Apple: Un cas d’étude du parasitisme financier

À la suite de la crise de la mi-mars, lorsque les marchés financiers se sont essentiellement gelés, la Réserve fédérale américaine est intervenue avec un programme massif d’achat d’actifs d’environ trois mille milliards de dollars, y compris, pour la première fois, l’achat d’obligations d’entreprises.

Cela a déclenché une frénésie d’emprunts, avec pour résultat que les émissions d’obligations d’entreprises depuis le début de l’année dépassent déjà celles de 2019.

L’intervention sans précédent de la Réserve fédérale a permis de ramener les indices de Wall Street à un niveau proche des records atteints en février. La raison apparente était de fournir un soutien aux entreprises à court de liquidités et menacées de faillite en raison de la pandémie COVID-19.

Mais comme pour toutes les mesures prises par la Réserve fédérale, l’intervention a porté à des niveaux toujours plus élevés le parasitisme. Depuis un certain temps déjà le parasitisme constitue le modus operandi de l’économie et du système financier américains, la richesse étant siphonnée dans les coffres de l’élite financière.

Apple n’a aucun problème de trésorerie. Elle dispose de centaines de milliards de dollars de liquidités et a annoncé un chiffre d’affaires de 59,7 milliards de dollars pour le trimestre de juin, avec un bénéfice de 11,25 milliards de dollars. Mais elle a été l’une des premières à profiter des nouvelles conditions créées par la Réserve fédérale.

En mai, elle a levé 8 milliards de dollars grâce à une nouvelle émission d’obligations et la semaine dernière, elle a poursuivi sur sa lancée en retournant sur les marchés financiers pour lever 5,5 milliards de dollars supplémentaires.

L’intervention de la Réserve fédérale: sa réduction de son taux de base à zéro, son achat d’obligations du Trésor et d’entreprises ont eu l’effet suivant. Cela a permis aux entreprises d’obtenir de l’argent sur les marchés financiers aux taux les plus bas de l’histoire.

Selon un rapport de Bloomberg, la dernière émission d’obligations d’Apple se compose de quatre parties. La maturité la plus longue de 40 ans ne rapporte à l’acheteur que 1,18 point de pourcentage (118 points de base) de plus que les bons du Trésor américain. Cela signifie que sur sa dette à long terme, Apple paiera un peu plus de 2,5 pour cent d’intérêts, les paiements sur la dette à court terme étant encore plus faibles. Apple a réussi à obtenir un taux encore plus bas que celui d’Amazon, qui a dû payer 130 points de base au-dessus du taux des bons du Trésor lors de l’émission de nouvelles dettes.

Aucune partie de l’argent collecté de cette manière ne sera utilisée par Apple pour développer la production et les investissements ou pour financer de nouvelles recherches, sans parler de la création d’emplois. Il est consacré au financement de rachats d’actions et au versement de dividendes, ainsi qu’à d’autres «objectifs généraux de l’entreprise».

Il ne fait aucun doute qu’une partie de ces «objectifs d’entreprise» sera le développement de mesures d’ingénierie financière et la rémunération de comptables et d’avocats pour concevoir de nouvelles méthodes d’évitement fiscal.

L’objectif de ces mesures est un transfert de richesse entre les mains des actionnaires et des dirigeants de l’entreprise, au profit de grands investisseurs tels que le multimilliardaire Warren Buffet, et des dirigeants de l’entreprise.

Les rachats d’actions et l’augmentation des dividendes, financés par la dette, mis à disposition à des taux ultra-bas, font augmenter le cours de l’action de la société en retirant les actions du marché. Les actionnaires restants réalisent une plus-value et les dirigeants de l’entreprise se trouvent récompensés par un système dans lequel leur rémunération est basée sur les performances de l’entreprise en bourse. Le PDG d’Apple, Tim Cook, est déjà devenu milliardaire et en tirera d’autres avantages.

L’intervention de la Réserve fédérale après la crise de 2008 a fortement stimulé ce processus, qui a maintenu les taux d’intérêt à des niveaux ultra-bas grâce à son programme d’assouplissement quantitatif, et Apple en a pleinement profité. Grâce à son programme de rachat d’actions, elle est devenue la première entreprise au monde à atteindre une valeur boursière de mille milliards de dollars en août 2018, soit une augmentation de 300 milliards de dollars par rapport aux trois années précédentes.

Mais l’escalade de ces cinq derniers mois, dans le sillage de la réponse de la Fed à la pandémie COVID-19, met cette situation dans l’ombre. La capitalisation boursière actuelle d’Apple est d’environ 1900 milliards de dollars et devrait bientôt atteindre deux mille milliards de dollars, soit un doublement en deux ans seulement.

Sa valorisation boursière est désormais supérieure au PIB du Canada, dixième économie mondiale, ainsi qu’à ceux de la Russie et de l’Espagne.

La hausse de sa valeur marchande n’est qu’un aspect du parasitisme qui caractérise le mode d’accumulation des bénéfices d’Apple. Contrairement aux géants du passé, elle n’emploie pas une main-d’œuvre industrielle importante. C’est Foxconn en Chine et d’autres entreprises dans le monde qui effectuent les opérations essentielles de la fabrication des composants et d’assemblage.

Les derniers calculs montrent que le coût des composants de l’iPhone le plus cher, qui se vend entre 1100 et 1450 dollars, est d’un peu moins de 500 dollars. Le coût de la main-d’œuvre pour l’assemblage est négligeable, un employé de Foxconn en Chine emportant 300 dollars par mois.

La masse de plus-value, créée par le travail des ouvriers dans la fabrication des composants et leur assemblage, se fait ensuite détourner par Apple essentiellement sous la forme d’une rente de monopole protégée par une série de lois qui couvrent la propriété intellectuelle.

Apple et d’autres entreprises de haute technologie soutiennent que les prix élevés sont le résultat des coûts liés à la recherche et à l’innovation. En fait, ils sont le résultat de la monopolisation des connaissances, souvent développées dans le domaine public. La technologie de base d’un iPhone - les piles, l’écran tactile, la reconnaissance vocale, l’Internet - est le résultat de recherches financées par des fonds publics.

Il y a un coût associé au développement de nouveaux algorithmes, etc., mais il est inférieur à ce que les entreprises de haute technologie obtiennent gratuitement grâce à la recherche scientifique fondamentale.

Il en va de même pour l’innovation et les nouveaux médicaments développés puis commercialisés par les entreprises pharmaceutiques à des niveaux exorbitants.

Le «modèle Apple» d’accumulation de richesses n’est qu’une des expressions les plus flagrantes de ce qui est un processus général.

Selon les calculs de l’économiste William Lazonick, au cours de la décennie 2010-2019, les entreprises de l’indice S&P 500, qui représentent 80 pour cent de la capitalisation boursière des marchés américains, ont dépensé 5300 milliards de dollars, soit 54 pour cent de leurs bénéfices, pour racheter des actions. Un montant supplémentaire de 3800 milliards de dollars, soit 39 pour cent des bénéfices, a été distribué sous forme de dividendes. Cela signifie qu’au cours de cette période, on n’a utilisé que 7 pour cent des bénéfices pour investir dans l’économie réelle.

Et comme le montrent les dernières opérations d’Apple et d’autres géants du secteur sur les marchés des obligations, qui ont mis la main sur l’argent ultra-bon marché mis à disposition par la Réserve fédérale au milieu de la mort et de la dévastation économique causées par la pandémie, ce pillage systématique des ressources ne fait qu’augmenter.

(Article paru d’abord en anglais le 18 août 2020)

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