Cliff Slaughter: une biographie politique (1928-1963)

Quatrième partie

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Cette biographie politique en quatre parties de Cliff Slaughter couvre la période entre 1928 et 1963. Une deuxième partie de la biographie, de 1963 à sa mort, sera publiée plus tard dans l’année.

Cliff Slaughter

Slaughter et Lénine et la dialectique

Le même numéro de Labour Review comprend la première partie d’un essai en trois parties écrit par Slaughter, intitulé «Dans l’atelier de la révolution: les carnets philosophiques de Lénine». Publié plus tard sous forme de pamphlet, sous le titre «Lénine et la dialectique» (Lenin on Dialectics), il s’avère être le plus connu et le plus influent des travaux théoriques de Slaughter. Cet essai constitue une contribution majeure à la clarification de la relation entre le matérialisme dialectique et l’analyse des phénomènes sociaux et des processus politiques. L’importance de cet essai dans le contexte de la lutte contre la volonté de réunification du SWP avec le pablisme est analogue à celle de l’exposition de la dialectique matérialiste par Trotsky dans la lutte de faction de 1939-40 au sein du Socialist Workers Party. Avec «Opportunism and Empiricism», écrit par Slaughter en mars 1963 et publié comme une déclaration du Comité national de la SLL, «Lénine et la dialectique» joue un rôle majeur dans l’éducation des cadres du Comité international dans les années qui suivent la scission avec le Socialist Workers Party.

En outre, la haute estime dans laquelle Slaughter est tenu au sein du Comité international est basée, dans une large mesure, sur l’étude appréciative de cet ouvrage par les camarades.

La publication par les éditeurs soviétiques d’une nouvelle édition en langue anglaise des Œuvres complètes de Lénine en 1961 est un événement politique et intellectuel majeur. Cette édition comprend un nouveau volume, le numéro 38, constitué d’une importante collection de notes prises par Lénine au cours de son étude des principaux ouvrages de philosophie. Les plus importantes de ces notes étaient son «Aperçu de la science de la logique de Hegel» et son «Aperçu des conférences de Hegel sur l’histoire de la philosophie». Le volume 38 comprend également un essai remarquable, «Sur la question de la dialectique». Lénine avait écrit ces ouvrages en 1914-15, après son arrivée en Suisse à la suite du déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Les notes de Lénine sur Hegel n’étaient pas totalement inconnues en dehors de l’Union soviétique avant la publication de la nouvelle édition des Œuvres complètes de Lénine. Une édition en langue française des Cahiers philosophiques de Lénine avait été publiée en 1955 et avait été largement commentée.

Cependant, la publication des Cahiers en anglais élargit considérablement leur lectorat et a un impact immense sur l’appréciation politique et scientifique de Lénine. Ces notes établissent clairement que Lénine était un penseur d’une immense profondeur. Les efforts qui visaient à le dépeindre comme un simple politicien habile, qui répondait intuitivement aux opportunités qui se présentaient, sont anéantis. Lénine était, comme il s’était décrit un jour dans une lettre à Gorki, un «chercheur» en philosophie, capable de saisir les concepts les plus complexes et les plus abstraits.

Vladimir Lénine

Le volume 38 soulève d’importantes questions: Quel est le rapport entre l’étude de Hegel par Lénine en 1914-15 et la conquête du pouvoir par les bolcheviks en 1917? Pourquoi Lénine, dans les conditions d’une guerre mondiale qui faisait rage, a-t-il passé des heures dans une bibliothèque suisse à Berne à étudier la «Science de la logique» de Hegel, l’un des textes philosophiques les plus difficiles et les plus abstraits? Une autre question soulevée par les Cahiers est leur relation avec un ouvrage philosophique antérieur écrit par Lénine, «Matérialisme et empiriocriticisme». Ce dernier ouvrage avait été si souvent qualifié de reprise du matérialisme «vulgaire». Les notes de Lénine sur Hegel signifiaient-elles une réorientation fondamentale de ses perspectives théoriques, s’éloignant d’un «matérialisme mécanique» ennuyeux vers un mélange «dialectique» de matérialisme et d’idéalisme? Lénine, sous l’influence de Hegel, avait-il finalement vu la lumière et modifié substantiellement son hostilité implacable à l’idéalisme?

La direction de la Socialist Labour League avait connaissance des Cahiers avant la publication du volume 38. Un important article de 1958 publié dans Labour Review, «Lénine en tant que philosophe» (Lenin as Philosopher), par Peter Fryer, cite des passages des Cahiers philosophiques français (traduits de l’édition française par Fryer lui-même) afin de réfuter E.P. Thompson qui considérait Lénine comme un adepte du matérialisme mécanique qui comprenait peu les subtilités de la pensée dialectique. [73]

Il ne fait aucun doute que le contenu et la signification des Cahiers philosophiques font l’objet d’intenses discussions au sein de la direction de la SLL et, en particulier, entre Healy, Slaughter, Tom Kemp et Cyril Smith. Healy, en particulier, est désireux d’attirer l’attention sur les questions méthodologiques soulevées par la lutte en cours avec le SWP. Rappelant l’intervention de Trotsky contre le pragmatisme de James Burnham dans la lutte de faction de 1939-40, la SLL avait déjà commencé à se concentrer sur les calculs pragmatiques de bas niveau et banals qui déterminaient les politiques du SWP. Il est probable que Healy ait incité Slaughter à écrire un essai sur le nouveau volume. Les préoccupations qui ont motivé la rédaction de cet essai sont clairement énoncées dans son introduction:

Ces écrits s’avéreront absolument inestimables dans le processus, qui commence maintenant, de développement de la théorie marxiste pour répondre aux tâches révolutionnaires de la classe ouvrière dans ce pays et dans tous les autres. Tout comme Lénine a apporté son énorme contribution originale à la théorie dans le cadre de la construction d’une direction révolutionnaire au début du siècle, le développement théorique aujourd’hui n’aura lieu que dans le cadre de la lutte vivante pour surmonter les trahisons et la dégénérescence théorique des mouvements sociaux-démocrates et staliniens. Surmonter les conséquences de ces trahisons n’est pas une question de mots, mais de construction d’une autre direction qui peut armer la classe ouvrière avec la théorie en développement requise pour atteindre la conscience de son rôle historique et la stratégie nécessaire de la lutte des classes.

En lisant Lénine, notre objectif n’est donc pas de trouver des recettes pour nos problèmes actuels, mais de nous faire une idée de la méthode utilisée par ce penseur et dirigeant politique exceptionnel. En utilisant cette méthode, Lénine a fait d’importantes découvertes sur la nature du capitalisme mondial et sur les relations sociales et les idéologies de son époque, en particulier en Russie. Ces découvertes ont fait l’objet de plus d’études que la méthode elle-même, et pourtant l’utilisation de la méthode dialectique par Lénine était la clé de sa capacité à analyser les nouvelles étapes du développement économique et politique, et de sa maîtrise de la stratégie et des tactiques politiques. [souligné dans l’original] [74]

Slaughter conteste ceux qui visent à présenter les notes de Lénine sur la Logique de Hegel comme une rupture avec «Matérialisme et empiriocriticisme»:

Il est habituel dans certains milieux de prétendre que ce n’est que lorsque Lénine a lu Hegel en 1914-15 qu’il a compris la dialectique; il est même de bon ton de croire que cela a été démontré. Dans ses premiers écrits, on dit que Lénine était grossier et mécanique; cette grossièreté est censée avoir été la plus explicite dans son «Matérialisme et empiriocriticisme» (1908), mais l’implication est que ses attitudes sur l’organisation du Parti et les questions politiques étaient rigides et dogmatiques. Il est important de voir que cette thèse est retenue sur une base très étroite: au lieu d’un examen de l’œuvre réelle de Lénine, y compris «Matérialisme et empiriocriticisme», on nous présente généralement des extraits tronqués de cette œuvre, qui en déforment le sens, ou une série de courtes citations des Cahiers qui sont censées montrer que Lénine a renoncé à son passé philosophique…

Or, s’il ne fait aucun doute que sa lecture de Hegel au début de la Première Guerre mondiale a enrichi la théorie de Lénine, lui a permis de pénétrer plus profondément dans l’essence des contradictions de l’impérialisme et du mouvement ouvrier, il est tout à fait erroné de faire la démarcation rigide qui est maintenant si souvent faite entre les phases «pré-hégéliennes» et «post-hégéliennes» de sa vie politique. Il y a plutôt un développement réellement dialectique dans l’œuvre même de Lénine. [75]

La deuxième partie de l’essai de Slaughter met en relation le travail de Lénine sur Hegel avec les problèmes d’analyse et de pratique politiques soulevés dans la lutte avec le SWP. Le dirigeant du SWP, Joseph Hansen – plus tard démasqué en tant qu’informateur du FBI par le Comité international – défend une pratique politique basée sur une réponse impressionniste aux «faits» de toute situation politique donnée. Ceci était combiné, souligne Slaughter, à une forme d’«objectivisme» passif – souvent confondu avec le matérialisme – qui évalue les événements politiques comme s’ils se déroulaient entièrement en dehors et indépendamment de l’action humaine en général et de la pratique «critique-révolutionnaire» en particulier.

Les objectivistes – comme Lénine l’avait expliqué dès 1894, 20 ans avant la rédaction des Cahiers – parlent de l’«inévitabilité» de tel ou tel résultat politique; mais à la différence du matérialiste marxiste (dialectique), ils ne parviennent pas à révéler «quelle formation socio-économique exacte donne son contenu au processus, quelle classe exactement détermine cette nécessité». [76] Ainsi, comme le souligne Slaughter, cette combinaison d’une «adoration impressionniste du fait accompli» et d’une passivité objectiviste réduit le parti marxiste – dans la mesure où on peut toujours le décrire comme marxiste – au rôle de spectateur impuissant des événements. Ainsi, il évite sa responsabilité d’intervenir dans les événements et de fournir une direction à la classe ouvrière et de s’efforcer de faire évoluer les événements – dans la mesure où un tel potentiel existe objectivement – dans une direction révolutionnaire.

Slaughter soutient que le travail de Lénine sur Hegel renforce le mouvement révolutionnaire en résistant à une telle approche essentiellement non marxiste et révisionniste de la politique:

Les Cahiers de Lénine sur Hegel peuvent sembler obscurs et une préoccupation peu pressante, alors que de grandes choses se passent partout dans le monde. Cependant, c’est exactement sur le front théorique que la lutte la plus vive et la plus intransigeante doit être menée. Une conception erronée ici peut signifier une méthode entièrement erronée, les relations entre les faits deviennent totalement incomprises, et des conclusions désastreusement fausses sont tirées. Par exemple, certains «marxistes» supposent que la méthode marxiste a le même point de départ que l’empirisme: c’est-à-dire qu’elle commence par «les faits». Il est difficile de comprendre pourquoi Lénine et d’autres ont passé tant de temps sur Hegel et la méthode dialectique si cela était vrai. Bien sûr, toute science est basée sur des faits. Cependant, la définition et l’établissement des «faits» sont cruciaux pour toute science. Une partie de la création d’une science est précisément sa délimitation et sa définition en tant que domaine d’étude avec ses propres lois: à travers l’expérience, on montre que les «faits» sont interconnectés objectivement et dans le respect de ces lois de telle manière qu’une science de ces faits offre une base significative et utile pour la pratique. Nos marxistes «empiristes» dans le domaine de la société et de la politique sont loin de cet état de fait. Leur procédure consiste à dire: nous avions un programme, basé sur les faits tels qu’ils étaient en 1848, ou en 1921, ou en 1938; maintenant les faits sont évidemment différents, donc nous avons besoin d’un programme différent…

C’est une vision fausse et non marxiste des «faits» qui conduit à ces idées révisionnistes. Ce que disent nos «objectivistes», avec leur message «l’histoire est de notre côté», c’est ceci: regardez les grandes luttes qui ont lieu; additionnez-les sans les analyser, fiez-vous à vos impressions sur leur signification; et additionnez tout cela: et vous avez «les faits». Les révolutions coloniales sont réussies ici, et réussies là, et dans un autre endroit; alors le succès de la révolution coloniale est un fait. Des dirigeants nationalistes comme Nkrumah, Mboya et Nasser font des discours «anti-impérialistes» et procèdent même à des nationalisations; cela suggère que l’histoire tend irréversiblement et inexorablement à forcer les politiciens non prolétaires dans une direction socialiste. Mais l’«objectivisme» de ce genre est une collection d’impressions et non une riche analyse dialectique de l’ensemble du tableau, où les parties sont liées les unes aux autres. Une analyse véritablement objective part des relations économiques entre les classes à l’échelle mondiale et au sein des nations. Elle procède à une analyse des relations entre les besoins de ces classes et leur conscience et organisation. C’est sur cette base qu’elle fonde son programme pour la classe ouvrière à l’échelle internationale et dans chaque secteur national. Une liste des «forces progressistes» n’est pas une analyse objective! C’est le contraire, c’est-à-dire une simple collection d’impressions de surface, une acceptation de la conscience non scientifique existante de la lutte de classe contemporaine qui est exprimée par les participants, principalement des politiciens petits-bourgeois qui dirigent les mouvements nationaux et les mouvements ouvriers bureaucratisés. Ensuite, de recouvrir cette erreur théorique en suggérant que Castro et d’autres sont des marxistes «naturels» [comme le prétendaient Hansen et le SWP] ne sert qu’à confirmer que les «théoriciens» concernés sont peu conscients de l’ampleur de leur erreur. Ils semblent suggérer que les périodes de tension révolutionnaire maximale sont celles où les participants à la lutte de masse arrivent facilement et spontanément à des concepts révolutionnaires. Au contraire, c’est précisément à ces moments-là qu’il faut privilégier la conscience scientifique, la théorie et la stratégie développées dans la lutte sur une longue période.

L’essence de l’histoire du mouvement révolutionnaire prolétarien est l’effort conscient pour développer une théorie scientifique et une stratégie conforme à cette science. Tous les discours sur les développements «naturels» vers le marxisme sont une attaque contre la nécessité de poursuivre ce processus. L’empiriste croit qu’il peut étudier les différentes parties du processus social telles qu’elles se présentent au jour le jour. En les additionnant, on obtient alors une image globale «réaliste» ou «objective» et une perspective internationale. [77]

Slaughter ne préconisait pas un mépris cavalier pour les «faits». Mais cette accusation est souvent portée par les pragmatistes qui ignorent allègrement la méthodologie, les intérêts sociaux et même les préjugés politiques et intellectuels grossiers qui les amènent à décider qu’un «fait» est important ou non. Ils accordent peu d’attention, voire aucune, aux concepts employés dans le processus de la pensée. C’est à cette déficience intellectuelle commune que Hegel s’est spécifiquement adressée dans «La science de la logique» et qui a été au centre de l’étude de Lénine, en tant que matérialiste, de l’œuvre monumentale de Hegel. Lénine a expliqué l’importance fondamentale de la pensée théoriquement consciente (c’est-à-dire matérialiste dialectique), dont dépend une réflexion scientifiquement exacte de la réalité objective:

La logique est la science de la cognition. C’est la théorie de la connaissance. La connaissance est le reflet de la nature par l’homme. Mais il ne s’agit pas d’une réflexion simple, immédiate, complète, mais du processus d’une série d’abstractions, de la formation et du développement de concepts, de lois, etc. (la pensée, la science = «l’Idée logique») adoptent conditionnellement, approximativement, le caractère universel régi par des lois de la nature éternellement en mouvement et en développement. Ici, il y a réellement, objectivement, trois membres: 1) la nature; 2) la cognition humaine = le cerveau humain (en tant que produit le plus élevé de cette même nature), et 3) la forme de réflexion de la nature dans la cognition humaine, et cette forme consiste précisément en concepts, lois, catégories, etc. L’homme ne peut pas comprendre = réfléchir = refléter la nature dans son ensemble, dans sa complétude, dans sa «totalité immédiate», il ne peut que s’en rapprocher éternellement, en créant des abstractions, des concepts, des lois, une image scientifique du monde, etc., etc. [78]

Georg Wilhelm Friedrich Hegel

Slaughter, tout en expliquant l’immense importance de l’élaboration de la logique dialectique par Hegel, prend soin de souligner les fondements idéalistes de son œuvre et, par conséquent, ses limites. De plus, il met en garde: «Supposer que la “méthode dialectique” est un raccourci qui rend inutile tout ce dur travail [d’analyse économique, sociale et politique] est l’erreur de ceux qui parlent avec désinvolture d’“appliquer” la dialectique.» [79]

L’appropriation effective et scientifiquement légitime des avancées de Hegel dans l’élaboration de la logique dialectique n’était possible que par le tournant vers le matérialisme, qui exigeait de Marx plus qu’une critique philosophique. Comme l’explique Slaughter:

Lénine pouvait se baser non seulement sur le rejet philosophique de Hegel par le jeune Marx, mais plus solidement sur l’étude scientifique économique et sociale menée par Marx dans l’accomplissement de ce tournant vers le matérialisme. Le «monde objectif créé par l’homme» se résumait à une série définie de formations socio-économiques historiquement spécifiques basées sur des relations de production définies. Ces «structures économiques», les relations nécessaires dans lesquelles les hommes s’organisent pour exploiter les forces productives, les compétences et les techniques accumulées par l’ensemble de l’expérience humaine, sont les fondements objectifs de toute activité humaine et donc de toute théorie scientifique de cette activité. Avec la fin de la philosophie spéculative, la tâche de la science sociale ou du matérialisme historique était d’enregistrer les connexions et les contradictions nécessaires dans la vie sociale, en commençant par «le mode de production dans la vie matérielle». Rendre la classe ouvrière consciente de ces contradictions afin de mieux organiser sa lutte contre le capitalisme: telle a été l’œuvre de toute une vie de Marx, consacrée en grande partie à l’analyse scientifique de la société capitaliste et de ses contradictions. Les marxistes ont aujourd’hui la responsabilité et l’opportunité de produire un compte-rendu encore plus enrichi des relations entre le déclin de la société capitaliste, la lutte du prolétariat et la conscience ou la théorie du prolétariat, à son point culminant dans le parti révolutionnaire. Lénine a fait les contributions majeures dans cette direction de 1896 à sa mort, et Trotsky dans sa lutte pour empêcher la dégénérescence stalinienne du mouvement communiste international et ensuite construire une Quatrième Internationale dans la période de la désintégration violente de l’impérialisme entre 1922 et 1940. [80]

L’ampleur de l’impact de l’essai de Slaughter sur les cadres du Comité international – en particulier sur les forces qui avaient été gagnées au CIQI à la suite de la scission avec le SWP – ne peut être surestimée. Je suis obligé de mentionner ici l’importance de cet essai dans ma propre formation théorique et mon développement politique. La dérive du Workers Revolutionary Party vers l’opportunisme pabliste à la fin des années 1970 et au début des années 1980 devenait de plus en plus évidente. La question de la relation entre cette évolution rétrograde et le retour de Healy à une mauvaise interprétation pseudohégélienne des Cahiers de Lénine a pris une grande importance. Mes doutes grandissants sur la validité de l’approche de Healy – en fait, la conviction que ses conférences et articles sur le volume 38 étaient erronés et devaient être soumis à une critique complète – étaient largement influencés par ma relecture de Lénine sur la dialectique à l’automne 1982. J’ai copié de longs extraits du travail de Slaughter, auxquels j’ai ajouté, dans le but de clarifier mes idées, mes propres commentaires.

Dans une évaluation de l'approche de Slaughter à l'étude des Cahiers de Lénine, j'ai écrit:

Slaughter, tout en soulignant à juste titre la grande importance de l’étude de la Logique de Hegel par Lénine, ne fait aucune concession à l’idéalisme de Hegel, c’est-à-dire qu’il ne tente pas d’édulcorer la distinction fondamentale entre Lénine le matérialiste et Hegel l’idéaliste. Lénine, le partisan du matérialisme, s’est approprié tout ce qui était rationnel dans la Logique de Hegel afin d’enrichir la dialectique matérialiste. Ainsi, Slaughter note de manière appropriée les remarques critiques de Lénine, c’est-à-dire celles dirigées contre l’idéalisme de Hegel:

«Le mystique-idéaliste-spiritualiste Hegel (comme toute la philosophie officielle, cléricale-idéaliste de notre époque) exalte et expie le mysticisme, l’idéalisme dans l’histoire de la philosophie, tout en ignorant et en méprisant le matérialisme.»

Ce qui caractérise l’approche de Slaughter, par rapport à celle de GH [Gerry Healy], c’est sa démonstration que l’ensemble de l’œuvre de Lénine était imprégné de la méthode dialectique. Par conséquent, l’étude de Lénine sur la matière de la logique était orientée vers l’approfondissement de sa compréhension de la façon dont la logique de la matière se reflétait dialectiquement dans la pensée. La dialectique == comment le mouvement dans le monde extérieur, dans tous les phénomènes, s’exprime à travers des concepts…

Slaughter reconnaît que l’étude scientifique est la condition sine qua non de la méthode matérialiste dialectique. Ceci est tout à fait dans l’esprit de Marx et Engels. Les catégories philosophiques ne peuvent pas remplacer cette étude, car elles ne peuvent pas fournir un contenu hors de leur propre mouvement. Le développement conscient de la méthode dialectique est l’œuvre de la science, qui s’attache à découvrir les lois du mouvement de tous les phénomènes et leur interconnexion universelle. Slaughter fait également le lien avec le développement de la science de la politique révolutionnaire, établissant la continuité de l’œuvre de Lénine spécifiquement dans la lutte de Trotsky contre la dégénérescence stalinienne de l’URSS. Cet élément crucial est à peine mentionné dans les articles de GH [Gerry Healy]; et dans la mesure où il est mentionné, c’est simplement dans le but d’introduire sa version superficielle de la dialectique hégélienne, plutôt que d’analyser le véritable développement de la dialectique matérialiste de Trotsky. Quant à la première question, c’est-à-dire la nécessité d’une véritable étude scientifique, GH suggère que la reproduction abstraite des catégories rend cela superflu, puisque l’automouvement de la pensée duplique les catégories à travers lesquelles se déplace la pensée «correcte» (comme le soutient Ilyenkov). D’où la possibilité de pratiques «rapides» qui découlent inévitablement de la dialectique des concepts abstraits. Le résultat de cette méthode est inévitablement une acceptation sans critique des impressions qui sont interprétées à tort comme le flux dialectique des concepts. On ne cesse ainsi de se féliciter d’avoir la «bonne» pensée dans la séquence appropriée. La prémisse de toute cette procédure est la simple identité de la matière et de la pensée. Au lieu que la dialectique de la pensée reflète (à travers un processus complexe et une approximation) la dialectique des choses, la dialectique mentale est considérée comme la même que la dialectique matérielle (ou plus précisément: la matière dialectique et sa réflexion dans la pensée sont conçues comme un processus unique et indifférencié). [81]

Dans une évaluation globale de la signification de «Lénine et la dialectique», j’ai conclu:

L’ouvrage de Slaughter, publié à l’origine en 1962, a été une contribution majeure à la lutte pour le matérialisme dialectique au sein du mouvement trotskiste. Il reste, à ce jour, peut-être le meilleur exposé des caractéristiques générales de la méthode dialectique. Il n’y a aucune tentative d’obscurcir le rôle de la dialectique par le recours à un langage prétentieux et mystique. Les points centraux sont clairs: l’homme pense à l’aide de concepts, mais ces concepts ne sont pas fixes, ils reflètent une réalité en constante évolution. Le développement de nos concepts révolutionnaires est le reflet des changements dans le monde matériel, dont le Parti pénètre l’essence au cours de sa lutte pour préparer et diriger la révolution socialiste. À chaque étape de son activité révolutionnaire au sein d’un monde capitaliste qui change constamment, le parti marxiste cherche à découvrir les lois internes de la crise mondiale. Le mouvement dialectique doit être extrait du monde lui-même et il s’exprime dans des concepts qui ne sont atteints qu’à la suite d’un travail scientifique prolongé.

Ce livre mérite encore d’être étudié attentivement par les camarades. [82]

Même après le passage de 39 ans, je maintiens cette recommandation.

La SLL dénonce le SWP pour sa trahison du trotskisme

L’étude de Slaughter sur les Cahiers philosophiques de Lénine renforce la lutte de la SLL contre le révisionnisme. Le 21 juillet 1962, son comité national publie une déclaration, «Le trotskisme trahi: le SWP accepte la méthode politique du révisionnisme pabliste», dont l’auteur principal est Slaughter. Cette déclaration ne laisse aucun doute que la SLL n’acceptera pas la réunification sans une clarification des causes de la scission de 1953 et de ses conséquences. Elle rejette l’affirmation selon laquelle les prétendus succès du régime de Castro, qui est arrivé au pouvoir sans un mouvement indépendant de la classe ouvrière, sont une raison pour une réunification avec les pablistes. Le point de départ de l’élaboration de la stratégie de la Quatrième internationale ne peut pas être Cuba. L’accent mis par le SWP sur Cuba, insiste le document, est erroné. «Nous devons partir, écrit Slaughter, de la nécessité d’établir des partis léninistes dans chaque pays, et en premier lieu de vaincre le révisionnisme». [83]

La doctrine pabliste de la capitulation politique est incompatible avec la construction de sections de la Quatrième Internationale:

La capitulation devant les centristes ou les «courants de gauche» à ce stade équivaut à une trahison d’une plus grande ampleur que celle de 1953. Les excuses pour les directions non marxistes, les affirmations selon lesquelles les directions petites-bourgeoises peuvent devenir marxistes «naturellement» par la puissance des «forces objectives»: tout cela menace de désarmer la classe ouvrière en désorientant la direction marxiste. Si la capitulation devant les centristes se concrétise, empêchant la classe ouvrière de rompre avec la bureaucratie sociale-démocrate, stalinienne et syndicale, alors les révisionnistes porteront la responsabilité d’énormes défaites de la classe ouvrière. [84]

Les trotskistes britanniques lancent un avertissement: «La Socialist Labour League n’est pas prête à s’accommoder de ce révisionnisme, et le combattra jusqu’au bout.» [85] Cet avertissement est renforcé par un éditorial de Labour Review:

À ce stade, d’autres, qui étaient fiers d’être des trotskistes orthodoxes, cherchent un moyen de s’unifier avec Pablo. Un cri s’élève mécaniquement: «Oublions le passé! Ne discutons pas des raisons politiques de la scission de 1953 avec le pablisme»…

Ce nouveau groupe de révisionnistes voudrait que nous écrivions l’histoire dans ce sens. En 1953, nous avons eu une scission profonde avec le pablisme, maintenant tout cela est oublié, c’était, en fait, un cauchemar; cela n’a jamais eu lieu. Oublier le passé, ne regarder que la «nouvelle réalité». Cet abandon honteux de la théorie trotskiste constitue le nouveau fer-de-lance du révisionnisme contre le mouvement marxiste…

Une chose est certaine de cette discussion; elle montrera qu’il ne peut y avoir d’unité entre les marxistes et les révisionnistes. La Socialist Labour League ne participera en aucun cas à une telle fraude politique. Nous sommes prêts à discuter et à collaborer avec tous ceux qui se disent trotskistes et qui sont disposés à parler et à collaborer avec nous. Mais nous n’accepterons jamais une unité sur une base organisationnelle sans une clarification politique adéquate. [86]

Opportunisme et empirisme et la scission du Comité international

Joseph Hansen, le principal dirigeant politique du SWP et l’architecte de sa volonté de réunification avec le Secrétariat international pabliste, répond en novembre 1962 à l’ouvrage «Lénine et la dialectique» par une attaque agressive contre la Socialist Labour League et Cliff Slaughter. Le document de Hansen, intitulé «Cuba et l’épreuve de vérité: une réponse aux sectaires de l’extrême gauche», répand l’odeur fétide d’une diatribe stalinienne. Et, en fait, c’est ce qu’il est. Des informations découvertes dans les années 1970 par le Comité international au cours de son enquête sur l’assassinat de Trotsky ont établi que Hansen était entré au SWP en tant qu’agent de la police secrète soviétique, la GPU. Hansen, dont le style rhétorique consiste à combiner une forme maligne de sarcasme avec des déformations et des falsifications pures et simples, exploite l’indifférence à la théorie et l’ignorance politique des membres étudiants de la classe moyenne du SWP, de plus en plus aisés. Il traite l’attention portée par la SLL à la théorie comme un sujet de plaisanterie ou comme la manifestation d’un trouble mental. Le refus de la SLL d’accepter qu’un État ouvrier ait été établi à Cuba est le produit d’un préjugé bizarre contre les «faits». Sur un ton moqueur, Hansen écrit:

Les dirigeants de la SLL refusent d’écouter les trotskistes américains et canadiens qui suivent de près les événements à Cuba depuis le tout début [comme si la SLL ne l’avait pas fait!] Ils refusent d’écouter les trotskistes latino-américains qui ont une connaissance de première main du développement et des résultats de la Révolution, tant chez elle que dans le reste du continent. Ils méprisent les conclusions auxquelles sont parvenus les autres trotskistes du monde entier. Pourquoi ce refus obstiné d’admettre des événements palpables? Le plus étrange, c’est que les dirigeants de la SLL ont fini par reconnaître qu’ils refusaient de reconnaître les faits; ils en ont fait une vertu et l’ont même élevé au rang de philosophie. Le raisonnement est très simple: reconnaître les faits est caractéristique de l’empirisme; le marxisme s’oppose à l’empirisme; par conséquent, en tant que marxistes, nous refusons de reconnaître les faits. [87]

Joseph Hansen

Que d’autres «trotskistes» considèrent ou non Cuba comme un «État ouvrier» ne règle en rien, sans un examen attentif de leurs arguments, la question de la nature de classe de l’État cubain. À l’époque de Trotsky, des millions de personnes considéraient Staline comme l’héritier politique de Lénine; pensaient que l’Union soviétique était un paradis ouvrier; et que les accusés des procès de Moscou étaient coupables. Cela n’a pas empêché Trotsky de qualifier Staline de contre-révolutionnaire, de définir l’Union soviétique comme un État ouvrier dégénéré et d’appeler à une révolution politique pour renverser le régime bureaucratique. De plus, présenter le syllogisme absurde construit par Hansen («reconnaître les faits est caractéristique de l’empirisme; le marxisme est opposé à l’empirisme; donc, en tant que marxistes, nous refusons de reconnaître les faits») comme une présentation exacte de l’argument de la SLL est une provocation politique.

Hansen poursuit en tournant en dérision le passage de Lénine sur la dialectique que nous avons déjà longuement cité (qui commence par: «Les Cahiers de Lénine sur Hegel peuvent sembler obscurs et une préoccupation peu pressante, alors que de grandes choses se passent partout dans le monde»). En plaisantant sur «le langage académique original qui s’est avéré si captivant pour les lecteurs de cet article», Hansen ajoute:

L’étude de ce passage brillant en vaut la peine, car il révèle la méthode théorique utilisée par les dirigeants de la SLL pour aborder la révolution cubaine et bien d’autres choses dans le monde d’aujourd’hui. Nous notons la phrase qualificative: «Bien sûr, toute science est basée sur des faits». On doit féliciter l’auteur de l’admettre; c’est un indice favorable d’une conscience au moins certaine de l’existence d’un monde matériel. On peut même lui décerner une médaille pour la sage observation dont les diverses sciences couvrent des domaines différents, que dans ces domaines les faits ont des ordres d’importance variés et que c’est à la science de révéler leur signification et la signification des relations entre eux pour que nous puissions les utiliser…

L’erreur de Slaughter est d’établir un fossé absolu entre l’empirisme et le marxisme, en laissant de côté ce qu’ils ont en commun. En bref, il est coupable d’une pensée rigide et mécanique sur ce point. Cependant, nous plaidons pour que le coupable s’en tire avec une peine légère, compte tenu des circonstances inédites. Combien de fois avons-nous le privilège de voir un métaphysicien britannique démontrer que la lourde machinerie de l’apprentissage académique peut être contrôlée si finement qu’elle prouve qu’une simple bagatelle comme les faits ne comptent pas? Et avec les Cahiers philosophiques de Lénine qui alimentent la machine! C’est mieux que de casser une noix avec un marteau-piqueur.

Cette réponse ne pouvait être écrite que par un individu qui n’entretenait aucun lien intellectuel avec les fondements philosophiques du marxisme. L’affirmation selon laquelle le marxisme et l’empirisme partagent un fondement commun dans leur acceptation mutuelle des «faits» – et que l’empirisme «systématiquement réalisé» [88] est la méthode du marxisme – fait simplement abstraction de la division fondamentale entre idéalisme et matérialisme. Les idéalistes, bien sûr, reconnaissent les «faits». Mais ce qu’ils ne reconnaissent pas, c’est que les «faits» sont des abstractions d’une réalité qui existe indépendamment de la conscience humaine. C’est sur ce point précis que Lénine a concentré son attaque contre le machisme dans «Matérialisme et empiriocriticisme».

Hansen poursuit en affirmant que le refus de définir Cuba comme un État ouvrier équivaut à s’opposer à la défense de ce premier contre l’impérialisme américain. Pour les années à venir, ce mensonge scandaleux est devenu une arme courante dans l’arsenal des dénonciations pablistes de la Socialist Labour League et du Comité international.

La réponse de la SLL à Hansen est donnée dans une déclaration publiée par son comité national le 23 mars 1963. Bien que Mike Banda y ait certainement contribué, son principal auteur est Cliff Slaughter. Il commence par qualifier le «matérialisme cohérent» de Hansen de «une pure absurdité». Slaughter écrit:

L’empirisme, et son petit frère transatlantique, le pragmatisme, refusent d’admettre la possibilité de répondre à la question: «Quelle est la nature du monde objectivement existant?» Ils laissent ainsi la voie libre à l’idéalisme subjectif qui explique le monde par le seul esprit. L’empirisme, ignore l’histoire de la philosophie, qualifie la théorie dialectique de la connaissance de «métaphysique». Seule la vision matérialiste dialectique peut expliquer le monde, car elle inclut une explication matérialiste du développement de nos concepts ainsi que du monde matériel qu’ils reflètent. L’empirisme doit être rejeté, et non être rendu «cohérent». Cette erreur méthodologique de Hansen présente de nombreux aspects [souligné dans l’original]. [89]

La façon grossière dont Hansen traite les questions cruciales de la philosophie et de la méthode marxistes rappelle les préoccupations soulevées par Trotsky pendant la lutte de faction de 1939-40 au sujet du faible niveau théorique du Socialist Workers Party. Slaughter se souvient que Trotsky «a averti le SWP dans ses derniers écrits qu’il devait encourager une lutte déterminée sur le front théorique contre la philosophie “américaine” du pragmatisme, un développement plus récent de l’empirisme. Si cela n’était pas fait, il n’y aurait pas de véritable développement marxiste aux États-Unis. Aujourd’hui, Hansen et Cannon “confirment” par la négative l’avertissement de Trotsky». [90]

Comme exemple de cette confirmation, Slaughter examine la réponse de Cannon à la récente «crise des missiles de Cuba», qui, en octobre 1962, avait amené les États-Unis et l’Union soviétique au bord de la guerre nucléaire. Après avoir découvert, à la suite de vols de surveillance avec des avions-espions U-2 à haute altitude, que l’Union soviétique avait installé des missiles balistiques à Cuba, le gouvernement Kennedy exige leur démantèlement immédiat et leur retrait du pays. Le président John F. Kennedy ordonne un blocus de Cuba et déclare que tous les cargos soviétiques qui s’approchent de l’île seront arrêtés, arraisonnés et inspectés par les forces navales américaines. Tout navire soviétique qui refuse l’inspection et défie le blocus sera abattu.

Pendant près de deux semaines, le monde se trouve au bord d’un conflit militaire, qui implique l’utilisation d’armes thermonucléaires, entre les États-Unis et l’Union soviétique. À la dernière minute, Nikita Khrouchtchev – qui, six ans après son discours secret, est toujours au pouvoir – annonce que les missiles soviétiques seront retirés. Le gouvernement Kennedy promet qu’il n’envahira pas Cuba. La menace imminente de guerre nucléaire est écartée.

Le 31 octobre 1962, quelques jours seulement après l’annonce soviétique du retrait des missiles, James P. Cannon, âgé de 72 ans et vivant une semi-retraite à Los Angeles, envoie une lettre à son successeur au poste de secrétaire national, Farrell Dobbs. Son évaluation de la crise et de son issue consiste en de banals clichés semi-pacifistes qui équivalent à une apologie des actions de l’Union soviétique qui combinait aventurisme téméraire et lâcheté abjecte. Après avoir passé en revue les actions de l’administration Kennedy, Cannon écrit:

Face à ces menaces directes et immédiates pour la paix mondiale et la révolution cubaine, Khrouchtchev a reculé, a accepté de retirer les missiles et de démanteler les bases sous la supervision des Nations unies. Il reçoit en retour une suspension du blocus et l’assurance publique que Cuba ne sera pas envahie.

Comment aurait-on pu agir différemment dans ces circonstances? Il aurait été téméraire de risquer de déclencher une guerre thermonucléaire et de mettre au défi les États unis de venir anéantir les bases cubaines, compte tenu de la détermination évidente de Washington d’aller jusqu’au bout si nécessaire.

À notre avis, Khrouchtchev a raisonnablement renoncé à une telle épreuve de force, sauvant ainsi pour un temps le monde de la guerre et la révolution cubaine de l’attaque de forces écrasantes. Mais le temps est d’une importance décisive!

Le recul était inévitable et les concessions, telles que nous les connaissons, n’ont rien cédé d’essentiel. Ceux qui jugent le contraire devraient nous dire quelle autre voie Khrouchtchev aurait dû suivre sur les fronts militaire et diplomatique à ce point atroce de la décision. Khrouchtchev aurait-il dû braver l’embargo ou refuser catégoriquement de retirer les bases de missiles? …

La triste réalité est que l’Union soviétique et Cuba ne disposaient pas seulement de fusils, mais d’armes encore plus redoutables, pointées au-dessus de leurs têtes et prêtes à être utilisées. C’est pourquoi nous ne pensons pas que la ligne de conduite de Khrouchtchev ait été incorrecte sur le plan des affaires militaires et des relations d’État…

Malgré les allégations joyeuses de la presse américaine que la position forte de Kennedy a donné une leçon sévère et un revers important à «l’agression soviétique», les gens non affectés par la propagande impérialiste ont, je crois, eu un soupir de soulagement et remercient Khrouchtchev pour son bon sens. Bertrand Russell et Nehru se sont exprimés dans ce sens. [91]

Slaughter soumet la lettre de Cannon à une analyse cinglante, écrivant qu’elle pouvait servir «de modèle à la méthode pragmatiste». Après une vie de lutte pour le marxisme révolutionnaire, en particulier contre le stalinisme, il renie toute cette carrière en deux pages avec le genre de politique que le pathétique essai de «théorie» de Hansen est censé justifier: «Comment aurait-on pu agir différemment dans ces circonstances?» demande Cannon. [92]

Après avoir examiné les «circonstances» données par Cannon, citées ci-dessus, Slaughter répond:

Cannon remplace l’analyse de classe des forces sociales et des tendances politiques par des prescriptions pragmatiques. Les prétendues «circonstances données» (l’équivalent des «faits» de Hansen) sont le produit d’une politique de collaboration de classe de Khrouchtchev et de la bureaucratie stalinienne par rapport à l’impérialisme américain. Nous devons évaluer Khrouchtchev et la bureaucratie stalinienne par rapport à l’impérialisme américain. Nous devons évaluer la conduite de Khrouchtchev comme faisant partie du processus qui a produit ces circonstances. C’est seulement de cette manière que les marxistes peuvent élaborer leur programme politique en relation avec les autres tendances de classe [souligné dans l’original]. [93]

Slaughter fournit une explication succincte de la relation entre la méthode pragmatique de Hansen et du SWP et sa dérive de plus en plus marquée vers l’opportunisme:

En effet, la lettre de Cannon sur Cuba illustre le rôle de classe de l’empirisme et du pragmatisme, ces tendances de la philosophie qui acceptent «le fait donné», etc. Inévitablement, cette acceptation devient ce que Trotsky a appelé un jour «la prosternation devant le fait accompli». En fait, cela signifie accepter les formes de conscience propres à ceux qui sont adaptés à la structure existante, comme la bureaucratie en URSS et le mouvement ouvrier. Ils développent leurs idées comme des moyens de rationaliser et de justifier leur propre position entre le capitalisme et la classe ouvrière. La justification de Khrouchtchev par Cannon, comme les récentes contributions de Murry Weiss à la justification de la bureaucratie stalinienne, et l’évitement constant des questions de révolution politique et de construction de partis révolutionnaires dans les États ouvriers par les porte-parole du SWP et les pablistes, sont un abandon de la politique révolutionnaire de principe, découlant de l’abandon du matérialisme dialectique en faveur de l’empirisme. L’analyse dialectique insiste sur le fait de voir les faits dans le contexte de toute une série de processus interdépendants, et non comme des entités finies et indépendantes à propos desquelles des décisions «pratiques» doivent être prises. Dans la sphère de la politique, cela signifie voir chaque situation en termes de développement de la lutte des classes internationale, évaluer les politiques des diverses forces politiques envers cette situation en termes de leur relation avec ces forces de classe et avec tout leur parcours antérieur. C’est pourquoi il est absurde de poser le problème cubain comme Cannon le fait: «Comment aurait-on pu agir différemment dans ces circonstances?» Poussé à sa conclusion logique, ce type d’argument peut être utilisé pour justifier n’importe quoi. Cela n’est même pas surprenant, une fois que l’on a saisi l’ampleur de cet écart théorique par rapport au marxisme, que Cannon prononce une absurdité comme «…les gens non affectés par la propagande impérialiste ont, je crois, eu un soupir de soulagement et remercient Khrouchtchev pour son bon sens. Bertrand Russell et Nehru se sont exprimés dans ce sens.» Qui aurait cru qu’au même moment, Nehru était à la tête d’un gouvernement engagé dans un conflit armé, avec le soutien de l’impérialisme, contre la République [populaire] de Chine? Au cours de ce conflit, des arrestations massives de communistes indiens ont eu lieu. Au même moment, des avions de chasse soviétiques étaient fournis au gouvernement indien par Khrouchtchev! Il ne fait aucun doute que Nehru a fait l’éloge de Khrouchtchev (ainsi que de Kennedy et du premier ministre britannique Harold Macmillan) pour cet élément de «bon sens» pratique. Peut-être Cannon dira-t-il: «Comment aurait-on pu agir différemment dans ces circonstances?» La méthode de Cannon mène à cette fin non par une astuce de développement logique, mais parce que les forces dont il se fait l’apologiste sont liées en réalité à l’impérialisme et à ses besoins actuels. Le trotskisme n’est pas plus une exception aux lois de l’histoire que toute autre phase du développement du marxisme et du mouvement ouvrier. Une fois que le développement théorique s’arrête, le mouvement est soumis aux idéologies dominantes de l’époque, aussi graduel et subtil que soit le processus d’adaptation – et aussi vénérable que soit le «cadre» [souligné dans l’original]. [94]

Voilà une critique écrasante qui montre efficacement la relation entre la méthode pragmatique et la politique opportuniste. Cependant, il y a une phrase dans cette longue citation qui soulève, en rétrospective, une préoccupation à la lumière de la déformation de la dialectique par le Workers Revolutionary Party (WRP) une décennie plus tard. Slaughter parle de «l’abandon de la politique révolutionnaire de principe, découlant de l’abandon du matérialisme dialectique en faveur de l’empirisme» [c’est nous qui soulignons]. Plus loin dans le document, Slaughter parle encore de «soutien aux serviteurs de l’impérialisme, qui découle de l’abandon de la méthode dialectique» [c’est nous qui soulignons]. [95]

Le virage du SWP vers le regroupement en 1957 et, presque simultanément, vers la réunification avec les pablistes ne «découlait» pas simplement d’une fausse méthode. La réponse plus essentielle à l’abandon du trotskisme par le SWP doit être trouvée dans les conditions sociales et politiques objectives et les pressions de classe auxquelles le parti s’adaptait, dont le recours au pragmatisme était une manifestation. Cependant, la révision du marxisme par le WRP surviendra des années plus tard. En 1963, l’accent mis sur une fausse méthode et ses conséquences dans la politique du SWP est tout à fait légitime. L’accent que met la SLL sur la méthode n’est pas utilisé à ce moment-là, comme il le sera dans une période ultérieure, pour éviter un examen minutieux des questions politiques.

De plus, Slaughter lie explicitement la fausse méthodologie et la croissance des tendances opportunistes à des pressions de classe très réelles:

À notre avis, les révisions du trotskisme par Pablo, qui ont conduit à la scission en 1953, et qui se manifestent maintenant par des politiques opportunistes pour les pays avancés, les États ouvriers et les pays coloniaux, étaient une capitulation politique devant les forces qui se dressent entre la classe ouvrière et le renversement de l’impérialisme. La puissance de la bureaucratie soviétique et la lenteur des mouvements ouvriers européens et américains à résoudre la crise de direction dans les années 1930 et 1940 ont eu un impact sur les idées de Pablo et de son groupe qui n’a pas été interprété de manière scientifique et de classe, mais de manière impressionniste. Cet abandon de la méthode dialectique, du critère de classe dans l’analyse de la société et de la politique, a abouti à la conclusion que des forces autres que le prolétariat dirigé par des partis marxistes révolutionnaires mèneraient la prochaine étape historique de la lutte contre le capitalisme. [96]

Le SWP était incapable de répondre de quelque manière que ce soit aux arguments de la SLL. Sa réunification avec le Secrétariat international pabliste, rebaptisé Secrétariat unifié, est consommée en juin 1963.

En juillet 1963, les sections britannique et française du Comité international se réunissent pour évaluer les causes politiques et les implications futures de la scission. Cette évaluation, publiée dans Labour Review au cours de l’été 1963 sous forme de Manifeste, était intitulée «25 ans après», établissant ainsi le lien historique qui reliait la lutte contre le pablisme à la fondation de la Quatrième Internationale en 1938. Le Manifeste commence par un aperçu de la situation mondiale:

Un quart de siècle s’est écoulé. Ce fut une période de changements sans précédent. Les anciens empires se sont effondrés. De nouveaux États sont apparus.

L’impérialisme, affaibli par la guerre, a dû effectuer un repli stratégique, cédant ses anciens territoires à de nouveaux serviteurs comme Nehru, Nkrumah et Ben Bella. Le mouvement de libération nationale s’est étendu en Afrique et en Amérique latine.

Les amateurs, les sceptiques et les impressionnistes qui ont essayé de réviser le Programme de transition insistent sur le fait que l’impérialisme et le stalinisme ont connu des changements fondamentaux depuis 1938.

Certains se sont détournés de la construction de la Quatrième Internationale à la fin de la guerre, déclarant que les dévastations de la guerre, l’effondrement de la production, la famine et les conditions chaotiques en Europe signifiaient que la classe ouvrière avait été déclassée, que la lutte avait été repoussée de plusieurs siècles et la révolution socialiste, reportée.

Puis, le révisionnisme a pris un nouveau visage lorsque, grâce à la trahison du stalinisme et de la social-démocratie, l’impérialisme a pu reconstruire ses fondations en Europe.

Une tendance, dirigée par Pablo, s’est développée au sein de la Quatrième Internationale, remettant en question le mouvement et son Programme de transition. Elle concluait que les conditions révolutionnaires rendraient les directions révolutionnaires, indépendamment de leurs origines et de leurs développements antérieurs.

Elle affirmait que la bureaucratie stalinienne ne pouvait plus trahir de la même manière qu’avant la guerre.

Contre les révisionnistes, le Comité international a été créé en 1953 pour construire une Quatrième Internationale dans les meilleures traditions de la Première et de la Troisième Internationales, s’appuyant sur le Programme de transition.

Nous déclarons sans équivoque que seul un parti mondial de marxistes – la Quatrième Internationale, telle que fondée par Trotsky – peut conduire les opprimés au renversement de l’impérialisme en décomposition. Son programme est basé sur les expériences internationales et historiques des opprimés dans leur lutte pour la libération.

Aucune autre direction ne peut offrir d’issue à l’humanité. [97]

Le Manifeste souligne la centralité de la lutte contre les révisions du programme révolutionnaire:

Depuis ses débuts, le mouvement marxiste a dû mener une lutte à la vie à la mort contre les tendances révisionnistes. À une époque antérieure, le révisionnisme représentait la pression de la petite-bourgeoisie des villes et des campagnes directement sur le mouvement ouvrier.

Aujourd’hui, cependant, cette pression est concentrée dans la bureaucratie ouvrière qui est intégrée à des degrés divers à la machine d’État capitaliste et à la superstructure de l’impérialisme mondial.

Les révisionnistes d'aujourd'hui sont tous ceux qui succombent à la pression du capitalisme en adaptant la théorie et la pratique du mouvement marxiste aux directions bureaucratiques existantes.

Ce qui caractérise toutes les marques de révisionnisme aujourd’hui, c’est leur déni ou leur sous-estimation du rôle de la classe ouvrière internationale comme seule force sociale indépendante et révolutionnaire capable de libérer l’humanité. Pour ces gens, la classe ouvrière a cessé d’être le sujet de l’histoire et est devenue son objet méprisé et passif.

Ainsi, le mouvement marxiste d’aujourd’hui ne peut ignorer un seul instant les idées et les tendances révisionnistes. Non seulement la libération de la classe ouvrière mais son existence même en tant que force indépendante n’est assurée que dans la mesure où une guerre implacable est menée contre le révisionnisme.

C’est pourquoi le Comité international a refusé de participer à la récente conférence d’«unité» convoquée par les révisionnistes pablistes en Italie.

Depuis dix ans, une lutte ininterrompue est menée contre le révisionnisme pabliste. Certaines personnes en Europe et en Amérique qui nous soutenaient auparavant ont changé d’avis sur Pablo et le pablisme au cours de la dernière décennie.

Ce n’est pas notre cas. Le pablisme représente pour nous une forme avancée de dégénérescence centriste dans une section du mouvement trotskiste. [98]

Avec une remarquable clairvoyance, le Manifeste accuse le Parti Lanka Sama Samaja d’être l’incarnation perfide du type d’opportunisme promu par le pablisme:

L’exemple le plus instructif de la dégénérescence opportuniste, assistée, sinon inspirée, par Pablo, est le Parti Lanka Sama Samaja à Ceylan. En 1954, au moment de la scission de la Quatrième Internationale, les dirigeants de ce parti ont pris une position équivoque.

(Pourtant, quelques mois auparavant, une minorité partisane d’une politique pabliste s’était séparée du LSSP. Les dirigeants ont toutefois refusé de tirer toute conclusion politique de cette scission).

En retour, Pablo a activement encouragé l’opportunisme des dirigeants de la LSSP qui, aujourd’hui, ont remplacé leurs prétentions révolutionnaires par la subordination la plus servile aux partis et régimes bourgeois. En 1960, le LSSP, on doit le noter, était prêt à former un gouvernement de coalition avec Mme Bandaranaike et le parti bourgeois Sri Lanka Freedom Party.

Ces dirigeants sont des charlatans petits-bourgeois qui se font passer pour des marxistes. Si quelqu’un en doute, qu’il lise le Programme de transition sur les tâches de l’Internationale et le compare aux politiques du LSSP. [99]

Exactement un an plus tard, le LSSP donne raison aux avertissements du CIQI en entrant dans le gouvernement de coalition bourgeois de Bandaranaike, une trahison aux dimensions historiques qui devait avoir des conséquences dévastatrices pour toutes les sections de la classe ouvrière sri-lankaise.

Enfin, le Manifeste passe en revue les défis et les tâches auxquels est confronté le Comité international:

Le Comité international a toujours défendu l’unité de la Quatrième Internationale et s’est battu contre toute tentative de diviser le mouvement et de détruire ses cadres. La récente conférence en Italie ne doit pas être considérée comme une «unité», mais comme la continuation politique d’une scission commencée en 1953.

L’unité réelle de la Quatrième Internationale ne peut être réalisée que par l’adhésion à une méthode correcte, à des principes fermes et à un programme éprouvé. Une unité qui se construit sur la confusion – qui ne se fonde pas sur la conviction de construire une direction marxiste mondiale en concurrence avec toutes les autres tendances – une telle unité est une chaîne de paille.

«Nous sommes à une époque trotskiste», disent les révisionnistes. Mais il n’y a ni confiance ni optimisme dans ce genre de joyeuse idiotie. Elle exprime l’attitude de ceux qui ont réussi à adapter leur politique aux besoins des nationalistes petits-bourgeois et des réformistes de gauche.

L’Internationale de Pablo n’a pas d’avenir parce qu’elle est basée sur les petits-bourgeois, un groupe social sans avenir historique. Nous sommes optimistes quant à l’Internationale parce que nous nous basons sur la classe ouvrière et la lutte des classes qui se déroule dans le monde entier.

Nous disons que nous sommes à une époque trotskiste, non pas parce qu’un processus irréversible le rend ainsi, mais parce qu’à partir d’une intervention ferme, indépendante et fondée sur des principes dans les luttes de la classe ouvrière, nous construirons un parti mondial.

La lutte pour construire la Quatrième Internationale est inséparable de la lutte contre le révisionnisme. «La Quatrième Internationale balaie les charlatans et les professeurs de morale non sollicités».

Nous lançons un appel à tous ceux qui veulent construire une véritable direction communiste de la classe ouvrière; nous lançons un appel à tous ceux qui luttent pour le Programme de transition; à tous ceux qui acceptent la proposition fondamentale de la Conférence fondatrice, à savoir que la crise de la direction ne peut être résolue que par l’activité consciente de la Quatrième Internationale. [100]

La réunification sans principes du SWP avec le Secrétariat international marquait une escalade dans la guerre civile au sein de la Quatrième Internationale qui avait éclaté dix ans plus tôt. La lutte menée par la direction de la SLL a eu une importance historique mondiale, car elle a empêché la destruction du Parti mondial de la révolution socialiste qui avait été fondé par Trotsky 25 ans plus tôt. De plus, les leçons politiques de cette lutte, consignées dans les documents extraordinaires écrits entre 1961 et 1963, allaient jouer un rôle crucial dans le développement ultérieur des nouvelles sections du Comité international qui ont été établies sur la base des principes défendus par la direction de la SLL. L’immense contribution de Gerry Healy, Michael Banda et Cliff Slaughter est un élément durable de leur héritage qu’aucune évaluation honnête de leur rôle historique ne peut ignorer.

Le rôle de Cliff Slaughter au cours de la décennie qui a suivi la scission du Comité international en 1963 fera l’objet de la deuxième partie de cette biographie politique, qui paraîtra à l’automne prochain.

Notes:

[73] Labour Review, septembre-octobre 1957, vol. 2, n° 5, pp. 136-147.

[74] Labour Review, volume 7, numéro 1, printemps 1962, p. 33.

[75] Ibid. p. 35-36.

[76] «The Economic Content of Narodism and the Criticism of It in Mr. Struve’s Book», Lénine, Œuvres complètes, volume 1, Moscou, Progress Publishers, 1960, pp. 399-400.

[77] «“The Theoretical Front”, Lenin’s Philosophical Notebooks, Second Article», Labour Review, été 1962, vol. 7, n° 2, pp. 77-78.

[78] Lénine, Œuvres complètes, volume 38, Moscou, Foreign Languages Publishing House, 1961, p. 182.

[79] «“The Theoretical Front”, Lenin’s Philosophical Notebooks, Second Article», Labour Review, été 1962, vol. 7, n° 2, p. 78.

[80] Ibid, p. 76-77.

[81 David North, Notes on Lenin on Dialectics, 1er octobre 1982 [manuscrit dactylographié non publié]

[82] Ibid.

[83] «Trotskyism Betrayed: The SWP accepts the political method of Pabloite revisionism,» Trotskyism Versus Revisionism, Volume Three (London: New Park, 1974), p. 238.

[84] Ibid. p. 238-39.

[85] Ibid. p. 239.

[86] «Against Revisionism», Labour Review, volume 7, n° 2, été 1962, p. 41.

[87] «Cuba, the Acid Test», Trotskyism Versus Revisionism, Volume Four (London: New Park, 1974), p. 23.

[88] Ibid. p. 25.

[89] Ibid. p. 76.

[90] Ibid.

[91] «Letter from James P. Cannon to Farrell Dobbs, October 31, 1962», Trotskyism Versus Revisionism, Volume Four, pp. 72-73.

[92] «Opportunisme et empirisme», Trotskyism Versus Revisionism, tome 4, p. 77.

[93] Ibid, pp. 77-78.

[94] Ibid, pp. 78-79.

[95] Ibid. p. 87.

[96] Ibid, p. 97.

[97] «Manifesto of the International Committee of the Fourth International», Labour Review, été 1963, Volume 7, numéro 5, pp. 165–66.

[98] Ibid. p. 168.

[99] Ibid, p. 169.

[100] Ibid, p. 170-71.

(Article paru en anglais le 8 août 2021)

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