Le Conseil national suédois de la Santé et du bien-être social a publié mardi des chiffres révélant que le nombre de morts du coronavirus a été sous-estimé dans les chiffres rendus publics. L’annonce a été faite alors que le nombre total d'infections dans le pays de 10 millions d’habitants a dépassé le seuil de 20.000 mercredi, avec près de 2500 décès.
L'anomalie est due à la politique de l'Agence de la santé publique de ne compter que les décès à la suite d'un test COVID-19 positif confirmé par un laboratoire. Cependant, le Conseil national de la Santé et du bien-être social a noté qu'au 21 avril, seulement 82 pour cent des décès liés au coronavirus avaient eu un test de laboratoire positif. En supposant que cette différence a persisté au cours de la semaine dernière, il y aurait eu environ 400 décès de plus dus au virus que les 2462 officiellement enregistrés mercredi par l'Agence de santé publique.
Ce sous-dénombrement important des décès ne s'explique pas par une erreur, mais est le résultat direct de la stratégie «d'immunité collective» du gouvernement suédois. Contrairement à ses voisins nordiques et à d'autres pays européens, la Suède s’est opposée à un confinement général et a même retardé pendant un certain temps la publication de consignes limitées en matière de distanciation sociale. Les rassemblements jusqu'à 50 personnes sont toujours autorisés et les magasins, restaurants, écoles et commerces non essentiels de tous types restent ouverts.
En conséquence, la population a été soumise à une expérience imprudente que certains scientifiques ont comparée au jeu de la «roulette russe». Même en prenant le bilan officiel des décès comme point de comparaison, le taux de mortalité en Suède dépasse considérablement les pays voisins. En Norvège, par exemple, qui a une population d'environ la moitié de celle de la Suède, 7660 cas et 206 décès ont été enregistrés. La Suède a donc un taux de mortalité plus de cinq fois supérieure à son voisin par habitant.
Le refus d'imposer des mesures strictes de distanciation sociale teste les limites du système de santé. Lors du briefing quotidien de mardi, Johanna Sandwall, responsable de gestion de crise au Conseil national de santé, a déclaré qu'à travers le pays, les unités de soins intensifs ont 30 pour cent de capacité disponible. Cependant, elle a reconnu que dans certaines zones, il n'y avait aucune capacité disponible. Lorsqu’on lui a demandé où, elle a refusé d’y répondre.
Stockholm a été la région la plus durement touchée, enregistrant près de 8000 cas et plus de la moitié du total des décès en Suède. Le virus sévit dans les foyers d’accueil pour personnes âgées de la capitale, les résidents représentant la moitié des décès dans la région de Stockholm.
Dans une remarque révélatrice, l'épidémiologiste d'État Anders Tegnell, qui dirige les conférences de presse quotidiennes sur le COVID-19, a justifié la stratégie de la Suède en arguant qu'il est nécessaire d'avoir une propagation contrôlée du virus, plutôt que de l'empêcher d'infecter le public. Bien qu'il affirme que les autorités ne poursuivent pas consciemment une politique «d'immunité collective», c'est la logique de cette approche.
La semaine dernière, l'Agence de la santé publique a été obligée de corriger une erreur flagrante dans ses chiffres. Tegnell a affirmé lundi 20 avril que Stockholm n'était qu'à quelques semaines de «l'immunité collective», affirmant qu'un tiers de la population de la région avait déjà été infecté. Plusieurs jours plus tard, l'Agence de santé publique a révisé ce chiffre en baisse à 26 pour cent, ce qui reste hautement spéculatif compte tenu du manque de tests de coronavirus.
Les critiques des experts sur la manière dont le gouvernement a géré la crise continuent de se multiplier. Le 12 avril, 22 scientifiques de nombreux instituts de recherche et universités ont publié un article dans le journal Dagens Nyheter appelant à la fermeture de tous les cafés et écoles. En utilisant les données des trois jours précédant le week-end de Pâques, ils ont démontré l'impact de l’inaction du gouvernement. Du 7 au 9 avril, écrivent-ils, «10,2 personnes par million d'habitants sont mortes chaque jour de COVID-19 en Suède; en Italie, ce nombre était de 9,7; au Danemark, 2,9; en Norvège, 2,0; et en Finlande, 0,9».
En outre, l'article appelait à l’approvisionnement d’un équipement de protection approprié aux travailleurs de la santé s'occupant des personnes âgées et la réalisation des tests de masse pour le personnel médical.
Les conséquences horribles de l’absence de telles mesures sont apparues la semaine dernière, lorsqu'une infirmière de 39 ans est décédée après avoir contracté le COVID-19 d'un patient de l'hôpital universitaire Karolinska à Huddinge.
Sonja Aspinen, une infirmière de soins aux personnes âgées à Nynäshman, au sud de Stockholm, a déclaré que le manque d'équipement a contribué à la propagation du virus dans les foyers d’accueil. «Il n'y a pas eu de volonté de nous tester systématiquement, du moins dans les endroits où j'ai travaillé. Même des personnes présentant des symptômes n'ont pas été testées», a-t-elle expliqué à Euronews.
Le premier ministre social-démocrate Stefan Löfven a reconnu que «la préparation n'a pas été suffisamment bonne» pour la pandémie, mais a fait porter la responsabilité aux gouvernements précédents pour avoir créé une pénurie de ressources dans les soins de santé et les services sociaux.
Le gouvernement de coalition de droite, l'Alliance, dirigé par Frederick Reinfeldt entre 2006 et 2014, a sans aucun doute mis en œuvre de nombreuses réformes régressives, y compris une vaste expansion de la participation du secteur privé aux services publics tels que l'éducation et les soins de santé. Mais il est tout à fait cynique de la part de Löfven et des sociaux-démocrates de se laver les mains de la responsabilité de la croissance des inégalités en Suède et de la décimation des services publics. Le gouvernement dirigé par les sociaux-démocrates de Göran Persson a contribué à jeter les bases entre 1995 et 2006 de la campagne de privatisation de l'Alliance.
Après la crise économique de 2008, Löfven, à la tête du puissant syndicat IF Metall, a conclu un accord avec les employeurs suédois pour imposer des horaires de travail plus courts et des réductions de salaire. Anders Weihe, négociateur en chef de l'association des employeurs industriels de Suède, a commenté avec approbation les politiques de Löfven à l'époque: «Il ne cherche pas les batailles et les conflits, mais les solutions.»
Lorsque Löfven est arrivé au pouvoir en 2014 à la tête d'un gouvernement social-démocrate avec les Verts, il a conclu un pacte avec les quatre composants de l'Alliance, les modérés, le parti du centre, les libéraux et les chrétiens-démocrates, pour rester au pouvoir. L'accord impliquait que les sociaux-démocrates de Löfven appliquent le budget de l'Alliance en 2015 et accordent aux partis de droite un droit de veto sur les plans de dépenses sociaux-démocrates ultérieurs. Cette décision réactionnaire, marquant un tournant décisif vers la droite dans la politique suédoise, a été décrite comme nécessaire pour bloquer la montée des démocrates suédois d'extrême droite.
Après les élections législatives de 2018, Löfven est allé encore plus loin dans cette coopération en concluant un accord avec le Centre et les partis libéraux pour accéder au poste de premier ministre.
De manière prévisible, à la lumière de ce bilan, le principal objectif du gouvernement de Löfven pendant la crise du coronavirus a été de protéger la richesse des banques et des grandes entreprises suédoises. Le gouvernement a mis à la disposition des grandes entreprises une enveloppe de 300 milliards de couronnes (27 milliards d'euros) de reports d'impôts, tandis que la banque centrale suédoise a mis en place un programme de prêts de 500 milliards de couronnes pour les entreprises. La banque centrale a abaissé les taux d'intérêt à zéro pour les investisseurs.
La grande majorité des prêts ne sont pas destinés aux petites entreprises, mais permettent aux grandes entreprises de se restructurer aux dépens de la classe ouvrière. Un exemple typique est Scandinavian Airlines, détenue en partie par les gouvernements suédois et danois. Deux semaines seulement après que Stockholm a dévoilé un fonds de sauvetage de 455 millions d'euros pour les compagnies aériennes, dont plus de 200 millions d'euros iront à Scandinavian Airlines, la société a dévoilé son intention de licencier 1900 travailleurs à temps plein en Suède. Les suppressions d'emplois font partie d'un programme plus large de réduction des coûts qui impliquera la suppression de 4900 emplois en Scandinavie.
Le 14 avril, le ministère du Travail prévoyait que le chômage pourrait atteindre 10 pour cent d'ici l'été. Cela dépasserait le taux de chômage de 8,6 pour cent atteint en 2010 après la crise financière mondiale.
La vague de licenciements a été facilitée par le syndicat Unionen, qui a conclu un accord avec la Confédération des entreprises suédoises en mars, permettant aux employeurs de réduire les heures de travail ou d'imposer des licenciements temporaires à environ 500.000 travailleurs. L'accord prévoyait que le gouvernement paierait jusqu'à 90 pour cent du salaire antérieur d'un travailleur. Cependant, la légère hausse des licenciements montre que les entreprises utilisent surtout cet arrangement pour restructurer leurs opérations.
Le constructeur de camions AB Volvo, l'un des plus gros employeurs à avoir profité de cette politique, a licencié provisoirement l'ensemble de ses 20.000 employés fin mars.
(Article paru en anglais le 30 avril 2020)