement orientée vers la lutte des classes.
Ainsi, selon le tribunal, on est autorisé à nommer les antagonismes de classe existants, mais on n'est pas autorisé à en tirer des conclusions politiques. En fait, cette formulation absurde signifie que toute discussion sur les inégalités sociales finirait par être interdite. Lorsque, par exemple, l'organisation caritative britannique Oxfam déclare dans le rapport sur la pauvreté de cette année que les inégalités sont à leur plus haut niveau de l'histoire et que « seules des solutions systémiques suffiront pour combattre la violence économique à sa racine et jeter les bases d'un monde plus égalitaire », c'est anticonstitutionnel, si l’on suit le tribunal.
Le caractère partisan du jugement ressort également de la détermination du montant du litige. Au lieu des 5000 euros habituels en pareil cas, le juge a sommairement fixé le montant en cause à 20 000 euros, ce qui augmente énormément les frais de justice et les frais d'appel. La piètre justification du tribunal était le fait que le SGP avait non seulement demandé la suppression de la mention à son sujet du rapport de la Verfassungsschutzsur l’année 2017, mais également de celles dans les rapports des années suivantes, qui étaient cependant presque identiques et ne justifiaient donc pas un quadruplement des coûts. De plus, le tribunal lui-même est responsable du fait que le SGP a dû déposer des demandes ultérieures, car il a retardé l'audience initiale de près de trois ans.
Des relents de fascisme
La décision du Tribunal administratif doit être considérée comme faisant partie d'un développement international ; le tournant des milieux dirigeants vers des méthodes autoritaires et fascistes. Aux États-Unis, le Parti républicain continue de soutenir Donald Trump, qui a tenté d'empêcher l'élection de son successeur Joe Biden par un coup d'État et cherche à instaurer une dictature autoritaire. Ici, l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) est le premier parti d'extrême droite à siéger au parlement depuis la chute des nazis. Il a été intégré dans les travaux parlementaires des autres partis et définit la ligne du gouvernement sur la politique des réfugiés et dans de nombreux autres domaines. Les réseaux terroristes d'extrême droite sont promus et protégés par l'appareil de sécurité de l'État.
L'attaque contre le SGP est un élément central de ce virage à droite. Il a été inclus pour la première fois dans le rapport annuel du Verfassungsschutz publié en 2018. À l'époque, cette agence de renseignement était dirigée par l'extrémiste de droite Hans-Georg Maassen.
Lorsque le SGP a intenté une action contre cela, le ministère fédéral de l'Intérieur a répondu par un mémoire de 56 pages qui n'est pas un document juridique mais une diatribe en colère contre le socialisme. Le ministère a déclaré que même « plaider pour une société égalitaire, démocratique et socialiste » et « faire campagne contre un supposé 'impérialisme' et 'militarisme' » étaient anticonstitutionnels. Il voulait même interdire « la pensée en catégories de classes » et la « croyance en l'existence de classes concurrentes irréconciliables ».
Le tribunal a maintenant soutenu ce point de vue anti-démocratique et est allé encore plus loin. Son argument selon lequel même une majorité du peuple ne doit pas être autorisée à changer les organes de l'État parce qu'ils incarnent la « volonté du peuple tout entier » n'est pas seulement dirigé contre un mouvement de masse socialiste, mais contre les principes démocratiques élémentaires.
Déjà la déclaration d'indépendance américaine de 1776 avait proclamé « le droit du peuple de le modifier ou de l'abolir et d'instituer un nouveau gouvernement », chaque fois qu'une forme de gouvernement devient destructrice des objectifs de la vie, de la liberté et de la poursuite du bonheur.
La décision du Tribunal administratif de Berlin ne repose pas sur cette tradition démocratique, mais sur la tradition autoritaire de l'Empire du Kaiser, qui a déclaré que l'ordre de l'État est le bien le plus élevé et a interdit la social-démocratie sur cette base.
Le juriste Carl Schmitt, qui plus tard devait soutenir les nazis, a repris cette tradition idéologique dans la République de Weimar pour justifier la nécessité d'une « dictature de commissaire » pour réprimer la révolution. Plus tard, il a justifié les dictatures présidentielles de Von Papen et de Schleicher en arguant que le président du Reich était le « gardien de la constitution », à ce titre il devait protéger « l'unité politique de tout le peuple allemand » du parlement qui, en tant que « reflet des conflits d'intérêts sociaux et économiques », c'est-à-dire des contradictions de classe, contribuait à la désintégration de l'État.
De là, il n'y avait qu'un petit pas vers la glorification du « Führer ». En 1934, Schmitt a défendu le meurtre répréhensible de 200 des rivaux d'Hitler après le prétendu putsch de Röhm dans son tristement célèbre papier « Le Führer protège la loi ». Dans sa « Loi constitutionnelle », publiée en 1937, l'élève de Schmitt, Ernst Rudolf Huber, démarquait alors strictement la volonté objective du peuple des « convictions populaires subjectives », déterminées par les conflits d'intérêts sociaux. « Le véritable porteur de la volonté du peuple, cependant, reste le Führer », a-t-il déclaré. « Même si la population votante se retourne contre lui, c'est lui qui incarne la vocation objective du peuple. »
Il n'est pas surprenant, compte tenu de cette tradition juridique, que le juge Peters rejette toute référence historique. Déjà dans le jugement oral, il avait déclaré : « Aujourd'hui, nous avons entendu beaucoup de choses historiques, sur les lois de Bismarck, des arguments sur Karl Marx, etc. », mais tout cela n'est « pas pertinent » ici.
Cela à lui seul démontre sa perte de toute légitimité. Il n'est pas possible de parler de démocratie en Allemagne, et encore moins de dénoncer un parti comme anticonstitutionnel, sans tirer les leçons de cette expérience historique. Hitler a pu arriver au pouvoir en Allemagne par des moyens « légaux » et « démocratiques », l'ensemble de l'appareil judiciaire et de la fonction publique, à quelques exceptions honorables, a servi sa dictature et l'a aidé à organiser la guerre d'extermination et l'Holocauste.
Mais pour le tribunal, ce n'est « pas pertinent ». Au lieu de cela, il justifiait l'anti-constitutionnalité du SGP, entre autres, au motif que Léon Trotsky avait appelé en 1938 à « l'armement du prolétariat dans la lutte contre le fascisme », ce qui – comme l'ont expliqué les représentants du SGP devant le tribunal – aurait été le seul moyen d'empêcher la Seconde Guerre mondiale et l'Holocauste.
Dans son mémoire, le ministère de l'Intérieur avait cité l'appel de Trotsky comme preuve que le SGP trotskyste luttait contre l'ordre fondamental démocratique libéral. Le tribunal en convient dans son jugement écrit. Le tribunal a rejeté l'argument du SGP, selon lequel les références à Léon Trotsky « doivent être évaluées dans leur contexte historique » – dans ce cas, dans le contexte du fascisme – parce que le parti poursuivait un programme politique « fondé sur Trotsky ».
Ainsi, si un parti politique prend la position que le régime nazi aurait dû être renversé en 1938 par un soulèvement armé de la classe ouvrière, c'est contraire à l'ordre fondamental démocratique libéral ! Le juge Peters n'a pas pu exprimer plus clairement son point de vue selon lequel l'appareil d'État représente en toutes circonstances la « volonté du peuple tout entier ».
L’interdiction du KPD
Dans son orientation anti-démocratique, le tribunal viole assez ouvertement le droit applicable et la jurisprudence de la Cour suprême. La loi sur le Bundesverfassungsschutz, sur laquelle l'arrêt est officiellement fondé, ne permet aucunement une telle interprétation. Cette loi, qui représente elle-même une restriction massive de la liberté d'expression garantie par la Constitution, n'inclut explicitement pas le capitalisme et la propriété privée parmi les principes de l'ordre fondamental démocratique libéral dignes de protection.
La Cour suprême a également déclaré explicitement dans son arrêt contre l'interdiction du Parti national allemand (NPD) fasciste le 17 janvier 2017 qu'il ne s'agissait pas du rejet des organes de l'État, mais seulement de l'attaque « contre la possibilité d'une participation égale de tous les citoyens dans le processus de prise de décision politique et sur le rattachement de l'exercice du pouvoir de l'État au peuple » qui devait être considéré comme anticonstitutionnel. Le jugement déclare explicitement :
Le rejet du parlementarisme, s'il se conjugue avec l'exigence de son remplacement par un système plébiscitaire, ne peut donc justifier l'accusation de mépris de l'ordre fondamental démocratique libéral. Cependant, la situation est différente dans le cas de la dévalorisation du parlement dans le but d'établir un système de parti unique.
Cette décision a été citée à la fois par l'avocat du SGP, Peer Stolle, dans ses mémoires, et par les représentants du SGP devant les tribunaux. Mais le juge Peters a délibérément ignoré les références à la jurisprudence. Au lieu de cela, il fonde sa décision écrite presque entièrement sur le jugement de 1956 sur l'interdiction du Parti communiste allemand (KPD).
Cela souligne également la tradition réactionnaire et anti-démocratique dans laquelle s'inscrit l'action contre le SGP. Le jugement contre le KPD de l'époque de la guerre froide a longtemps été discrédité. La présidente de la Cour suprême de l'époque, Jutta Limbach, avait déjà déclaré en 1996 qu'elle aurait rejeté cette interdiction si elle avait respecté les principes constitutionnels applicables. L'historien professeur Josef Foschepoth, qui a fait des recherches approfondies sur le procès du KPD en évaluant des dossiers de l'État auparavant inaccessibles, conclut dans son livre Inconstitutionnel ! publié en 2017, que le verdict sur le KPD violait de manière flagrante la constitution et était politiquement motivé. « Il n'y avait plus de pouvoirs séparés dans ces procédures, mais un seul État, qui, sous la pression du gouvernement fédéral, a insisté pour que le KPD soit interdit », écrit Foschepoth.
Le gouvernement Adenauer était représenté dans cette affaire par les mêmes milieux radicaux de droite qui avaient déjà joué un rôle actif dans la persécution des communistes sous les nazis. Le chef du bureau du contentieux du gouvernement fédéral était Hans Ritter von Lex, qui, en tant que membre au Reichstag [parlement] du Parti populaire bavarois (BVP), avait déclaré le 23 mars 1933 l'approbation de son parti pour la loi donnant les pleins pouvoirs à Hitler. Seulement quelques jours avant, dans une conversation privée, il avait assuré à Hitler qu'il partageait son objectif « d’éradiquer le marxisme en Allemagne ».
« Que le peuple allemand soit libéré de cette contamination, même en utilisant les méthodes les plus strictes, était la demande commune de tous les milieux patriotiques », a-t-il déclaré.
Le juge Peters utilise cette décision d'anciens avocats nazis pour interdire complètement les idées socialistes. Sans citer aucune preuve, il accuse le SGP trotskyste, reprenant les termes du verdict visant le KPD, de prôner une dictature à parti unique dans laquelle « le pouvoir d'État est concentré en un seul parti d’État » – ce que le mouvement trotskyste a toujours rejeté en ce qui concerne l’Union soviétique stalinisée et l’ex-Allemagne de l'Est.
« Compte tenu de l'omnipotence du parti d'État et de sa compréhension qu’il est seul à avoir des nécessités politiques, la responsabilité du gouvernement devant la représentation du peuple et plus encore la formation et l'exercice d'une opposition parlementaire sont exclues », poursuit Peters dans sa construction mentale mensongère. « Dans un tel régime, les droits de l'homme ne sont pas garantis. »
Par le biais de ce mensonge, que le juge Peters ne prend même pas la peine d'étayer, il associe le mouvement trotskyste aux crimes staliniens contre lesquels ce parti a été fondé. Ce faisant, Peters ignore délibérément les déclarations faites par Stolle dans ses mémoires et par les représentants du SGP devant le tribunal. Ils ont explicitement rejeté l’association du stalinisme au trotskysme lors de l'audience, déclarant :
En réalité, Trotsky et l'Opposition de gauche ont défendu les principes marxistes incarnés dans la Révolution d'Octobre contre la contre-révolution stalinienne. Dès le départ, ces principes comprenaient la démocratie en Union soviétique et une orientation vers la révolution socialiste internationale.
Le gouffre infranchissable entre la tyrannie stalinienne et les véritables principes socialistes a été révélé dans les grandes purges des années 1930, au cours desquelles des centaines de milliers de communistes ont été assassinés, accusés de trotskysme. En République démocratique allemande (Allemagne de l'Est), des trotskystes comme Oskar Hippe, qui se sont battus contre les staliniens pour la démocratie et le socialisme, ont été condamnés à de longues peines de prison.
Le fait que le juge Peters écarte simplement ces questions confirme qu'il a rendu un verdict politique visant à criminaliser le marxisme et toute opposition sérieuse aux politiques de droite du gouvernement.
La portée politique de l'arrêt
L'effort du tribunal pour criminaliser toute remise en question de la légitimité des institutions de l'État, toute critique de la société capitaliste et tout plaidoyer en faveur d'une transformation socialiste est l'expression de la peur panique de la classe dirigeante face à une opposition sociale croissante. Elle craint que le rejet généralisé d'une politique qui place les profits des riches avant les intérêts vitaux de la grande masse des travailleurs et s'arme pour la guerre ne prenne une forme consciente et organisée.
Comme dans une dystopie orwellienne, le tribunal estime pouvoir interdire l'énoncé de ce qui est évident. Le caractère de classe de l'État, dont le tribunal veut interdire la mention, est devenu particulièrement évident dans la pandémie. Rien qu'en Allemagne, plus de 115 000 personnes sont déjà mortes parce que la classe dirigeante fait passer ses profits avant la vie des gens. L'ensemble de la société est délibérément contaminé pour maintenir les entreprises en activité, le flux des profits et la montée des cours des actions.
Alors que les grandes entreprises ont reçues des centaines de milliards d'argent des contribuables, les infirmières doivent trimer dans des hôpitaux dont les financements sont saignés à blanc et des écoles qui ne sont même pas équipées de filtres à air rudimentaires. Au cours de la seule première année de la pandémie, les milliardaires du monde ont augmenté leur fortune de 60 pour cent pour atteindre 13 000 milliards de dollars, tandis que dans le même temps, 160 millions de personnes supplémentaires étaient plongées dans la pauvreté absolue et luttaient pour survivre.
Sous prétexte de restructuration, des centaines de milliers d'emplois sont supprimés, les salaires réduits et les prestations sociales réduites. Le seul budget massivement augmenté est celui de l'armement. Depuis 2014, le budget de la défense a augmenté de plus de 30 pour cent. La coalition des sociaux-démocrates, des libéraux-démocrates et des verts l'augmente encore plus et a adopté une trajectoire conflictuelle avec les puissances nucléaires que sont la Russie et la Chine, au risque d'une nouvelle guerre mondiale.
Ces politiques sont détestées dans la population. Les conceptions que le tribunal veut interdire sont largement partagées : que le gouvernement mène des politiques dans l'intérêt des riches ; que l'État sert à appliquer ces politiques ; et que la société doit être transformée selon des lignes socialistes.
Le 30 janvier 1933, la classe dirigeante allemande a conclu qu'elle ne pouvait réaliser ses plans de guerre et écraser le mouvement ouvrier qu'avec un régime dirigé par les nazis. Aujourd'hui, elle recourt à nouveau à des méthodes autoritaires pour contrer l'opposition à ses politiques de droite.
L'inclusion du SGP dans le rapport annuel du Verfassungsschutz, la diffamation de ce dernier traitant le SGP comme « extrémiste de gauche » et sa surveillance par les agences de renseignement sont des étapes essentielles dans cette direction. Le jugement ouvre la voie juridique pour interdire le parti. Mais l'argumentation antidémocratique du gouvernement fédéral et du tribunal est dirigée contre quiconque s'oppose au danger de la droite et critique le capitalisme.
Mais 2022 n'est pas 1933. Le jugement n'a pas été rendu dans la foulée de défaites massives de la classe ouvrière, mais dans des conditions de radicalisation croissante. En Allemagne, en Europe et dans le monde, un nouveau mouvement de masse de la classe ouvrière se développe pour lutter contre la contamination délibérée des masses, la guerre et les inégalités.
Dans ces conditions, la défense du Sozialistsche Gleichheitspartei est cruciale. Nous appelons une fois de plus tous les lecteurs du WSWS à signer notre pétition sur Change.org aujourd’hui et faire un don aussi généreux que possible pour nos frais de justice et à s'inscrire en tant que sympathisants actif. Partagez cette déclaration et discutez-en sur les réseaux sociaux et avec vos amis et collègues.
(Article paru en allemand le 31 janvier 2022)