Les constructeurs automobiles, Unifor et le gouvernement de l'Ontario veulent la réouverture des usines alors que la COVID-19 continue de se propager

Les travailleurs canadiens de Ford, Fiat-Chrysler et General Motors (Detroit Three) ont commencé un retour partiel au travail la semaine dernière après un arrêt de deux mois dû à la pandémie de coronavirus. Les travailleurs de Toyota et Honda étaient revenus la semaine précédente.

La campagne de retour au travail dans l'industrie automobile canadienne est menée par le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, de concert avec les entreprises automobiles, l'oligarchie financière et, dans le cas des trois grandes sociétés de Detroit, le syndicat Unifor.

La campagne de retour au travail, qui oblige des milliers de travailleurs de l'automobile à se regrouper dans de grandes usines aux protections de sécurité insuffisantes, a été imposée au mépris des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et d'autres experts médicaux.

L'assemblage et la production de pièces automobiles ont été classés par le gouvernement Ford comme «services essentiels» dès le début du confinement COVID-19 de la province, ce qui signifie qu'ils ont été libres de fonctionner. Si le secteur automobile a été fermé depuis la mi-mars, c'est uniquement parce que les travailleurs automobiles nord-américains ont pris les choses en main, en organisant des actions de protestation contre les conditions de travail dangereuses dans l'usine d'assemblage de Fiat-Chrysler à Windsor et dans diverses usines des Detroit Three aux États-Unis. Les arrêts de travail subséquents des maquiladoras du réseau d'usines de pièces automobiles dans le nord du Mexique ont compliqué encore davantage la production d'assemblage automobile, obligeant les constructeurs automobiles à annoncer à contrecœur une fermeture.

Presque immédiatement après la fermeture des usines, les syndicats Unifor et United Auto Workers aux États-Unis se sont mis à travailler main dans la main avec les constructeurs automobiles pour les rouvrir rapidement. En Ontario, Unifor a rédigé une série de règlements de sécurité en coopération avec les Detroit Three et le ministère du Travail du gouvernement Ford.

Du plexiglas a été installé dans certaines usines et la ventilation a été ajustée. Les travailleurs de certaines usines de Ford Canada porteraient des brassards qui vibrent lorsqu'ils s'approchent trop près les uns des autres. Les masques et les gants sont également obligatoires en vertu de la réglementation. Certains travailleurs ont fait remarquer que cette disposition sera impossible à observer dans les usines lorsque la température se réchauffera.

La réalité est que ces mesures sont totalement inadéquates. Comme ils l'ont fait dans leurs installations aux États-Unis, les Detroit Three ont refusé de tester régulièrement leurs travailleurs pour le coronavirus. Au lieu de cela, des contrôles de température sont effectués dans le cadre d'un soi-disant processus de dépistage à l'arrivée des travailleurs, ce qui laisse les cas asymptomatiques non détectés. Les experts estiment que les porteurs asymptomatiques du virus pourraient représenter environ la moitié de toutes les transmissions.

Dans les heures qui ont suivi la réouverture des usines automobiles aux États-Unis la semaine dernière, plusieurs travailleurs de l'automobile ont été testés positifs pour le virus. À la fin de la semaine, tout comme en mars, les arrêts de travail ont recommencé à la suite de l'annonce de nouvelles infections sur le lieu de travail.

Le mépris total pour le bien-être des travailleurs de l'automobile, tant de la part de la direction des entreprises que de la bureaucratie syndicale, découle du fait qu'ils considèrent le coronavirus comme un obstacle pour les activités lucratives des Detroit Three, et non comme un problème de santé. Ils savent très bien que les travailleurs seront infectés, mais cela n'est considéré que comme un coût nécessaire aux affaires. Comme l'a récemment déclaré Kristen Dziczek, vice-présidente pour l'industrie, le travail et l'économie au Centre for Automotive Research, un important groupe de réflexion de l'industrie qui a conseillé les constructeurs automobiles pour la réouverture de leurs usines, «la chaîne d'approvisionnement est partout, donc s'il y a une épidémie ou une poussée de maladie dans une région, cela va paralyser la fabrication ailleurs. Je pense que des foyers vont continuer à apparaître et que ce sera l'un des facteurs de perturbation de la production automobile».

En d'autres termes, des centaines, voire des milliers de travailleurs de l'automobile au Canada seront infectés au cours des prochains mois, ce qui entraînera un nombre croissant de décès parmi eux et leurs familles.

Le gouvernement de droite de Ford soutient pleinement ce programme réactionnaire. Même lorsque les travailleurs de l'automobile ont commencé à retourner dans les usines, Ford a reconnu que les mesures de santé publique de base qui sont essentielles à la protection des travailleurs, y compris les tests de masse pour le virus et la recherche des contacts, restent de simples objectifs ambitieux. «Nous voulons aller dans des domaines du secteur automobile et commencer à tester les gens dans [le] secteur automobile dans toute la province», a déclaré Ford, lui-même propriétaire multimillionnaire d'une entreprise qui, jusqu'à récemment, se vantait de son admiration pour Donald Trump.

L'affirmation de Ford selon laquelle il s'inquiète de l'absence de tests COVID-19 systématiques chez les travailleurs de l'automobile n’est que rhétorique. Le mois dernier, il s'est vanté de la façon dont l'Ontario allait procéder à 20.000 tests COVID-19 par jour d'ici la fin avril. La semaine dernière, le nombre de tests effectués dans toute la province est tombé bien en dessous de 10.000 sur deux jours, et a à peine dépassé les 10.000 par jour pendant le reste de la semaine. Les experts médicaux avertissent que l'absence de tests signifie que les autorités n'ont guère d'idée sur l'endroit où le virus se propage.

L'ouverture des usines automobiles et du reste de l'économie se fait dans des conditions où des centaines de nouveaux cas de coronavirus sont signalés chaque jour dans la province. L'Ontario a signalé 460 nouveaux cas dimanche, et 25 décès. Les infections sont à la hausse depuis une semaine et le nombre total de décès dus à la COVID-19 en Ontario dépasse désormais les 2100.

Le retour forcé de milliers de travailleurs dans les usines dans ces conditions n'aurait pas pu être réalisé sans le soutien total de l'Unifor. Le président d'Unifor, Jerry Dias, a admis aux journalistes que si les travailleurs étaient «nerveux» à l'idée de retourner dans les usines, il pensait que la sécurité était la «priorité numéro un». «Nous n'avons pas entendu de tollé disant ‘Ne faites pas ça, c'est trop tôt’. Nous n'avons rien entendu de tout cela».

Si le président de l'Unifor n'a pas entendu un tollé, c'est parce qu'il prête l'oreille, comme toujours, aux demandes émanant des conseils d'administration des entreprises et non aux préoccupations légitimes des travailleurs qu'il prétend représenter.

En réponse aux plans de relance, les travailleurs ont exprimé leur indignation sur les médias sociaux. «Refusons de travailler», «C'est toujours dangereux», «Les dirigeants syndicaux, la direction et le gouvernement travaillent ensemble», «Ils se soucient de leurs profits, pas de nos vies», «N’y allez pas»: ce ne sont là que quelques-uns des centaines de commentaires des travailleurs de l'automobile.

Les dirigeants et les analystes du secteur automobile ont réagi à la chute spectaculaire des ventes d'automobiles en mars et en avril en remettant en question la viabilité des niveaux actuels de l'assemblage automobile canadien.

Les contrats des Detroit Three au Canada devant expirer en septembre, Unifor va bientôt entamer des négociations avec les patrons de l'industrie automobile. Déjà, la menace de nouveaux licenciements, les demandes de la société pour des concessions supplémentaires sur les salaires et les avantages sociaux afin de «compenser» la chute des profits et la possibilité de fermetures d'usines pèsent lourdement sur les travailleurs canadiens de l'automobile.

Outre l'effondrement des ventes d'automobiles, le nouvel accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique devrait entrer en vigueur le 1er juillet. Les changements apportés aux règles et réglementations de la chaîne d'approvisionnement se combineront aux pénuries de pièces automobiles produites par les perturbations du secteur des pièces détachées dues aux arrêts de travail et aux autres conséquences de la pandémie sur la production.

Répondant comme un chef d'entreprise, Dias s'est empressé d'assurer aux constructeurs automobiles qu'Unifor n'envisagera pas de faire la grève dans ces conditions, et d'essayer de couvrir le fait que les patrons de l'automobile, comme toujours, répondront au manque à gagner en exigeant le sacrifice des travailleurs.

Si «après des mois et des mois et des mois de réduction de volume en raison de la pandémie», les choses «commencent à revenir à ce qu'elles étaient avant la crise, personne ne voudra de perturbations», a déclaré Dias à Automotive News Canada. «Et je veux dire personne; à la fois les travailleurs et les constructeurs automobiles.»

Ces remarques soulignent que dans leur lutte pour assurer des conditions de travail sûres au milieu de la pandémie, et pour défendre leurs emplois et leurs conditions de travail face aux demandes de «sacrifices» des patrons de l'automobile pour garantir les profits des entreprises, les travailleurs sont confrontés à un ennemi mortel avec Unifor.

Les travailleurs doivent s'opposer à la volonté de les repousser dans les usines sans protocoles de test et de recherche de contacts appropriés et réguliers. Des comités de santé de base doivent être formés, indépendants et opposés à l'appareil d’Unifor propatronat. Ces comités doivent veiller à ce que la production sûre soit supervisée par des travailleurs et des experts médicaux, qui doivent être présents dans chaque usine.

Par le biais de ces comités, les travailleurs doivent également se préparer à répondre à l'attaque à venir sur leur emploi et leur niveau de vie en tendant la main et en unissant leurs luttes à celles de leurs frères et sœurs de classe dans les usines automobiles aux États-Unis et au Mexique. Tout cela doit être lié à la lutte pour que les Detroit Three et d'autres constructeurs automobiles et usines de pièces détachées soient transformés en services publics sous le contrôle des travailleurs, afin que leur production puisse être organisée pour répondre aux besoins sociaux, plutôt que d'enrichir les investisseurs.

(Article paru en anglais le 26 mai 2020)

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