Le 21 avril, 60e anniversaire de la tentative de putsch par l’armée à Alger en 1961, 23 généraux à la retraite ont adressé une lettre au gouvernement sur le site néofasciste Valeurs actuelles. Elle marque une intervention extraordinaire de l’armée dans la vie politique. Cent cinquante ans après la Commune de Paris en 1871 et le massacre des Communards par l’armée lors de la Semaine sanglante, la lettre évoque une intervention de l’armée pour mener une sanglante guerre civile en France qu’aurait provoquée le «laxisme» des Français.
Le lien entre l’escalade de ces menaces fascisantes et la montée de la lutte des classes saute aux yeux. En 2019, face aux « gilets jaunes » et à la grève du rail contre la réforme des retraites, le général retraité Pierre de Villiers avait exigé plus de « fermeté » dans la répression policière. Alors que la colère ouvrière monte contre la politique d’ « immunité collective» menée par l’Union européenne, qui a fait plus d’un million de morts, une autre clique d’officiers tente d’intimider les travailleurs en brandissant le spectre d’un meurtre de masse.
S’adressant à Macron et aux parlementaires, ils exigent plus de patriotisme et affirment que «la France est en péril, plusieurs dangers mortels la menacent. … Sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation ».
Dans la lettre, qui transpire la haine des banlieues ouvrières, les généraux dénoncent l’islamisme et les théories postcoloniales comme des facteurs de division nécessitant une sanglante répression.
Se faisant l’écho de la loi fascisante proposée par Macron visant un prétendu « séparatisme » islamique, ils dénoncent « délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution ». Ils ajoutent: « Aujourd’hui, certains parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales, mais à travers ces termes c’est la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques ».
Toutefois, l’intensité et l’ampleur du massacre évoqué par les officiers réfute l’idée selon laquelle leur cible serait une équipe de chercheurs universitaires postmodernistes, ou même un réseau réunissant des poignées d’islamistes afin de mener des attentats. Leur cible est un soulèvement plus large. En effet, ils écrivent en guise de conclusion :
« Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national. On le voit, il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers ».
La colère qui monte parmi les travailleurs de tous les pays, face à la gestion politiquement criminelle de la pandémie par les élites dirigeantes, terrifie les hauts gradés. Lors des grèves d’enseignants en novembre contre la rentrée à l’école en pleine explosion de la contagion, de Villiers s’était confié à Valeurs actuelles sur les « évolutions profondes » et la crise de régime qu’il craignait de voir à l’échelle internationale suite à la pandémie.
« Aujourd'hui, à la crise sécuritaire s'ajoute la pandémie, le tout sur fond de crise économique, sociale et politique avec une confiance qui n'existe plus dans les dirigeants », a-t-il déclaré. « Quand on additionne ces menaces, il y a tout lieu d’être inquiet à court terme. Je crains que ces colères rentrées explosent en même temps », a-t-il poursuivi, avant d’ajouter: « Il faut penser l’impensable … L’État de droit est évidemment respectable, mais à un moment, il faut aussi élaborer une réflexion stratégique ».
Si de Villiers n’a pas signé la lettre du 22 avril, cette lettre souligne néanmoins que des cliques factieuses de hauts gradés élaborent une « réflexion » sur une alternative à un régime parlementaire, c’est-à-dire, sur une dictature. Ceci ressort de l’identité des signataires. Le général de la Légion étrangère Christian Piquemal, premier signataire de la lettre et soutien du groupe d’extrême-droite dissous Génération identitaire, a été arrêté et radié de l’armée après avoir porté son uniforme lors d’une manifestation anti-migrants à Calais en 2016.
Un autre, le général Dominique Delawarde, fait campagne contre les mesures de distanciation sociale face au coronavirus, prétextant qu’il « n’est pas aussi létal que l’on veut bien le faire croire ». Deux autres signataires, les généraux Emmanuel de Richoufftz et Philippe Desrousseaux de Médrano, sont membres de « familles subsistantes de la noblesse française », c’est-à-dire des familles d’aristocrates dont la révolution de 1789 a exproprié les biens féodaux en France.
On ne peut comprendre la signification de cette lettre en dehors du contexte international de l’effondrement de la démocratie. Minée par trois décennies d’explosion des inégalités sociales sous l’impact des mesures d’austérité et des guerres impérialistes menées en Europe suite à la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991, elle plie à présent sous le choc de la pandémie. Terrifiée de la colère des masses et défendant les vastes fortunes qu’elle a accumulées pendant la pandémie, la classe dirigeante vire dans son ensemble vers une politique fascisante.
Cette tendance s’accélère internationalement. Aux USA, Trump a tenté le 6 janvier un coup d’État à Washington, pour occuper le Capitole et renverser le résultat des élections présidentielles. Des hauts gradés retraités espagnols ont déclaré leurs sympathies fascistes face aux grèves pour stopper la production non-essentielle pendant la pandémie et ont appelé à tuer «26 millions » d’Espagnols.
En France, il est de plus en plus clair que la bourgeoisie utilisera l’élection de 2022, quel que soit son résultat, pour tenter d’installer un régime encore plus violemment autoritaire. Le 23, Marine Le Pen a réagi dans une tribune de Valeurs actuelles pour saluer les généraux néofascistes et les appeler à soutenir sa candidature en 2022.
Le Pen a relevé le « degré d’inquiétude qui est le vôtre face à la dégradation préoccupante de la situation de notre pays ». Elle a ajouté que leur inquiétude « exige en démocratie, la recherche d’une solution politique qui doit se concrétiser par un projet d’alternance qui a vocation à être validé par le suffrage des Français. C’est l’objet de ma démarche et de ma candidature à la Présidence de la République avec l’objectif d’un gouvernement d’Union nationale ».
Sa décision de saluer des généraux qui planifient des massacres de milliers de Français, tout en tentant maladroitement de leur faire une leçon de « démocratie », confirme qu’un régime « d’Union nationale » dirigé par Le Pen serait violemment réactionnaire et sanguinaire. Le gouvernement en place, qui vote des lois fascisantes et dont la politique sanitaire a fait plus de 100.000 victimes pendant la pandémie, ne représente pas toutefois une alternative démocratique à Le Pen.
La ministre des Armées du gouvernement Macron, Florence Parly, a réagi hier soir sur Twitter en tentant d’abord de minimiser l’affaire: « La tribune irresponsable publiée dans Valeurs Actuelles est uniquement signée par des militaires à la retraite, qui n'ont plus aucune fonction dans nos armées et ne représentent qu’eux-mêmes ».
Parly s’est aussi posée en militariste plus responsable que Le Pen: « Les mots de Madame Le Pen reflètent une méconnaissance grave de l'institution militaire, inquiétant pour quelqu'un qui veut devenir cheffe des armées. … La politisation des armées suggérée par Madame Le Pen affaiblirait notre outil militaire et donc la France ».
Tout en menant des politiques d’« immunité collective» et antimusulmanes, le gouvernement couve des tendances fascisantes dans l’armée. Ceci donne raison aux avertissements du Parti de l’égalité socialiste aux élections de 2017: Macron n’est pas une alternative à Le Pen. Le PES a appelé à un boycott actif du 2e tour et à la construction d’un mouvement indépendant dans la classe ouvrière contre le candidat victorieux. La pandémie a mis en évidence la nécessité d’un tel mouvement à l’échelle mondiale, pour lutter contre la dictature et les politiques d’« immunité collective».