Parmi les mesures les plus inquiétantes prises par la Maison-Blanche de Trump, qui cherche à annuler les résultats de l’élection présidentielle de 2020, figure un remaniement complet de la direction civile du Pentagone.
Le président Donald Trump est parfaitement conscient que sa tentative de réaliser un coup d’État extra-constitutionnel et de rester à la Maison-Blanche ne peut se faire sans recourir à une répression extrême contre une inévitable éruption populaire contre un tel coup d’État. À cette fin, il place une bande d’idéologues et de loyalistes d’extrême droite à des postes clés.
[image]Le Pentagone (Wikimedia Commons) - https://www.wsws.org/asset/cf61e206-6545-403f-a30e-cd57a54cf409?rendition=image1280[/image]
La purge a commencé lundi avec le renvoi sommaire par tweet du secrétaire à la Défense Mark Esper, qui aurait pris par surprise l’ensemble du commandement en uniforme de l’armée américaine. Le choix du remplaçant d’Esper a été encore plus choquant pour le commandement.
Le nouveau chef «intérimaire» du Pentagone sera Christopher Miller, un colonel retraité des forces spéciales qui a passé 30 ans dans les rangs de l’armée et qui n’a aucune expérience des échelons supérieurs du commandement militaire. Trump a délibérément cultivé un appui au sein des 70.000 membres des forces spéciales, notamment par le biais de grâces pour crimes de guerre, dans le but de transformer cette force quasi indépendante en sa garde prétorienne.
Au sein de l’état-major militaire, on considère Miller comme n’étant pas du tout préparé à assumer le poste de secrétaire à la Défense. Sa principale qualification est son soutien sans réserve à Trump, démontré alors qu’il était membre du Conseil national de sécurité à la Maison-Blanche, et sa volonté d’utiliser la répression militaire contre les manifestants au pays.
Avant de devenir précédemment directeur du Centre national de lutte contre le terrorisme (NCTC), il avait témoigné lors de son audition de confirmation au Sénat qu’il ne s’opposerait pas à ce que le NCTC partage des renseignements sur les citoyens américains avec le FBI et le ministère de la Sécurité intérieure (DHS) dans le but de réprimer les manifestations.
Mardi, l’éviction d’Esper a coïncidé avec la démission du troisième fonctionnaire du Pentagone, James Anderson, le sous-secrétaire à la défense pour la politique, et son remplacement par le général à la retraite et commentateur de Fox News, Anthony Tata. Trump avait proposé la candidature de Tata en août dernier, mais il avait été contraint d’annuler sa nomination après que le Sénat eut annulé les audiences de confirmation, car Tata avait déjà qualifié l’ancien président Barack Obama de «chef terroriste», de «candidat mandchou» et de musulman. Par la suite, Trump avait installé Tata au Pentagone dans un poste inventé de toutes pièces comme assistant d’Anderson. Aujourd’hui, un fasciste islamophobe occupe le troisième poste dans la machine de guerre américaine.
Dans sa lettre de démission, Anderson a écrit: «Maintenant, comme toujours, notre succès à long terme dépend de l’adhésion à la Constitution américaine que tous les fonctionnaires jurent de soutenir et de défendre». Dans un reportage sur la démission, Breaking Defense a noté: «De telles phrases ne sont pas là que pour la forme dans la lettre de démission d’un haut fonctionnaire et ceci était clairement destiné à envoyer un message». En effet, Esper a inclus un langage presque identique dans son dernier message à l’armée, la félicitant de «rester apolitique, et d’honorer votre serment à la Constitution».
La détermination de Trump à se débarrasser d’Esper découle des événements de début juin, lorsque la Maison-Blanche a déployé des forces de sécurité fédérales et a cherché à déployer des troupes américaines dans les rues pour réprimer les manifestations de masse déclenchées par le meurtre de George Floyd par la police à Minneapolis.
Esper s’est publiquement opposé aux menaces de Trump d’invoquer la loi sur l’insurrection afin de déployer des troupes américaines dans tout le pays pour réprimer les protestations. Il a déclaré qu’une telle action ne pouvait être qu’un «dernier recours et uniquement dans les situations les plus urgentes et les plus graves». Il a ajouté: «Nous ne sommes pas dans une de ces situations en ce moment».
Cette opposition d’un fonctionnaire dont l’asservissement à la Maison-Blanche lui a valu le surnom de «Yesper» reflétait les graves préoccupations qu’un tel déploiement national n’était pas nécessaire et pourrait déchirer l’armée. Trump aurait été furieux de la déclaration d’Esper et c’est à ce moment-là qu’il aurait décidé de remplacer Esper par quelqu’un qui ne s’opposerait pas à ses tentatives d’utiliser l’armée dans un objectif de dictature présidentielle.
Le chroniqueur républicain Bill Kristol a fourni une indication de l’atmosphère de purge vindicative au Pentagone. Citant des conversations avec de hauts responsables militaires, Kristol a rapporté: «Hier, lorsqu’on a renvoyé Jim Anderson en tant que sous-secrétaire d’État à la politique, il a reçu des applaudissements en quittant le bâtiment. La Maison-Blanche a exigé les noms de tous les responsables politiques qui s’étaient joints aux applaudissements afin de les licencier».
Deux autres nominations de fidèles de Trump à des postes de haut niveau indiquent l’ampleur de la prise de contrôle politique du Pentagone par l’extrême droite. Le sous-secrétaire à la défense pour le renseignement, Joseph Kernan, un amiral trois étoiles de la marine à la retraite, a été remplacé par Ezra Cohen-Watnick, un agent de droite de 34 ans qui a obtenu des postes dans l’appareil militaire et de renseignement grâce à ses relations politiques avec l’ancien conseiller de Trump, Stephen Bannon, et l’ancien conseiller à la sécurité nationale, le général Michael Flynn, ainsi qu’avec Jared Kushner. Il a fait ses preuves auprès de Trump en divulguant des documents secrets de la CIA censés prouver à un représentant républicain de la Californie, Devin Nunes (président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants et membre de l’équipe de transition de Trump), que le gouvernement espionnait la campagne de Trump.
La quatrième nomination a été celle de Kash Patel, qui remplace Jen Stewart en tant que chef de cabinet du secrétaire à la Défense. Patel, ancien membre du personnel de Nunes, avait été nommé auparavant à un poste créé spécialement pour lui au Conseil national de sécurité. Trump l’a qualifié de «spécialiste de la politique ukrainienne», et on l’a largement soupçonné de participer aux efforts qui visaient à faire pression sur le gouvernement ukrainien pour obtenir des informations préjudiciables sur Joe Biden.
Mercredi, le nouveau secrétaire à la Défense par intérim, Christopher Miller, a annoncé sa première nomination importante, en nommant le colonel Douglas Macgregor, retraité de l’armée, comme son conseiller principal. Fréquent commentateur de Fox News, Macgregor a dénoncé l’Union européenne et l’Allemagne pour avoir accueilli des «envahisseurs musulmans indésirables», qui, selon lui, avaient «l’objectif de transformer à terme l’Europe en un État islamique». Il a également tourné en dérision les tentatives de l’Allemagne de traiter les crimes des nazis, les qualifiant de «mentalité tordue», et a appelé à l’imposition de la loi martiale à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Dans une provocation délibérée, Trump a essayé de nommer le colonel comme ambassadeur à Berlin.
Le chroniqueur du Washington Post, David Ignatius, qui a des relations très étroites avec l’appareil de sécurité nationale, a cité des spéculations au sein du commandement du Pentagone que Trump pourrait installer ses loyalistes triés sur le volet pour procéder à des retraits accélérés de troupes pendant ses derniers jours de mandat. Cependant, il a ajouté: «Une possibilité plus sombre est que Trump veuille un chef du Pentagone qui puisse ordonner à l’armée de prendre des mesures qui pourraient l’aider à se maintenir au pouvoir en raison d’un résultat électoral qu’il prétend frauduleux».
William Cohen, ancien secrétaire à la Défense et sénateur républicain, a déclaré à CNN que le remaniement de l’administration au Pentagone ressemblait «plus à une dictature qu’à une démocratie». De même, CNN a cité un haut responsable de la défense non nommé qui a déclaré «C’est effrayant, c’est très troublant. Ce sont des gestes de dictateur».
Le fait de placer les principaux leviers du pouvoir au sein de l’énorme appareil militaire américain entre les mains d’une cabale de loyalistes fascistes de Trump représente un danger immense pour la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde entier. À 68 jours de la date d’investiture, l’emprise politique renforcée de Trump sur le Pentagone pourrait être utilisée pour lancer des actes d’agression militaire et fabriquer le prétexte pour une déclaration de loi martiale et la suspension des droits constitutionnels et démocratiques.
Biden et le Parti démocrate ont traité la purge générale au Pentagone comme un problème de «sécurité nationale», laissant entendre que la plus grande inquiétude est que le remaniement des hauts fonctionnaires par Trump affaiblira l’impérialisme américain vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Par-dessus tout, ils sont déterminés à dissimuler le fait que les actions de Trump constituent une menace sérieuse pour ce qui reste des droits et des formes de gouvernement démocratiques aux États-Unis.
Bien plus que la menace d’un coup d’État et d’une dictature, le Parti démocrate, qui représente les intérêts de Wall Street et de l’appareil militaire et de renseignement, craint une éruption de protestations populaires et de résistance de masse contre Trump et ses co-conspirateurs.
(Article paru en anglais le 12 novembre 2020)