Le 19 octobre, dans un discours inaugurant une nouvelle session parlementaire, le premier ministre du Québec, François Legault, a annoncé la création d’un cours Culture et citoyenneté québécoise pour remplacer le cours Éthique et culture religieuse qui était critiqué par la droite nationaliste comme étant contraire aux «valeurs québécoises».
Le nouveau cours va prôner la «fierté québécoise» et insister sur la «culture distincte» du Québec afin de gommer les divisions fondamentales de classe qui traversent la société québécoise au profit d’une approche nationaliste où les jeunes sont appelés à se définir comme des «Québécois».
Cette annonce s’inscrit dans une offensive menée depuis plusieurs mois par le gouvernement de droite de la Coalition avenir Québec (CAQ), largement appuyé par la classe dirigeante, pour attiser le chauvinisme québécois et mobiliser les forces les plus réactionnaires de la société.
La vice-première ministre Geneviève Guilbault a confirmé cet objectif, affirmant dans un élan de candeur inhabituel pour une politicienne que le cours formerait de bons citoyens «avec bien sûr une petite saveur chauvine».
L’objectif politique sous-jacent est clairement apparu dans un discours prononcé le mois dernier par Legault devant l’aile jeunesse de son parti. «Ce n’est pas le temps au Québec de se diviser», a tonné le premier ministre, «c’est le temps de défendre notre cohésion sociale». Il a ensuite défini la CAQ comme «un rempart contre les radicaux» et «un rempart pour notre cohésion nationale». C’est là un langage historiquement associé à l’extrême-droite et à la dictature fasciste pour justifier la féroce répression de toute opposition sociale.
Depuis son élection en 2018, Legault a fait de la défense de la «nation» québécoise la mission ostensible de son gouvernement, pendant qu’il coupe dans les services publics, attaque les conditions de travail, adopte des politiques en faveur des riches, et fait passer les profits avant les vies humaines dans sa réponse à la pandémie de COVID-19.
Dès le début de son mandat, la CAQ a fait adopter deux lois chauvines visant à diminuer l’immigration au Québec, à exclure les minorités portant des signes religieux de certaines fonctions au sein de l’État québécois et à empêcher les femmes musulmanes portant le voile intégral de recevoir des services publics.
Plus récemment, il a alimenté et utilisé un débat sur la langue française pour justifier le dépôt du projet de loi 96 qui, s’il est adopté, élargira considérablement la portée de la Charte de la langue française afin de permettre encore plus de discrimination linguistique. La Constitution canadienne serait modifiée pour y inscrire l’existence d’une «nation québécoise», avec le français comme seule «langue commune» et où le droit de recevoir des services publics en anglais serait limité à la communauté anglophone dite «historique» – ce qui exclut les immigrants.
Durant la dernière élection fédérale, des membres du gouvernement du Québec ont ouvertement pris position en faveur du Parti conservateur du Canada, une formation de droite dont les politiques hostiles aux travailleurs s’alignent avec celles de la CAQ, au prétexte qu’il était le seul parti fédéral à respecter «l’autonomie de la nation québécoise».
Une récente annonce que la Chambre des communes du parlement fédéral pourrait compter un député de moins en provenance du Québec à partir de 2024 a donné lieu à un véritable cri de guerre de la ministre québécoise responsable des Relations canadiennes et présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel: «On a une nation à défendre».
Legault est personnellement à l’avant-plan de cette campagne, avec sa promotion ouverte d’un nationalisme économique et d’initiatives telles que le «panier bleu», ainsi que ses déclarations élogieuses à l’égard de l’ancien premier ministre Maurice Duplessis – un réactionnaire notoire pour son anti-communiste enragé, sa loi anti-démocratique du «cadenas», ses lois anti-ouvrières, son alliance avec l’Église et la grande entreprise, et sa persécution des minorités religieuses. Duplessis a été qualifié par Legault de «grand nationaliste» qui «défendait sa nation» malgré ses «défauts».
La campagne nationaliste de la CAQ se distingue par une intensité qui reflète le caractère aigu de la crise sociale qu’elle vise à camoufler.
En effet, malgré les assurances de l’élite dirigeante et de ses représentants politiques qu’on peut maintenant «vivre avec le virus», la pandémie de COVID-19 continue d’infecter des centaines de personnes tous les jours au Québec et de causer 4 décès quotidiens en moyenne dans la semaine se terminant le 29 octobre.
Victimes de la pandémie, mais aussi de décennies de coupures et d’austérité, le système de santé et le système scolaire sont au bord de l’effondrement, aux prises avec une pénurie de personnel qualifié et des infrastructures vétustes.
À 5.1%, l’inflation a atteint son plus haut niveau au Québec depuis 2003 et les augmentations de prix dépassent de loin la misérable augmentation des salaires. L’augmentation encore plus importante du prix de l’essence et de plusieurs denrées alimentaires essentielles menace le niveau de vie de millions de travailleurs, qui doivent simultanément composer avec une crise du logement, caractérisée par des prix faramineux pour les résidences et une pénurie de logements à prix abordable.
Uniquement préoccupée par les exigences de la classe dirigeante pour toujours plus de coupes dans les dépenses publiques et d’attaques contre les travailleurs pour augmenter les profits, la CAQ n’a aucune solution à cette catastrophe sociale.
Déjà, LeBel a annoncé que la mise à jour budgétaire du 25 novembre verra une intensification des mesures d’austérité (désignées sous l’euphémisme orwellien d’«efficience»). Par ailleurs, dans son discours d’ouverture, Legault a annoncé une énième «réforme» du système de santé, qui passera non pas par l’injection massive de fonds additionnels, mais par une «décentralisation» et d’autres mesures administratives qui ne changeront rien.
Confrontée à une classe ouvrière qui s’oppose de façon de plus en plus militante à ses politiques en faveur des riches, l’élite dirigeante utilise le nationalisme québécois pour renforcer son emprise idéologique sur les travailleurs en insistant sur l’appartenance à la «nation» québécoise. Un double objectif est poursuivi: diviser la classe ouvrière au Québec selon des lignes ethniques et linguistiques; et isoler les travailleurs québécois de leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada, aux États-Unis et outremer.
Conscient de ces divisions de classe et soucieux de contenir la colère qui monte au sein de la classe ouvrière, Legault a évoqué la pandémie comme un exemple du succès du nationalisme à garantir «une cohésion qui nous a aidés … à respecter les consignes, à nous faire vacciner, à acheter Québécois».
Si Legault peut présenter sa gestion désastreuse de la pandémie comme un succès, c’est parce les syndicats, l’opposition et les forces de la pseudo-gauche comme Québec Solidaire, tous aussi désireux de démontrer leur utilité à la classe dirigeante, se sont ralliés aux politiques meurtrières de la CAQ. Pleinement appuyées par le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau, ces politiques ont causé au Québec l'un des taux de mortalité par habitant les plus élevés du monde avec un bilan officiel, à ce jour, de près de 11.500 victimes.
Ces mêmes forces endossent maintenant le chauvinisme de la CAQ et sa politique de nationalisme économique, déterminées elles aussi à favoriser la bourgeoisie québécoise et le «Québec inc.» face à ses concurrents dans le reste du Canada et ailleurs dans le monde.
L’utilisation d’un nationalisme explicitement de droite – chauvin, anti-immigrants et courtisant l’extrême-droite – pour assurer la «cohésion sociale» et étouffer la lutte des classes n’est pas exclusive au Québec. C’est une tendance internationale comme le démontre la montée de l’AfD en Allemagne, celle de Marine Le Pen en France et la tentative de coup d’État de Trump appuyé de groupes fascistes aux États-Unis.
Partout confrontée à la même indifférence de l’élite pour la souffrance et la mort, la classe ouvrière internationale est en marche. La réponse de la classe dirigeante est une campagne agressive pour diviser les travailleurs selon leur pays ou région d’origine et utiliser le nationalisme pour désamorcer les tensions sociales et attiser la réaction et le militarisme.
La réponse de la classe ouvrière doit être d’unifier ses luttes et de mettre en pratique le mot d’ordre de Karl Marx: «Travailleurs de tous les pays, unissez-vous!»