Pour la première fois en trois ans, la marine américaine a mobilisé trois groupes d’attaque de porte-avions dans le Pacifique, dans le cadre d’un renforcement militaire provocateur contre la Chine. Ces déploiements soulignent le changement stratégique opéré par le Pentagone, qui est passé de la «guerre contre le terrorisme» à une compétition entre grandes puissances qui accroît le risque de conflit entre les puissances nucléaires.
Dès jeudi, les porte-avions à propulsion nucléaire et leurs groupes de destroyers et de croiseurs ont pris la mer dans une démonstration de force massive. Bien qu’il n’y ait pas de détails sur leurs mouvements et exercices prévus, tous opéreront dans le Pacifique occidental, dans des eaux stratégiquement sensibles au large de la Chine continentale.
L’USS Theodore Roosevelt, qui a dû s’isoler à Guam après une importante épidémie de COVID-19, opère maintenant dans les eaux au large de Guam. Le groupe d’attaque de l’USS Nimitz a quitté la côte ouest des États-Unis en début de semaine, tandis que l’USS Ronald Reagan et son groupe de combat ont quitté leur base au Japon et opèrent actuellement dans la mer des Philippines.
Dans ses commentaires à l’Associated Press sur ces déploiements, le contre-amiral Stephen Koehler, directeur des opérations du Commandement américain Indo-Pacifique, a spécifiquement mentionné la Chine comme cible principale. Il a accusé Pékin de construire lentement et méthodiquement des avant-postes militaires dans la mer de Chine méridionale et de mettre en place des systèmes de missiles et de guerre électronique sur ses îlots.
Koehler a déclaré que la capacité des États-Unis «à être présents de manière forte fait partie de la compétition… il faut être présent pour gagner quand on est en compétition». Il s’est ensuite vanté de ce que «les porte-avions et les groupes d’attaque de porte-avions écrits en grand sont des symboles formidables de la puissance navale américaine. Que nous en ayons trois en ce moment m’enthousiasme vraiment ».
L’envoi de trois groupes de combat de porte-avions dans les eaux proches de la Chine intervient alors que le gouvernement Trump attise délibérément les tensions avec Pékin. Il a imputé à la Chine la responsabilité de la pandémie mondiale de COVID-19. Sans la moindre preuve, Trump l’a accusée de dissimuler l’épidémie et donné foi aux théories du complot de l’extrême droite selon lesquelles le virus proviendrait d’un laboratoire chinois.
Par sa mise en cause de la Chine, Trump tente de détourner l’attention de sa propre négligence criminelle dans la lutte contre la pandémie. Le fait de faire de la Chine un bouc émissaire s’inscrit dans le cadre des efforts agressifs déployés par Washington, débutés avec le «pivot vers l’Asie» du président Obama, pour affaiblir et affronter Pékin. Les stratèges américains considèrent la Chine comme le principal obstacle à ce que l’impérialisme américain mette un terme à son déclin historique et réaffirme son hégémonie mondiale.
Sous Obama, le Pentagone avait lancé un «rééquilibrage» vers la région Indo-Pacifique pour y stationner 60 pour cent de ses moyens navals et de ses avions de guerre d’ici 2020. Dans le cadre de cette stratégie, les États-Unis ont restructuré leurs vastes bases au Japon, en Corée du Sud et à Guam. Ils ont conclu des accords pour des bases dans toute la région, notamment en Australie, à Singapour, en Inde et au Sri Lanka, et ont renforcé leurs alliances militaires et leurs partenariats stratégiques.
Dans la confrontation actuelle avec la Chine, le gouvernement Trump a encouragé la dangereuse opposition de l’Inde et de la Chine le long de leur frontière contestée. Ces deux pays ont mobilisé des milliers de soldats se faisant face en plusieurs points le long de leurs zones frontalières montagneuses. Les deux puissances régionales, toutes deux dotées de l’arme nucléaire, ont déjà mené une guerre frontalière en 1962 et leurs différends frontaliers n’ont jamais été résolus.
Le déploiement de ces porte-avions et de leurs groupes d’attaque n’est qu’une partie de l’accumulation de forces militaires américaines dans le Pacifique occidental. Fox News a rapporté la semaine dernière que l’armée de l’air américaine avait déployé en mai à Guam des bombardiers B-1B Lancer à capacité nucléaire qui ont mené des opérations au-dessus de la mer de Chine méridionale. L’armée de l’air a également envoyé des drones Global Hawk à longue portée et haute altitude au Japon pour effectuer une surveillance dans le Pacifique occidental.
Sous le gouvernement Trump, la marine américaine a intensifié ses opérations dites de «liberté de navigation» qui violent délibérément les eaux territoriales revendiquées par la Chine autour de ses îlots dans la mer de Chine méridionale. Fin avril, la marine a mené dans ces eaux en deux jours deux opérations suivies d’une autre le 7 mai. Le 28 mai, le destroyer de missiles guidés USS Mustin a pénétré dans la limite territoriale de 12 miles nautiques de Woody Island, dans le groupe Paracel, occupé par la Chine depuis des décennies.
L’affirmation de Washington qu’il ne fait qu’affirmer la «liberté de navigation» est une fraude. La marine américaine est déterminée à maintenir une présence en mer de Chine méridionale. Cette région est essentielle pour les plans de bataille aérienne et maritime du Pentagone. Elle serait le théâtre d’un assaut massif des bases militaires chinoises en cas de guerre. La mer de Chine méridionale est adjacente à des bases militaires chinoises sensibles sur l’île de Hainan, notamment pour ses sous-marins nucléaires.
La marine américaine a également augmenté ses transits du détroit de Taiwan qui se trouve entre la Chine continentale et Taiwan et que la Chine revendique comme partie de son territoire. Le 5 juin, le destroyer de missiles guidés, USS Russell, a traversé l’étroit détroit — le deuxième navire de guerre américain à le faire en trois semaines et le septième cette année. Les médias publics chinois ont réagi en qualifiant ce passage de «nouvelle provocation».
Taïwan est un autre point sensible que le gouvernement Trump enflamme délibérément. Bien que n’ayant pas officiellement aboli la politique d’«Une seule Chine» reconnaissant Pékin comme le gouvernement légitime de toute la Chine, y compris de Taïwan, Trump n’a cessé de renforcer ses relations diplomatiques et stratégiques avec Taipei. Il a soutenu le président taïwanais, Tsai Ing-wen, dont le Parti progressiste démocratique préconise pour Taïwan un rôle plus indépendant de la Chine.
Le déploiement des groupes navals d’attaque fait suite à une nouvelle escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine, déclenchée quand le ministère de la Défense de Taïwan a autorisé un avion-cargo de la marine américaine à effectuer un vol sans précédent, en provenance d’Okinawa et à destination de la Thaïlande, dans l’espace aérien taïwanais. Pékin a réagi en condamnant l’incident qu’il a qualifié de «provocateur».
Cette dangereuse escalade des tensions militaires entre le gouvernement Trump et la Chine survient alors que la pandémie de COVID-19 révèlé et accélére la crise mondiale du capitalisme. Comme ses homologues du monde entier, Trump prépare non seulement une guerre de classe contre la classe ouvrière mais il est aussi poussé à forcer les puissances rivales des États-Unis à porter la plus grosse partie du fardeau de la crise économique.
L’intervention militaire irresponsable des États-Unis dans des zones d’une énorme importance stratégique pour la Chine risque d’entraîner un affrontement, accidentel ou délibéré, qui pourrait rapidement dégénérer en une guerre catastrophique qui couvrirait le monde entier.
(Article paru d’abord en anglais 13 juin 2020)