Lorsque la classe dirigeante en Allemagne prépare une offensive pour la guerre et le réarmement, elle peut compter sur le Parti des verts. Ce fut le cas en 1998, lorsque le ministre vert des Affaires étrangères de l'époque, Joschka Fischer, organisa la première intervention militaire internationale d'après-guerre de l'Allemagne, envoyant l'armée allemande (Bundeswehr) en guerre contre la Serbie, et c'est encore le cas aujourd'hui.
Au moment où le gouvernement allemand augmente considérablement ses dépenses militaires, l'OTAN organise l'une de ses plus grandes manœuvres depuis la fin de la guerre froide, directement à la frontière russe («Defender Europe 2021»). Et alors qu’on équipe la police allemande pour réprimer la résistance à la politique gouvernementale face à la pandémie et aux attaques contre les droits sociaux, les Verts font, dans la campagne pour les élections fédérales de cette année, la promotion du militarisme et des préparatifs de guerre.
Depuis qu’Annalena Baerbock a été nommée candidate des Verts à la chancellerie, le bellicisme de ces derniers a pris des formes carrément hystériques. Il y a peu de spectacles aussi répugnants qu'un talk-show ou une interview avec Baerbock, où cette femme de 40 ans parle de son enfance dans une ferme, de sa participation précoce avec ses parents à des manifestations formant une chaîne humaine contre la course aux armements, pour annoncer ensuite, sourire aux lèvres, qu'il est urgent de mettre un terme à l'agression russe, de fournir à l'Ukraine plus de soutien militaire et de soutenir l’entrée de celle-ci dans l'OTAN et l'UE.
On se demande: est-ce qu’elle perdu la raison? A-t-elle réfléchi un instant à ce que cela signifie?
Accepter l'Ukraine dans l'OTAN équivaudrait à une déclaration de guerre contre la Russie et déclencherait immédiatement la sonnette d'alarme à Moscou. Cela entraînerait la perspective d'un conflit armé avec la deuxième plus grande puissance nucléaire du monde, un conflit qui pourrait causer des millions de morts en Europe et menacer toute l'humanité.
C'est cette combinaison de complaisance froide, d'ignorance et d'agressivité qui rend les Verts si précieux pour la classe dirigeante dans la promotion de leurs objectifs et intérêts impérialistes. C'est pourquoi on fait actuellement leur éloge dans les médias allemands et internationaux. Baerbock et son co-président Robert Habeck donnent en ce moment interview sur interview.
Dimanche fut un grand jour pour Baerbock, on publia d’elle une longue interview dans la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung (FAS) et elle participa le même soir à l'émission télévisée «Anne Will».
La FAS résume son entretien avec Baerbock en écrivant: «La candidate des Verts au poste de chancelière préconise la coopération avec l'Amérique, l’endiguement de la Chine et une attitude plus dure avec la Russie.»
Lorsqu'on lui a demandé comment, chancelière, elle réagirait au «chantage de la Russie contre l'Ukraine» et si elle soutiendrait la demande de Kiev pour la livraison de canons antiaériens même si Moscou retire actuellement ses troupes, Baerbock a répondu: «La menace de la Russie à l’égard de l'Ukraine demeure considérable. »
La chose la plus importante, a-t-elle dit, était d'assurer la mise en œuvre de l'Accord de Minsk. L'accès sans restriction d'une mission d'observation de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) « à toutes les parties du territoire occupé par la Russie » devait être imposé avec la résolution nécessaire. Cela nécessiterait de toute urgence «plus de ressources pour la reconnaissance aérienne», a-t-elle ajouté.
Lorsqu'on lui a demandé si elle soutiendrait également une intervention militaire de la Bundeswehr dans n'importe quelle région du monde, même si un membre du Conseil de sécurité de l'ONU opposait son veto à une telle intervention, Baerbock a répondu que le choix entre l'action militaire et l'inaction était parfois un choix entre la peste et le choléra. » Elle a ajouté: «Il y a des moments où une action militaire peut empêcher le pire de se produire.»
Lors d'entretiens antérieurs, la candidate des Verts au poste de chancelière avait déjà préconisé plus de personnel et plus de ressources matérielles pour la Bundeswehr. Dans un entretien avec la Süddeutsche Zeitung, sous le titre « Baerbock veut renforcer la Bundeswehr», elle a plaidé pour une augmentation des dépenses militaires, la création d'une armée européenne bien équipée et une politique militaire germano-européenne pour mieux préparer la guerre.
A présent elle souligne à nouveau dans la FAS: «L'Allemagne et l'Europe doivent assumer davantage la responsabilité de leur propre sécurité. Mais stratégiquement à la hauteur del’époque. » Voilà pourquoi elle considère « un centre européen de cyber-défense une contribution importante à la répartition des responsabilités entre nous, les Européens. »
La demande de deux pour cent du PIB consacrés à l'armée, a-t-elle dit, n'arrangeait pas les choses et n'avait pas créé plus de sécurité. Son objection était fondée sur le fait que le PIB est actuellement en baisse en raison du ralentissement économique lié à la pandémie. «Selon cette logique, notre planification des dépenses devrait être réduite.» C'est absurde a-t-elle expliqué.
Interrogé par la FAS pour savoir si l'appel du manifeste des Verts à des «unités de l'UE», avec structure de commandement conjointe, était le modèle d'une armée européenne, Baerbock a répondu par l'affirmative: «Ce sont des étapes qui vont dans le bon sens. De mon point de vue, nous devons centraliser nos capacités en tant qu'Européens. Les dépenses militaires de l'Europe sont trois à quatre fois plus élevées que celles de la Russie, mais nos capacités sont limitées car nous faisons double emploi de beaucoup de choses. Ce n'est pas efficace. » L'Union européenne de la sécurité et de la défense devait être développée et élargie de toute urgence, a-t-elle déclaré.
Baerbock a également répondu par l’affirmative à la question de savoir si l'Ukraine et la Géorgie, qui font pression depuis des années, devaient être admises dans l'OTAN. La pression exercée sur la Russie pour qu'elle respecte l'Accord de Minsk, et la stabilisation, avait une priorité immédiate, mais « les États souverains décident eux-mêmes de leurs alliances. Cela inclut également la perspective d’une Ukraine membre de l'UE et de l'OTAN. »
Baerbock s'est plainte que les sanctions actuelles contre la Russie étaient «contrées en permanence» en raison de l'adhésion du gouvernement allemand au gazoduc Nord Stream 2. «J'aurais retiré un soutien politique à Nord Stream 2 il y a longtemps.»
Dans une interview du Spiegel, l'ancien ministre vert des Affaires étrangères Fischer a également préconisé l'arrêt définitif de la construction du gazoduc et une augmentation des sanctions contre la Russie. Les «rodomontades» de Moscou ne pouvaient plus être acceptées, a-t-il déclaré.
L'affirmation des Verts et des médias que la Russie est une puissance agressive et expansionniste est une déformation grotesque des faits. Le 22 juin marque le 80e anniversaire de l'invasion de l'Union soviétique par la Wehrmacht et de la mort de 25 millions de civils et de soldats dans une «guerre d'extermination» planifiée. Ces atrocités sont restées vives dans la conscience des Russes. Depuis la dissolution de l'Union soviétique il y a 30 ans, l'OTAN se rapproche de plus en plus de la frontière russe. Presque tous les États d'Europe de l'Est qui étaient autrefois alliés à l'Union soviétique, ainsi que les anciennes républiques soviétiques baltes, ont rejoint l'alliance militaire occidentale.
La crise en Ukraine fut elle aussi délibérément provoquée par les puissances occidentales. Au début de 2014, Washington et Berlin ont organisé un coup d'État contre le président pro-russe Viktor Ianoukovitch à Kiev, en étroite coopération avec des forces fascistes, et l'ont remplacé par l'oligarque pro-occidental Petro Porochenko. La Fondation Heinrich Böll des Verts joua un rôle de premier plan dans ce coup d'État. Depuis lors, le pays est de plus en plus plongé dans la guerre civile et la corruption. Les conditions de vie de la population se sont considérablement détériorées.
Le soutien au coup d'État en Ukraine faisait partie d'une campagne délibérée en faveur d'une politique étrangère et de grande puissance plus agressive. L'Allemagne était «trop grande et trop forte économiquement pour que nous puissions simplement commenter la politique mondiale en restant sur la touche», avait déclaré le ministre des Affaires étrangères de l'époque et actuel président fédéral Frank-Walter Steinmeier (SPD, Parti social-démocrate) lors de la conférence de Munich sur la sécurité.
Un an auparavant, les Verts avaient participé à la rédaction du document de la fondation SWP «Nouveau pouvoir, nouvelle responsabilité», qui a servi de modèle pour le retour du militarisme allemand. Désormais, ils considèrent que leur tâche première consiste à imposer cette politique de guerre et de militarisme face à une énorme opposition populaire.
Les entretiens avec Baerbock et Fischer montrent avant tout une chose: un nouveau gouvernement fédéral avec la participation des Verts – que ce soit en alliance avec la CDU / CSU (chrétiens-démocrates), le SPD, le Parti libéral démocrate ou le Parti de gauche – ne fera qu'intensifier la politique de militarisme, de réarmement intérieur et de coupes des prestations sociales.
(Article paru en anglais le 3 mai 2021)