Le gouvernement américain et la CIA ont comploté pour kidnapper ou assassiner Assange à Londres

Un article d’enquête explosif de Yahoo News a révélé des plans aux plus hauts niveaux de l’Agence centrale de renseignement américaine (CIA) et du gouvernement Trump visant à kidnapper, illégalement, voire même à assassiner l’éditeur de WikiLeaks Julian Assange alors qu’il était réfugié politique internationalement reconnu à l’ambassade d’Équateur à Londres.

S’appuyant sur des discussions avec plus de 30 anciens responsables gouvernementaux américains, l’article allègue un comportement de l’ancien président Donald Trump, du directeur de la CIA de l’époque Mike Pompeo et d’autres hauts responsables gouvernementaux, qui revient à une conspiration criminelle visant à enlever et assassiner le journaliste. L’ampleur et l’intensité des discussions sur les «mesures extrêmes» à l’encontre d’Assange cependant témoigne de l’implication des hauts échelons de l’appareil d’État, de la direction du Parti démocrate et des alliés des États-Unis, notamment de la Grande-Bretagne et de l’Australie.

L’article confirme que la tentative actuelle des États-Unis d’extrader Assange de Grande-Bretagne et de le poursuivre en justice est une feuille de vigne pseudo-légale pour une opération de restitution extraordinaire. Les tueurs de la CIA n’ayant pas réussi à enlever ou à «éliminer» le fondateur de WikiLeaks, le gouvernement américain cherche à atteindre les mêmes objectifs en engageant des poursuites sans précédent au titre de l’Espionage Act, accusant Assange du «crime» d’avoir révélé des guerres illégales, une surveillance de masse et des intrigues diplomatiques mondiales.

Julian Assange, fondateur de WikiLeaks [Crédit: AP Photo/Matt Dunham].

Le fait que les poursuites ont été engagées sous Trump et qu’elles se poursuivent sous le gouvernement Biden démontre l’unanimité de l’élite dirigeante dans la campagne visant à détruire Assange et WikiLeaks, établissant un précédent majeur pour la suppression de l’opposition sociale et politique.

L’article note de façon significative que l’activité intensive des services de renseignement contre Assange a commencé sous le gouvernement Obama.

En 2012, les menaces du gouvernement démocrate de poursuivre Assange et l’orchestration de sa part de provocations contre WikiLeaks avaient contraint celui-ci à demander l’asile à l’ambassade d’Équateur. La campagne s’est intensifiée en 2013, après qu’Edward Snowden eut révélé la surveillance de masse illégale exercée par l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) et trouvé asile en Russie. Cette année-là, le gouvernement Obama a élaboré un plan avec le gouvernement britannique pour empêcher Assange de quitter l’ambassade et de trouver la liberté à l’étranger.

En 2016, WikiLeaks a publié des documents du Comité national démocrate qui dévoilaient la corruption politique, entre autre le sabotage de la candidature de Bernie Sanders en faveur d’Hillary Clinton, la représentante de Wall Street et des agences de renseignement.

Selon Yahoo, le gouvernement Obama a réagi en qualifiant WikiLeaks et ses associés de «cibles valables pour divers types d’espionnage, y compris la collecte technique rapprochée – comme les mouchards – parfois permise par l’espionnage en personne, et les “opérations à distance”. Cela signifie, entre autres, le piratage à distance des appareils des membres de WikiLeaks…»

Le rapport de Yahoo News confirme la propre évaluation d’Assange que la publication par WikiLeaks de Vault 7, une vaste tranche de matériel divulguant les activités d’espionnage de la CIA, a été un facteur décisif dans les efforts de plus en plus frénétiques de l’État américain pour oblitérer l’organisation par tous les moyens. Publiés à partir de mars 2017, ces documents ont dévoilé les opérations de piratage offensif de la CIA à l’international, la désignant comme l’un des plus grands pourvoyeurs de logiciels malveillants du monde.

Parmi ces révélations explosives il y avait la confirmation que l’agence pouvait pirater des systèmes informatiques et laisser des signes «révélateurs» que ces intrusions étaient l’œuvre d’une puissance hostile comme la Russie ou l’Iran. Cela a jeté le doute sur les allégations incessantes et non fondées de piratage russe et d’autres États, notamment aux élections américaines de 2016, qu’on utilisait pour renforcer les menaces et provocations militaristes américaines. La CIA cherchait également à pirater les systèmes informatiques des voitures modernes – une capacité pouvant être utilisée pour des assassinats – et espionnait les gens à travers leurs télévisions et leurs smartphones.

La réaction fut immédiate. Les agences de renseignement avaient été incapables de prouver les affirmations bidon selon lesquelles WikiLeaks agissait de concert avec l’État russe. Comme l’a dit un ancien responsable à Yahoo: «Il y a eu beaucoup de débats juridiques: agissent-ils en tant qu’agent russe? Ce n’était pas clair qu’ils l’étaient, alors la question était de savoir si on pouvait les recadrer en tant qu’entité hostile.»

La nouvelle doctrine a été dévoilée dans un discours de Pompeo au siège de la CIA en avril 2017. Dans une diatribe sur la publication de Vault 7, le directeur de la CIA a qualifié WikiLeaks de «service de renseignement non étatique hostile».

Citant d’anciens responsables anonymes du gouvernement Trump, Yahoo a expliqué qu’en utilisant cette description, Pompeo «ne parlait pas à brûle-pourpoint et ne répétait pas une phrase concoctée par un rédacteur de discours de la CIA». Au contraire, il exposait une justification pseudo-juridique pour appliquer les méthodes meurtrières employées par les États-Unis en Irak, en Afghanistan et ailleurs à WikiLeaks. Selon les termes d’un ancien fonctionnaire de la CIA, WikiLeaks passerait pour les agences de renseignement du statut de «cible de collecte à celui de cible de perturbation».

Selon Yahoo:

Peu après son discours, Pompeo avait demandé à un petit groupe d’officiers supérieurs de la CIA de déterminer «l’art du possible» en ce qui concernait WikiLeaks, a déclaré un autre ancien haut fonctionnaire de la CIA. « Il a dit: “Rien n’est hors limites. Ne vous auto-censurez pas. J’ai besoin d’idées opérationnelles de votre part. Je m’occuperai des avocats à Washington».

Les stations de la CIA dans le monde entier ont reçu l’ordre d’intensifier leurs activités contre WikiLeaks. Cela comprenait des mesures actives, comme chercher à provoquer la discorde au sein de l’organisation. L’article de Yahoo suggère également que l’agence aurait mené des effractions et d’autres actions de surveillance illégales dans des États européens, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne. Elle a mis en place une surveillance de type «habitudes de vie» contre le personnel et les associés de WikiLeaks.

Yahoo ajoute:

Lors de réunions entre hauts responsables du gouvernement Trump après que WikiLeaks eut commencé à publier les documents de Vault 7, Pompeo a commencé à discuter de l’enlèvement d’Assange, selon quatre anciens responsables. Bien que l’idée de kidnapper Assange ait précédé l’arrivée de Pompeo à Langley, le nouveau directeur s’est fait le champion de ces propositions, selon d’anciens responsables.

Les discussions sont toutefois allées plus loin:

Les responsables américains avaient aussi envisagé de tuer Assange, selon trois anciens responsables. L’un de ces responsables a déclaré avoir été informé d’une réunion au printemps 2017 où le président avait demandé si la CIA pouvait assassiner Assange et lui fournir des «options» sur la façon de le faire.

Trump a nié cette affirmation, tandis que d’autres personnes interrogées par Yahoo ont cherché à la minimiser en la qualifiant d’« idée en l’air ». L’agence a toutefois demandé et reçu des plans sur la manière dont un tel assassinat pourrait être mené, ainsi que sur la manière dont d’autres membres de WikiLeaks en Europe pourraient être assassinés.

De plus, des articles antérieurs ont clairement montré que la CIA était allée au-delà des discussions de sa centrale de Langley. D’anciens employés d’UC Global, la société de sécurité privée engagée par le gouvernement équatorien pour assurer la sécurité de son ambassade à Londres, ont témoigné sous serment que cette société fonctionnait comme un mandataire de la CIA. Des enregistrements audio et vidéo d’Assange, y compris de ses réunions privées avec des avocats, ont été effectués subrepticement par cette société. Ses employés, qui contrôlaient effectivement l’environnement physique d’Assange, ont également été invités à réfléchir à des moyens de le tuer, éventuellement par empoisonnement, ou de l’enlever.

Alors que la campagne des États-Unis s’intensifiait, les autorités équatoriennes auraient prévu d’évacuer Assange de l’ambassade en lui fournissant un poste diplomatique. Un plan – confirmé par Fidel Navaez, ancien haut diplomate de l’ambassade et partisan d’Assange – a été élaboré pour transférer le fondateur de WikiLeaks en Russie fin 2017. Lorsque des responsables équatoriens l’ont informé, Assange a rejeté la suggestion de se rendre à Moscou, et a évoqué la nécessité de trouver un autre pays tiers.

Les services de renseignement américains ont pris connaissance de ces discussions, probablement grâce aux activités d’UC Global. Selon Yahoo, ils ont discuté de contre-mesures délirantes, comme celles de percuter toute voiture qui transporterait Assange dans les rues de Londres et de tirer sur les pneus de tout avion dans lequel il voyagerait. Les autorités britanniques ont également déclaré qu’elles ne reconnaîtraient aucune protection diplomatique accordée à Assange.

L’article indique clairement que si les plans d’enlèvement et d’assassinat n’ont pas été exécutés, ce n’était pas dû à une opposition de principe au sein de l’appareil d’État. Mais certains fonctionnaires du ministère de la Justice et des avocats du gouvernement ont prévenu que les actions envisagées constitueraient une violation flagrante du droit international qui saperait l’impérialisme américain en Europe et dans le monde. Comme l’a dit l’un d’eux à Yahoo, les complots de meurtre et d’enlèvement étaient «quelque chose que nous ferions en Afghanistan, mais pas au Royaume-Uni».

L’article démontre le lien profond entre la campagne de coups bas de la CIA et la tentative pseudo-légale de poursuivre Assange. Celle-ci est issue de celle-là. Comme l’écrit Yahoo: «Le ministère de la Justice craignant que les plans de la CIA ne fassent dérailler d’éventuelles poursuites criminelles, a accéléré la formulation des chefs d’accusations contre Assange pour s’assurer qu’ils soient en place s’il était amené aux États-Unis».

Ces dernières révélations confirment le caractère criminel des poursuites contre Assange et de toutes les forces qui y sont impliquées, depuis l’État américain et les partis démocrate et républicain jusqu’aux gouvernements et partis officiels de Grande-Bretagne, d’Australie et d’autres pays alliés.

Elles soulignent que, par leurs poursuites contre Assange, les gouvernements cherchent à établir des précédents pour des attaques de grande envergure contre les journalistes et militants politiques dissidents, ciblant avant tout l’opposition croissante venant de la classe ouvrière. Les activités détaillées dans l’article de Yahoo rappellent les opérations d’espionnage menées par la CIA, le FBI et d’autres agences contre les organisations socialistes et de gauche et les publications d’alternative, au cours de la dernière période de bouleversements révolutionnaires, dans les années 1960 et 1970.

Des leçons cruciales doivent être tirées. La perspective d’en appeler au gouvernement Trump ou à celui de Biden, promue par la campagne officielle «Don't Extradite Assange» (N’extradez pas Assange) et par des organisations similaires, est totalement banqueroutière. En pratique, elle se résume à des plaidoyers moraux dérisoires à l’intention de ceux qui complotent pour détruire WikiLeaks et tuer Assange.

Un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière doit être construit pour garantir la liberté d’Assange et défendre les droits démocratiques. C’est vers les millions de travailleurs et de jeunes qui entrent en lutte contre les gouvernements qui persécutent Assange que les défenseurs des libertés civiles doivent se tourner.

(Article paru d’abord en anglais le 27 septembre 2021)

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