Alors que le président américain Donald Trump tente d’annuler les élections de 2020 par un coup d’État extra-constitutionnel, ni Biden, les démocrates ou les médias d’entreprise américains n’ont jugé bon d’alerter l’opinion publique américaine et mondiale sur les développements inquiétants au sein de l’armée américaine et de son centre de commandement du Pentagone.
Ces derniers jours ont mis en lumière le schéma de ce coup d’État. Il ne s’agit pas seulement là des intentions de Trump, mais bien plutôt d’actions visant à exécuter ce coup d’État, qui se produisent en temps réel.
Vendredi, Trump a invité des législateurs républicains de l’État du Michigan à la Maison-Blanche, mettant en évidence une stratégie bien précise pour l’établissement d’une dictature présidentielle. Trump et ses partisans mènent une campagne de propagande agressive pour délégitimer l’élection par des allégations mensongères de fraude électorale et des théories du complot de plus en plus fascistes afin de donner un prétexte aux parlement d’État contrôlés par les républicains, comme le Michigan, pour répudier le vote populaire et sélectionner des électeurs pro-Trump.
Ils escomptent que cette opération extrajudiciaire finira devant la Cour suprême des États-Unis dont Trump a nommé un tiers des juges et où a déjà été crée un précédent par le jugement de 2000 dans l’affaire Bush contre Gore. Celui-ci avait mis fin au décompte du vote populaire en Floride et avait attribué la présidence au républicain George W. Bush, sans aucune opposition du Parti démocrate.
Une tentative aussi effrontée de renverser une élection provoquera inévitablement une résistance explosive, en particulier dans les zones urbaines fortement ouvrières où des millions de gens ont voté pour chasser Trump. Une telle attaque contre les droits démocratiques fondamentaux et les derniers vestiges de formes constitutionnelles de gouvernement ne peut se faire sans un recours à une répression massive.
C’est dans ce contexte qu’une cérémonie tenue mercredi à Fort Bragg, en Caroline du Nord, au siège du Commandement des opérations spéciales de l’armée américaine — comprenant les Bérets verts, les SEALs de l’US Navy et d’autres unité d’extermination d’élite — constitue un avertissement extrêmement sérieux. Le nouveau secrétaire à la Défense «par intérim», Christopher Miller, y a annoncé l’élévation du commandement des opérations spéciales à un statut équivalent à celui des autres branches de l’armée, armée de terre, marine, armée de l’air, etc.
Comme l’a expliqué le site militaire bien connecté breakingdefense.com: «Le point essentiel de cette transformation sera de faire en sorte que le plus haut responsable des opérations spéciales au Pentagone puisse s’adresser directement au secrétaire à la Défense sur… les questions opérationnelles, y compris les raids secrets contre des cibles de grande valeur. Le bureau n’aura plus à passer par l’appareil plus large de la DoD Policy pour atteindre le secrétaire».
Miller, qui a refusé de répondre aux questions des médias depuis son installation à la tête du Pentagone, a déclaré à un auditoire de troupes: «Je suis ici aujourd’hui pour annoncer que j’ai ordonné à la direction civile des opérations spéciales de me rendre compte directement, au lieu de passer par les voies bureaucratiques actuelles».
Miller n’a pas été confirmé par le Sénat américain, et ne le sera pas, à un poste qu’il occupe depuis un peu plus d’une semaine. Colonel à la retraite et officier des forces spéciales depuis 30 ans, il n’a aucune qualification pour occuper ce poste en dehors de sa loyauté indéfectible envers Trump.
Dans des circonstances normales, Miller céderait son poste à une personne nommée par Biden en à peine deux mois et, pendant l’interrègne, il collaborerait étroitement avec son remplaçant. Au lieu de cela, il annonce le changement le plus profond de la chaîne de commandement militaire de mémoire récente.
L’installation de Miller en tant que secrétaire à la Défense est le résultat d’une purge générale de la haute direction civile du Pentagone, initiée par Trump avec le congédiement via tweet du secrétaire à la Défense Mark Esper. La détermination de Trump à évincer Esper remonte à juin dernier où le président américain avait déployé des forces de sécurité fédérales et des troupes pour réprimer les manifestations anti-violence policière près de la Maison-Blanche. Il avait menacé d’invoquer la Loi sur l’Insurrection qui lui aurait permis d’envoyer des troupes dans les villes du pays pour réprimer les protestations de masse contre le meurtre de George Floyd par la police.
Esper, un ancien lobbyiste de l’industrie de l’armement, avait exprimé son opposition, déclarant qu’un tel déploiement de l’armée pour réprimer la population ne pouvait être ordonné qu’en «dernier recours». Sa position, partagée par le chef d’état-major des armées, le général Mark Milley, exprimait la crainte qu’un tel usage des troupes ne provoque une résistance incontrôlable et ne déchire l’armée. Depuis son éviction, Esper, Milley et le numéro trois du Pentagone ont tous fait des déclarations rappelant avec insistance au personnel militaire américain qu’il avait prêté serment à la Constitution.
De telles invocations n’auront aucun effet sur la cabale des loyalistes et semi-fascistes que Trump a placés en charge au Pentagone depuis l’élection. Lors d’une audience de confirmation pour un autre poste de sécurité nationale, Miller a clairement indiqué qu’il n’avait aucun scrupule à utiliser les ressources des services de renseignement fédéraux pour poursuivre les manifestants sur ordre de la Maison-Blanche.
Le nouveau chef civil des opérations spéciales, qui jouira désormais d’une collaboration directe et secrète avec le secrétaire à la Défense, sans être encombré par les «voies bureaucratiques», est un certain Ezra Cohen-Watnick, 34 ans, un politicien d’extrême droite. On l’a mis au Conseil national de sécurité en raison de ses liens politiques avec des gens comme l’ancien conseiller fasciste de Trump Steve Bannon, l’ancien conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, fanatiquement anti-iranien et inculpé, et le gendre du président, Jared Kushner.
Le troisième poste du Pentagone, celui de sous-secrétaire à la politique, est occupé par Anthony Tata, général à la retraite et commentateur fréquent de Fox News, dont la précédente nomination à ce poste avait dû être retirée après sa dénonciation d’Obama comme «dirigeant terroriste», «candidat mandchou» et «musulman».
Miller s’est donné une figure similaire comme principal conseiller, le colonel en retraite Douglas Macgregor, un autre commentateur de Fox News. Ce dernier est connu pour avoir attaqué les pays européens qui avaient admis des «envahisseurs musulmans indésirables» déterminés à «transformer l’Europe en État islamique». Il a condamné les tentatives de l’Allemagne pour se confronter à l’Holocauste comme le produit d’une «mentalité malade» et a demandé la loi martiale et l’exécution sommaire des migrants à la frontière mexicaine.
Trump s’est particulièrement adressé aux forces d’opérations spéciales qui ont désormais un statut élevé dans la chaîne de commandement. L’année dernière, il est intervenu de manière agressive dans le procès militaire du Navy Seal Eddie Gallagher pour crimes de guerre en Irak. «Nous entraînons nos garçons à être des machines à tuer, puis nous les poursuivons quand ils tuent!» a-t-il protesté.
À la fin de sa campagne, cinq jours avant les élections, Trump s’est rendu à Fort Bragg pour des réunions à huis clos avec les troupes des forces spéciales et leurs commandants. Au vu des développements ultérieurs, il y a tout lieu de croire que le but de ce voyage était d’évaluer le niveau de son soutien au sein des unités militaires qui y sont stationnées et chez leurs commandants, et de discuter des plans d’une réponse armée à une explosion de résistance à son projet de voler l’élection et d’établir une dictature présidentielle.
La tactique employée par la Maison Blanche a été répétée d'innombrables fois à l'étranger sous des administrations démocrates et républicaines. Des allégations fabriquées de fraude électorale ont été utilisées pour justifier les coups d'État soutenus par les États-Unis, évincer des présidents et fomenter des "révolutions de couleur" entre autre au Honduras, en Bolivie, au Venezuela, en Ukraine et en Géorgie.
Aujourd’hui, ces mêmes méthodes sont appliquées aux États-Unis mêmes, dans les conditions d’une crise économique et sociale insoluble, caractérisée avant tout par des inégalités sociales stupéfiantes et exacerbée par la pandémie de COVID-19, par l’«immunité collective» et la politique de retour au travail homicides de la classe dirigeante capitaliste.
Biden et le Parti démocrate craignent une éruption de protestations populaires et une résistance de masse venue d’en bas contre Trump et ses alliés conspirateurs bien plus que le danger de coup d’État et de dictature. Quelles que soient leurs différences tactiques avec Trump, ils représentent les intérêts de Wall Street et de l’appareil militaire et de renseignement.
La classe ouvrière doit intervenir dans cette crise sans précédent en tant que force sociale et politique indépendante, en s’opposant aux conspirations de la Maison-Blanche de Trump et de ses alliés militaires par les méthodes de la lutte des classes et la lutte pour la transformation socialiste de la société.
(Article paru d’abord en anglais le 21 novembre 2020)