Au moins 140 personnes ont trouvé la mort lorsqu’un bateau transportant au moins 200 réfugiés vers l’Europe a explosé et coulé au large des côtes du Sénégal, la semaine dernière. La tragédie est la plus meurtrière des noyades de réfugiés signalées cette année.
Selon une déclaration de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) publiée jeudi, le bateau avait quitté Mbour, sur la côte ouest du Sénégal, le 24 octobre. Il s’est dirigé vers le nord dans l’Atlantique, le long de la côte sénégalaise, vers les îles Canaries, sous contrôle espagnol, où les centaines de personnes à bord espéraient déposer leurs demandes d’asile en Europe.
Un des survivants à bord du navire a déclaré à Sene.news: «À un moment donné, le moteur a pris feu. L’équipage était parvenu à maîtriser les flammes. Mais les flammes ont repris et ont gagné les jerricanes d’essence. Il y a eu une puissante explosion. J’ai sursauté pour plonger dans la mer. Je me suis agrippé à un bidon qui flottait sur les eaux.»
M. Diéye, un autre survivant, a décrit les scènes précédant l’explosion. «Lorsque l’incendie s’est déclaré à l’arrière de la pirogue, plusieurs passagers, notamment ceux qui ne savent pas nager, se sont précipités à l’avant. Il y avait des enfants… Lorsqu’il y a eu l’explosion, c’était la panique générale et ceux qui ne savaient pas nager se sont accrochés à tout ce qu’ils pouvaient. Ils y sont restés et ont coulé avec la pirogue. Je ne peux dire combien ils sont nombreux.»
Fallou Samb, qui avait un mineur sous sa garde à bord du bateau, a dit: «Après le chavirement, il a paniqué et s’est mis à crier mon nom. Lorsque je l’ai localisé, je lui ai jeté un bidon pour lui permettre de rester à la surface de l’eau. Au bout de 2 heures, il était épuisé et ne tenait plus. Il a lâché prise et a coulé sous mes yeux, sans que je puisse l’aider.» Un autre homme, Demba Sow, a déclaré à Radio France Internationale que ses deux filles, âgées de 21 et 27 ans, se trouvaient à bord du navire et n’ont pas été sauvées.
Le nombre total de personnes qui se trouvaient à bord du navire est inconnu. L’OIM a déclaré qu’il y en avait au moins 200. Seules 59 ont été sauvées. Plusieurs dizaines au moins provenaient de la même communauté à Pikine, une banlieue de la ville sénégalaise de Saint-Louis. «Plus d’une vingtaine de jeunes du quartier de Pikine voulaient rallier l’Europe à travers cette embarcation», a écrit Sene.news. Le Guardian a rapporté que dans ce quartier, «des rues entières ont été plongées dans le deuil par la tragédie.»
Deux jours seulement après la catastrophe, dans la soirée du 25-26 octobre, un autre bateau transportant un nombre indéterminé de réfugiés a coulé à cinq kilomètres des côtes de Dakar, la capitale sénégalaise. Trente-neuf personnes ont été sauvées, mais le bateau aurait transporté entre 60 et 70 personnes.
La mort d’au moins une douzaine de personnes a été directement causée par les actions des marines sénégalaise et espagnole. Un navire espagnol et un navire sénégalais avaient rattrapé la pirogue et cherché à l’empêcher physiquement de passer. La pirogue s’est renversée après une collision avec le bateau de la marine sénégalaise. Le journaliste sénégalais Babacar Fall a déclaré à Bonjourdakar que le bateau de la marine avait délibérément percuté la petite embarcation transportant des dizaines de réfugiés.
Selon l’OIM, plus de 414 personnes sont mortes en 2020 sur la route de l’Afrique occidentale vers les îles Canaries. Il s’agit d’une augmentation de plus de 100 % par rapport aux 210 morts de 2019. Le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé. Il y a eu 11.000 arrivées aux îles Canaries en 2020, contre 2.557 à la même période en 2019.
L’utilisation croissante de cette route dangereuse est le résultat direct des politiques criminelles des puissances européennes, qui ont adopté des politiques sévères conduisant des milliers de personnes à se noyer en Méditerranée, afin d’empêcher les réfugiés d’exercer leur droit démocratique de demander l’asile en Europe.
L’Union européenne collabore avec les gouvernements d’Afrique du Nord, du Maroc à l’Algérie en passant par la Libye, et les finance afin d’empêcher les réfugiés de tenter de traverser la Méditerranée. Elle finance les milices islamistes en Libye et leur fournit des navires pour capturer les bateaux de réfugiés qui tentent d’atteindre l’Italie. De là, des milliers de personnes sont emprisonnées, vendues en esclavage et retenues en otage contre une forte rançon versée par les membres de leur famille.
L’UE a également cessé toute opération de sauvetage en Méditerranée et cherche activement à empêcher les ONG de mener des opérations de recherche et de sauvetage, en leur refusant le droit de naviguer. Selon le HCR, en 2018 et 2019, 72 réfugiés en moyenne sont morts chaque jour en essayant de rejoindre l’Europe. C’est le résultat conscient et voulu de la politique européenne, qui cherche à utiliser la menace d’une mort probable pour dissuader les réfugiés de demander l’asile en Europe.
Ce flux de milliers de réfugiés désespérés en provenance d’Afrique est le résultat de décennies de politique impérialiste européenne et américaine en Afrique, exacerbant l’héritage de l’oppression coloniale du continent.
María Jesús Vega, porte-parole du Haut Conseil national des réfugiés en Espagne, a déclaré au Guardian que 30 % des réfugiés qui se rendent du Sénégal aux îles Canaries viennent du Mali. Ils fuient la guerre au Mali menée par la France. Cette guerre a été déclenchée par la guerre de l’OTAN visant à renverser le gouvernement libyen en 2011 avec l’aide des milices islamistes. Le renforcement des forces islamistes au Mali qui en a résulté a permis à la France de lancer une intervention militaire pour assurer sa domination sur le Sahel, une région géostratégique cruciale, qui comprend d’importantes ressources en uranium et en minéraux bruts, dans un contexte d’influence chinoise croissante dans la région.
Il existe des rapports documentés sur les crimes de guerre commis par les forces armées du G5 avec lesquelles la France collabore, y compris la promotion délibérée de massacres ethniques sectaires, pour terroriser l’opposition à l’occupation européenne et au régime fantoche de Bamako. Cela a provoqué une rupture sociale au Mali qui déclenche un exode massif. La crise sociale et le chômage massif des jeunes sont exacerbés par la pandémie de coronavirus.
Ce sont les racines sociales et politiques des noyades catastrophiques qui se sont produites la semaine dernière au large des côtes du Sénégal.
(Article paru en anglais le 1er novembre 2020)