Les hôpitaux tunisiens débordés par l'épidémie de COVID-19 en Afrique

Les hôpitaux de Tunisie et d’une grande partie de l’Afrique sont débordés alors que le variant Delta alimente en juillet une recrudescence du COVID-19 qui atteint en Afrique des niveaux sans précédent depuis le début de la pandémie.

La Tunisie, avec 575.002 cas et 18.968 décès enregistrés, a le taux le plus élevé de cas confirmés et de décès de tous les pays d’Afrique continentale. Elle a enregistré 48.116 cas et 1.587 décès de COVID-19 par million d’habitants. Cependant, le variant Delta a fait grimper le nombre de cas et la pression sur les systèmes de santé inadéquats à des niveaux sans précédent dans les pays du Maghreb, dans toute l’Afrique de l’Ouest et en fait sur tout le continent africain.

Un bidonville qui surplombe le centre-ville de Lagos au Nigeria, le mardi 12 mai 2020. (AP Photo/Sunday Alamba)

Alors que près de la moitié des cas confirmés et des décès en Tunisie ne sont survenus que depuis mai 2021, les cas ont bondi à 5.494 au Maroc le 24 juillet, se rapprochant des pires jours de novembre 2020; à 1.505 le 26 juillet en Algérie, le plus haut niveau jamais atteint; et à 1.722 le 18 juillet au Sénégal, également un nouveau record.

Hier, le directeur national des institutions de santé publique du Sénégal, Ousmane Dia, a déclaré à l’AFP: «Nous sommes débordés et proches de la saturation, avec 99 pour cent des lits d’hôpitaux occupés à Dakar», la capitale. «C’est difficile de tenir le rythme si nous recevons 600 à 700 nouveaux patients chaque jour», a-t-il ajouté, notant que le personnel de santé est «extrêmement fatigué et épuisé». Selon Dia, la situation n’est que légèrement meilleure en dehors de la capitale, où 45 pour cent des lits d’hôpitaux sont déjà occupés. Seuls 640.000 des 17 millions d’habitants du Sénégal se trouvent vaccinés contre le COVID-19.

Les hôpitaux tunisiens connaissent des conditions similaires à celles de Dakar depuis plusieurs semaines. Le 8 juillet, le porte-parole du ministère de la Santé, Nissaf Ben Alaya, a déclaré sans ambages: «La situation sanitaire actuelle est désastreuse… Le taux de nouveaux cas a énormément augmenté. Le système de santé, malheureusement, s’est effondré». Alaya a souligné la pénurie aiguë de lits et surtout d’oxygène médical pour traiter les personnes gravement malades, ajoutant: «Si nous n’unissons pas nos efforts, la catastrophe sanitaire ne fera que s’aggraver».

Depuis ces déclarations, la Tunisie a pris des mesures d’urgence et a reçu une aide internationale qui a ralenti le rythme des infections enregistrées. Même si – conformément à la politique des pays impérialistes d’Amérique du Nord et d’Europe – elle s’oppose toujours à un confinement strict pour permettre aux travailleurs non essentiels de s’abriter chez eux.

Le lendemain du discours d’Alaya, Tunis a annoncé un couvre-feu nocturne dans six des régions les plus touchées de Tunisie. Elle a également reçu des centaines de milliers de doses de vaccins COVID-19 en provenance de Chine, de France, d’Italie et du Portugal, des cargaisons de matériel médical en provenance d’Allemagne et des cargaisons d’oxygène médical en provenance d’Algérie. Au cours de la semaine dernière, le nombre d’infections a diminué de 47 pour cent par rapport à la semaine précédente, pour atteindre 24.641.

Néanmoins, la situation en Tunisie reste extrêmement grave et les décès continuent d’augmenter parmi le grand nombre de personnes qui sont maintenant sous assistance respiratoire d’urgence. Plus de 90 pour cent des lits d’hôpitaux restent occupés dans de vastes régions du pays, non seulement dans la capitale, Tunis, mais surtout dans les zones plus pauvres où les systèmes de santé sont plus faibles.

Kairouan, une ville de 600.000 habitants située dans le centre de la Tunisie, a connu des dizaines de décès, y compris d’enfants. Les taux de positivité des tests de dépistage dans la ville ont explosé, atteignant entre 45 et 50 pour cent, à mesure que la contagion devenait incontrôlable. À l’hôpital Ibn Jazzar de Kairouan, l’afflux de nouveaux patients était si rapide que les patients positifs au COVID étaient mélangés aux autres patients.

Imen Fteiti, une infirmière de l’hôpital Ibn Jazzar, a déclaré à l’AFP qu’il y avait tellement de patients que «certains sont morts sans que nous nous en rendions compte». Le service ne comptait que 3 infirmières pour 35 patients du COVID. Elle a ajouté: «Il y a un manque d’équipement d’oxygène et nous avons atteint un point où nous ne savons pas qui aider en premier… Nous commençons tôt le matin et nous ne savons jamais quand nous allons finir.»

Elle a souligné l’horrible stress psychologique de voir tant de ses patients mourir. L’AFP rapporte qu’elle est «encore hantée par une jeune femme qui l’a suppliée de donner des soins d’urgence à son père, parce qu’elle venait de perdre sa mère à cause du COVID-19. Malheureusement, il est mort lui aussi», a déclaré Fteiti.

Le personnel de l’hôpital Mongi-Slim, dans la banlieue de Tunis, a parlé au Monde pour partager des histoires similaires de tragédie et de stress professionnel insupportable pendant la pandémie. «Ce qui est terrifiant, c’est que nous ne voyons pas le bout du tunnel. De nouveaux patients arrivent chaque jour, et à chaque fois, nous devons faire des choix difficiles pour déterminer qui aura accès au maintien en vie d’urgence», a déclaré un anesthésiste qui a souhaité rester anonyme. «L’âge moyen du maintien en vie se situe entre 40 et 50 ans, principalement en raison du variant Delta. Dès qu’un lit se libère, un nouveau patient arrive.»

Elle a déclaré être particulièrement affligée par les dix jeunes femmes enceintes qui ont été admises dans son hôpital avec le COVID-19. «Nous n’avons pu sauver qu’une seule d’entre elles», a-t-elle déclaré.

Elle a ajouté qu’elle était en colère contre les attaques du gouvernement tunisien sur les salaires et les conditions de travail des agents de santé: «Récemment, on nous a dit que nous devrions renoncer à nos vacances, alors qu’en France, le personnel de santé a reçu une prime pour son travail pendant la crise. Il est impossible de comprendre cela».

Ces rapports soulignent l’échec politiquement criminel des puissances capitalistes les plus riches à coordonner en temps utile l’envoi d’équipements médicaux et de vaccins essentiels au continent le plus pauvre du monde. Selon certains rapports, plus de 4 millions de personnes sont mortes pendant la pandémie en Inde, sans que les chiffres officiels de la santé n’en fassent état. Il est clair qu’une action urgente est nécessaire pour éviter des pertes vraiment horribles parmi le 1,2 milliard d’habitants de l’Afrique.

En pleine nouvelle vague de la pandémie alimentée par le variant Delta, à peine 1 pour cent de la population africaine se trouve vaccinée. Alors que l’Afrique a enregistré 6,6 millions de cas et 166.000 décès, le directeur régional de la Croix-Rouge pour l’Afrique, Mohammed Mukhier, a averti qu’il s’agissait d’une forte sous-estimation des cas et des décès, ce qui a rendu plus difficile l’organisation de la coopération internationale pour traiter le virus en Afrique.

Il a déclaré: «Depuis le début de la pandémie, on ne s’est pas suffisamment intéressé à l’évolution de ce virus sur le continent africain. Les faibles niveaux de données de transmission ont donné l’impression que cette région ne se trouvait pas autant touchée par la pandémie. La tendance à la hausse du nombre d’infections que nous observons actuellement est en partie due à un financement insuffisant pour combler plusieurs lacunes dans la réponse. Notamment, il s’agit de la faiblesse des mécanismes de surveillance, des capacités de dépistage, de l’insuffisance des équipements de protection et des équipements médicaux, y compris les lits d’hôpitaux, l’oxygène et les services d’ambulance».

Le responsable de la Croix-Rouge, Rui Alberto Oliveira, a souligné les obstacles au traitement efficace du COVID-19 que constituent les guerres civiles en cours et les infections massives par le SIDA en Afrique subsaharienne. Le SIDA affaiblit gravement le système immunitaire de millions de personnes. Cela crée une vaste population vulnérable non seulement aux cas très graves de COVID-19, mais aussi à la création de nouveaux variants du coronavirus, potentiellement plus dangereux.

Oliveira a déclaré: «Il est extrêmement difficile de répondre au COVID-19 dans des pays qui font face à des crises multiples, tels que la RD Congo, le Sahel, le lac Tchad, le Mozambique, l’Éthiopie, le Soudan ou la Somalie. Ce qui signifie que la maladie peut continuer à circuler sans contrôle. Nous ne pouvons pas attendre que la situation se détériore davantage pour agir. Nous devons veiller à ce que des ressources suffisantes soient mises à disposition, maintenant, pour stopper la progression de la troisième vague imminente et potentiellement catastrophique de COVID-19 en Afrique».

(Article paru en anglais le 28 juillet 2021)

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