Samedi, une réunion en ligne a permis d’obtenir de plus amples informations sur l’opération de surveillance illégale menée contre Julian Assange alors qu’il était réfugié politique à l’ambassade de l’Équateur à Londres.
L’espionnage, clairement orchestré par la Centrale de renseignement américaine (CIA), faisait partie de la chasse aux sorcières qui a abouti à l’arrestation du fondateur de WikiLeaks par la police britannique en avril de l’année dernière. Elle souligne l’illégalité de toute la procédure judiciaire britannique en vue de l’extradition d’Assange vers les États-Unis, où il risque la prison à vie pour avoir révélé les crimes de guerre américains.
L’événement était la dernière réunion «Free the Truth» organisée par l’universitaire britannique Deepa Driver, dans le cadre de la campagne pour la liberté d’Assange. Il s’est tenu en collaboration avec le groupe «Don’t Extradite Assange» et a été diffusé en direct sur «Consortium News».
La réunion a débuté par un message préenregistré de Jennifer Robinson, l’une des avocates d’Assange, qui a fait remarquer que la surveillance des réunions entre le fondateur de WikiLeaks et son équipe juridique constituait une violation du secret professionnel. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, a répété son avertissement selon lequel Assange n’a aucune perspective de procès équitable s’il est envoyé aux États-Unis.
Driver, qui présidait la réunion, a exprimé sa «solidarité» envers les manifestations internationales de masse déclenchées par le meurtre brutal de George Floyd par la police américaine. Comme le WSWS l’a noté, les mêmes institutions étatiques qui ont attaqué les manifestants aux États-Unis et dans le monde entier ont été le fer de lance de la tentative de réduire Assange au silence. Assange lui-même a contribué à jeter la lumière sur la violence militaire et d’autres violences étatiques. Cela montre la relation profonde et continue entre l’escalade des attaques contre les droits démocratiques – y compris la liberté de la presse – et les tentatives des gouvernements de réprimer l’opposition sociale et politique croissante.
Le sujet de la réunion a été motivé par les révélations de Max Blumenthal dans un article de Grayzone du mois dernier, détaillant les liens étendus entre ceux qui espionnent Assange et des personnalités proches du gouvernement américain du président Donald Trump et de la CIA.
Lors de la réunion, Blumenthal a exposé ses conclusions, basées en partie sur des documents judiciaires dans une affaire judiciaire espagnole intentée par Assange contre la société de sécurité UC Global. Assange et ses avocats affirment que UC Global, que le gouvernement équatorien avait engagé pour gérer la sécurité de son ambassade à Londres, a conclu un accord secret avec la CIA pour surveiller Assange.
Blumenthal a expliqué que l’accord se constitua en 2016, lorsque le directeur d’UC Global, David Morales, a assisté à une foire de la sécurité à Las Vegas. Morales aurait rencontré des membres de l’équipe de sécurité de Las Vegas Sands, un casino et une station balnéaire appartenant au milliardaire Sheldon Adelson, qui a servi d’intermédiaire aux services de renseignement américains.
Adelson est un donateur républicain de premier plan et un partisan de Trump. Des documents mis au jour par Blumenthal indiquent que Las Vegas Sands a déjà servi de façade à des opérations de la CIA. Des agents de renseignements américains utilisaient son casino de Macao pour espionner et piéger des fonctionnaires chinois dès 2010.
Citant des témoignages d’anciens employés d’UC Global, Blumenthal a révélé que Zohar Lahav, un Israélien-américain qui était le meilleur garde du corps d’Adelson, avait recruté Morales. Lahav travaillait sous les ordres de Brian Nagel, un ancien directeur associé des services secrets américains qui a reçu des félicitations officielles de la CIA. Nagel avait auparavant travaillé sur les détails de sécurité des présidents George H. W. Bush et Bill Clinton, ainsi qu’avec des services de protection étrangers, ce qui souligne ses liens avec le gouvernement à haut niveau.
Cette surveillance, qui témoigne du rôle du gouvernement américain dans l’orchestration de l’espionnage, a coïncidé avec la révélation par WikiLeaks des opérations mondiales de piratage effectuées par la CIA au début de l’année 2017. En février de cette année-là, Morales s’est rendu à Alexandria, en Virginie, près du siège de la CIA.
À son retour, il a demandé au personnel d’UC Global d’installer des caméras et des microphones cachés dans l’ambassade, et de recueillir les données de tous les visiteurs d’Assange. Il a ordonné qu’un flux en direct du matériel de surveillance soit mis en place pour «nos amis américains». Cela aurait permis à l’État américain d’espionner les préparatifs d’Assange pour se défendre des accusations d’espionnage de la loi américaine sur l’espionnage auxquelles il est maintenant confronté.
UC Global aurait également été impliqué dans des «mesures actives» qui visaient à détruire Assange.
À titre d’exemple, Blumenthal a expliqué que le 20 décembre 2017, Assange a rencontré Rommy Vallejo, le chef des services de renseignements équatoriens. Ce briefing était la dernière étape d’un plan qui visait à ce qu’Assange quitte l’ambassade le jour de Noël, alors que la présence de la police britannique à l’extérieur du bâtiment avait diminué. Assange devait utiliser les protections contenues dans la Convention de Vienne, en se faisant nommer diplomate de l’Équateur ou d’un gouvernement sympathisant, comme la Serbie ou la Bolivie.
Un jour plus tard, le 21 décembre, le ministère américain de la Justice a lancé un mandat d’arrêt international contre Assange, sabordant le plan dans une démarche clairement basée sur la surveillance de UC Global.
Blumenthal a expliqué: «C’est important de détailler ce qui s’est passé en décembre 2017, car c’était la fin d’un chapitre, où Julian aurait pu effectivement quitter l’ambassade et où cette saga aurait pris fin, mais il ne l’a pas fait. C’était précisément à cause de cette opération d’espionnage».
Blumenthal a détaillé d’autres opérations, dont la surveillance de Baltasar Garzón, le chef de l’équipe juridique internationale d’Assange. Quelques semaines après que des agents d’UC Global l’aient suivi, le bureau espagnol de Garzón a été cambriolé par trois hommes cagoulés le 18 décembre 2017. Ils semblaient être à la recherche de documents. À peu près au même moment, un fonctionnaire équatorien a été dévalisé sous la menace d’une arme à feu alors qu’il portait des documents relatifs à la tentative d’Assange de quitter l’ambassade.
Morales a discuté avec ses subordonnés des plans de l’ambassade pour que les portes restent ouvertes afin de permettre l’enlèvement d’Assange, et a évoqué la possibilité d’empoisonner le fondateur de WikiLeaks. Lorsque la police espagnole a fait une descente au domicile de Morales l’année dernière, elle a trouvé deux armes de poing sans numéro de série.
Blumenthal a déclaré que Morales s’était décrit comme un «vrai mercenaire», en précisant qu’il exécutait les ordres de ses bailleurs de fonds américains. Ce qui a été révélé était un «réseau criminel mondial, manifestement dirigé par la CIA, qui visait des avocats et des journalistes, et qui minait complètement la liberté d’expression dans le monde entier, tout cela pour détruire un éditeur qui les gênait».
L’ancien diplomate équatorien Fidel Narvaez a déclaré lors de la réunion que «l’important dans l’enquête de Max, c’est que nous arrivions aux plus grands criminels, aux maîtres de toute cette affaire». Adelson était un «poisson de taille moyenne». Mais, les «gros poissons» de l’opération étaient le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, qui était directeur de la CIA en 2017, et d’autres hauts fonctionnaires du gouvernement Trump.
Narvaez a noté que l’espionnage d’UC Global a violé les droits, non seulement d’Assange, mais de dizaines d’avocats, de politiciens, de journalistes et de célébrités qui ont visité l’ambassade. La société a également joué un rôle central dans la promulgation de fausses déclarations selon lesquelles Assange était un «invité difficile» et se disputait avec le personnel de l’ambassade.
La journaliste d’investigation italienne Stefania Maurizi a expliqué qu’UC Global avait piraté son propre téléphone portable et ses données professionnelles lorsqu’elle avait tenu des réunions avec Assange à l’ambassade. Elle a placé ses opérations dans le contexte d’une campagne prolongée de l’État américain qui avait commencé en 2008 et qui visait à détruire WikiLeaks en cherchant à l’empêcher de communiquer de manière sécurisée avec ses sources.
Au cours de l’événement, Blumenthal a déclaré que l’un des aspects les plus importants de son enquête était la réponse discrète de la presse bourgeoise. «Aucun journaliste grand public n’a osé toucher à cette histoire», a-t-il expliqué. Cela inclut le New York Times et le Washington Post, dont les propres reporters ont été espionnés par UC Global à l’ambassade. Blumenthal a noté que si le gouvernement russe de Vladimir Poutine avait mené une opération d’espionnage similaire, cela aurait fait la une des journaux.
La complicité des médias dans la persécution d’Assange comprend son silence sur les dangers auxquels il faisait face dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, où il reste détenu bien qu’il n’ait été reconnu coupable d’aucun crime. Les médecins ont averti qu’Assange est particulièrement vulnérable à la pandémie de coronavirus qui balaye les pénitenciers britanniques en raison de ses problèmes médicaux qui découlent précisément de sa persécution qui dure depuis dix ans.
Le journaliste d’investigation John Pilger a rapporté dimanche un autre aspect du traitement brutal d’Assange. Il a tweeté: «Julian Assange est en isolement, il n’a pas droit aux visites. Il a commandé une radio au catalogue de la prison il y a six mois. Un ami lui a également commandé une radio et les autorités l’ont retournée, sans l’ouvrir. Même les otages de Beyrouth Waite, Keenan et McCarthy pouvaient écouter la radio. C’est de la torture».
(Article paru en anglais le 15 juin 2020)