L’annonce la semaine dernière d’une nouvelle alliance militaire Australie/Royaume-Uni/États-Unis (AUKUS), avec la fourniture à l’Australie de sous-marins à propulsion nucléaire par les États-Unis et le Royaume-Uni, est le fer de lance d’une plus forte intégration de l’Australie dans les préparatifs américains de guerre contre la Chine.
Dans le dos de leurs populations – sans aucune mention aux parlements ni au Congrès – les trois gouvernements ont placé l’Australie en première ligne des plans de guerre contre la Chine visant à réaffirmer l’hégémonie mondiale des États-Unis.
Pour la première fois, le gouvernement australien a explicitement désigné la Chine comme la cible du renforcement militaire, abandonnant ses efforts précédents pour ne pas le faire, la Chine restant le plus grand marché d’exportation du capitalisme australien.
Le lendemain de l’annonce de l’AUKUS, les ministres américains et australiens de la Défense et des Affaires étrangères ont publié à Washington un communiqué où l’Australie prend l’engagement d’accueillir troupes, bombardiers, avions de chasse et navires de guerre américains et de servir de base logistique en cas de conflit militaire entre puissances nucléaires.
La 31e déclaration conjointe des consultations ministérielles annuelles entre l’Australie et les États-Unis (AUSMIN) était intitulée: «Une alliance indéfectible pour la paix et la prospérité».
L’essentiel de cette déclaration est un accord sur le «renforcement de la coopération en matière de posture des forces et de l’intégration de l’alliance». Celui-ci porte à un autre niveau le pacte sur les Initiatives de posture des forces, signé entre le gouvernement Obama et le gouvernement travailliste Gillard il y a dix ans et qui prévoyait le stationnement par rotation de Marines américains dans la ville stratégique de Darwin, dans le nord de l’Australie.
Les quatre ministres – le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin, le secrétaire d’État Antony Blinken, le ministre australien de la Défense Peter Dutton et la ministre australienne des Affaires étrangères Marise Payne – ont convenu:
- Une coopération aérienne renforcée grâce au déploiement par rotation d’avions américains de tous types en Australie et à des entraînements et exercices appropriés.
- De renforcer la coopération maritime en augmentant les capacités logistiques et de soutien des navires de surface et sous-marins américains en Australie.
- De renforcer la coopération terrestre en organisant des manœuvres plus complexes et plus intégrées et un plus fort engagement combiné avec les alliés et partenaires dans la région.
- La mise en place d’une entreprise combinée de logistique, de soutien et de maintenance pour appuyer des opérations de combat de haut niveau et des opérations militaires combinées dans la région.
Lors d’une conférence de presse, Dutton a laissé entrevoir une nouvelle extension des opérations militaires américaines en Australie. «J’aspire à ce que nous puissions augmenter le nombre de troupes par le biais des rotations, la capacité aérienne sera améliorée, ainsi que notre capacité maritime», a-t-il déclaré. «Si cela inclut des bases et de stocker différentes ordonnances, je pense que c’est dans le meilleur intérêt de l’Australie à ce stade».
Blinken a amplifié les allégations et menaces provocatrices du gouvernement Biden contre la Chine, accusant Pékin de «coercition économique» vis-à-vis de l’Australie. Les États-Unis «ne laisseraient pas l’Australie seule sur le terrain» à affronter la Chine.
Payne lui a emboîté le pas. «Aujourd’hui, nous avons également discuté de la concurrence stratégique. Nous avons discuté de la concurrence de la Chine à divers niveaux, qui nous oblige à répondre et à augmenter la résistance».
S’exprimant depuis l’Australie, le premier ministre Scott Morrison a déclaré: «L’environnement relativement bénin dont nous avons bénéficié pendant plusieurs décennies dans notre région se trouve derrière nous. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère comportant de nouveaux défis pour l’Australie et ses partenaires».
Un commentaire du New York Times sur le pacte AUKUS note que lorsque Morrison est devenu premier ministre il y a trois ans, il avait insisté sur le fait que le pays pouvait maintenir des liens étroits avec la Chine, son principal partenaire commercial, tout en travaillant avec les États-Unis, son principal allié en matière de sécurité.
«L’Australie n’a pas à choisir», avait-il déclaré dans l’un de ses premiers discours de politique étrangère. Mais le New York Times a déclaré: «Jeudi, l’Australie a effectivement choisi… Avec sa décision d’acquérir des armes lourdes et des technologies top secrètes, l’Australie a rejoint le camp des États-Unis pour les générations à venir…»
«L’accord ouvrira la voie à des liens militaires plus étroits et à des attentes plus élevées que l’Australie se joigne à tout conflit militaire avec Pékin».
Selon l’article, les États-Unis ont également fait un choix: «Que la nécessité d’une alliance ferme pour contrer Pékin est si urgente qu’elle écarte des réserves de longue date sur le partage de technologies nucléaires sensibles. L’Australie deviendra le deuxième pays seulement – après la Grande-Bretagne en 1958 – à avoir accès à la technologie des sous-marins américains, qui permet des déplacements plus furtifs sur de plus longues distances».
Il est significatif que le communiqué AUSMIN fait spécifiquement référence à Taïwan, que les États-Unis et leurs alliés utilisent comme déclencheur potentiel d’un conflit avec la Chine. Le document mine encore davantage la politique d’«une seule Chine» par laquelle les États-Unis ont reconnu Pékin comme gouvernement légitime de toute la Chine, y compris Taïwan, en 1979.
«Les secrétaires et ministres ont souligné à nouveau le rôle important de Taïwan dans la région Inde-Pacifique», indique le communiqué. «Les deux parties ont affirmé leur intention de renforcer les liens avec Taïwan, qui est une démocratie de premier plan et un partenaire essentiel pour les deux pays».
Cet alignement anti-Chine agressif sera encore intensifié la semaine prochaine à Washington par la toute première réunion en personne des dirigeants d’une alliance militaire anti-chinoise de fait, le Dialogue de sécurité quadrilatéral, ou «Quad» – États-Unis, Japon, Inde et Australie.
Sûr d’être soutenu par les travaillistes, le gouvernement Morrison a procédé en étroite consultation avec le Labor Party. Le chef de l’opposition, Anthony Albanese, et trois ministres fantômes clés ont été briefés avant qu’on annonce l’AUKUS.
Conformément à l’engagement sans équivoque depuis des décennies du Parti travailliste envers l’alliance militaire américaine, Albanese a immédiatement déclaré que son parti était d’accord avec la nouvelle alliance et l’acquisition de sous-marins nucléaires.
Il a demandé trois garanties, déjà inclues dans l’accord: pas de capacité d’énergie nucléaire civile, pas de violation des traités de non-prolifération nucléaire et pas d’acquisition d’armes nucléaires. Des garanties au fond dénuées de sens, car la logique de l’armement à propulsion nucléaire implique l’acquisition d’une capacité de guerre nucléaire.
Morrison, Dutton et d’autres ministres australiens ont rejeté sans ménagement la condamnation par la Chine de l’AUKUS et des accords sur les sous-marins, fortement soutenus par les médias de la grande entreprise.
Greg Sheridan, rédacteur en chef des affaires étrangères du quotidien The Australian, écrit: «L’accord promet non seulement des sous-marins nucléaires, mais aussi une participation encore plus étroite des États-Unis et de la Grande-Bretagne dans la sécurité régionale et dans notre sécurité… Dans le sillage de la débâcle de l’Afghanistan, c’est une bonne évolution en soi».
Néanmoins, des inquiétudes ont été exprimées au sein de l'establishment politique et militaire quant au caractère sans fard des mesures prises à l'encontre de la Chine. L'ancien premier ministre travailliste Kevin Rudd a défendu l'alliance avec les États-Unis mais a appelé l'Australie à être un allié 'intelligent', et non un allié qui 'peint une très grande cible sur notre front'.
Hugh White, professeur à l’Australian National University et ancien responsable à la Défense, a mis en garde: «Au fur et à mesure que la rivalité entre les États-Unis et la Chine s’intensifie, les États-Unis attendront de l’Australie qu’elle en fasse plus. Si les États-Unis autorisent l’Australie à avoir accès à leur technologie nucléaire, c’est parce qu’ils s’attendent à ce que l’Australie déploie ses forces dans une guerre potentielle avec la Chine».
Ces réponses reflètent la nervosité des cercles dirigeants quant à la perte probable de marchés chinois lucratifs, à la perspective d’une guerre désastreuse et surtout au déclenchement d’un sentiment anti-guerre généralisé.
(Article paru d’abord en anglais le 18 septembre 2021)