Hier, les marchés boursiers du monde entier ont connu leur pire jour depuis le krach d'octobre 1987, alors que les prix chutaient et que des indications claires d'une aggravation de la crise dans l'ensemble du système financier se manifestaient.
La liquidation mondiale a commencé sur le marché à terme américain et pendant les transactions dans la région Asie-Pacifique au moment où le président Donald Trump prononçait son discours devant le pays mercredi soir. Trump n'a proposé aucune mesure d'urgence pour contrer la propagation du coronavirus, mais a annoncé par contre une interdiction d’entrer aux États-Unis de 30 jours, économiquement dommageable, de voyageurs en provenance de l’Europe.
L'effondrement du marché boursier s'est ensuite étendu à l'Europe, où les actions ont connu leur pire jour depuis des décennies. Les indices de marché en France et en Allemagne ont baissé d'environ 10 pour cent, les banques étant les plus durement touchées. L'indice Euro Stoxx Bank a chuté de 16 pour cent pour la journée, portant sa perte totale pour l'année à environ 42 pour cent.
Wall Street avait ouvert en franche baisse, déclenchant un arrêt d’urgence des transactions 15 minutes pour la deuxième fois cette semaine. La baisse s'est poursuivie tout au long de la journée. Le Dow Jones a perdu 2352 points, soit 10 pour cent. Le S&P 500 a chuté de 9,5 pour cent et le Nasdaq a perdu 9,4 pour cent.
L'effondrement des marchés boursiers génère maintenant une crise dans l'ensemble du système financier. Dans un rapport publié jeudi, la Bank of America (BofA) a déclaré que les marchés financiers étaient «submergés par des problèmes de liquidité» et que cela pourrait «empêcher le marché du Trésor de fonctionner». Il a conclu: «Si cela se produit, c'est un problème de sécurité nationale.»
Le marché du Trésor américain, a noté la banque, est le fondement de tous les autres marchés financiers. S'il connaissait un manque de liquidité de grande envergure, d'autres marchés ne seraient pas «en mesure de fixer un prix approprié». Autrement dit, ils cesseraient en réalité de fonctionner.
Le BofA a déclaré que toutes les catégories d'actifs, y compris les actions, la dette des entreprises et les titres adossés à des créances hypothécaires, étaient vulnérables. Un gestionnaire de portefeuille d'une grande société de gestion d'actifs a déclaré au Financial Times : «On ne fait pas de transactions.»
Un banquier spécialisé dans les prêts hypothécaires a déclaré au Wall Street Journal : «Notre marché est désormais complètement fermé. Il n'y a aucune proposition d'achat de produit hypothécaire de quelque type que ce soit.»
La Réserve fédérale américaine est intervenue en déclarant qu'elle injecterait au moins 1500 milliards de dollars sur les marchés monétaires à court terme. Un communiqué de la Fed de New York, qui mène les opérations sur le marché monétaire de la banque centrale, a déclaré: «Ces changements sont apportés pour répondre aux perturbations très inhabituelles des marchés de financement du Trésor associées à l'épidémie de coronavirus.»
L'intervention de la Fed, comme lors de la crise financière mondiale de 2008, souligne en fin de compte la réponse de classe de l'État et de ses autorités financières. Bien que rien ne soit fait pour faire face à la catastrophe sanitaire croissante qui frappe des millions de personnes, tous les efforts possibles sont engagés pour aider Wall Street et le capital financier.
Mais en l'absence de mesures significatives pour faire face à la crise sous-jacente, les mesures financières visant à renforcer les marchés ont l'effet inverse.
Si le discours de Trump était, comme l'a noté un commentateur, «le discours le plus coûteux de l'histoire», les propos tenus hier par la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, étaient presque aussi désastreux.
La BCE a annoncé qu'elle élargirait son programme d'assouplissement quantitatif avec 120 milliards d'euros d'achats d'obligations supplémentaires d'ici la fin de l'année, en plus de ses achats actuels de 20 milliards d'euros par mois, et qu'elle faciliterait les conditions d'emprunt pour les banques.
Mais les propos de Lagarde annonçant les nouvelles mesures ont déclenché une tempête dans des conditions où les écarts entre les rendements des obligations émis par les pays de la zone euro se creusent.
«Nous ne sommes pas là pour réduire les écarts, ce n'est ni la fonction ni la mission de la BCE», a-t-elle déclaré. «Il existe d'autres instruments pour cela et d'autres acteurs pour faire face à ces problèmes.»
La référence aux «autres acteurs» reflète l'insistance de Lagarde selon laquelle, ayant déjà abaissé les taux d'intérêt à des niveaux négatifs et repris son programme d'assouplissement quantitatif, la BCE ne peut guère faire plus.
Elle a dit que ce n'était pas son intention d'imiter son prédécesseur Mario Draghi et de faire «quoi qu'il en coûte, numéro deux» [Whatever it takes]. C'était une référence à la célèbre remarque de Draghi en 2012 au milieu de la crise de la dette de la zone euro qui a entraîné une baisse des rendements des obligations espagnoles et italiennes.
Au cours des dernières semaines, Lagarde a insisté sur le fait que les gouvernements européens doivent augmenter leurs dépenses pour faire face à la crise du coronavirus. Elle l'a répété lors de sa conférence de presse, affirmant que la réponse devait être «fiscale avant tout».
Cependant, elle s'est heurtée à l'opposition des gouvernements des Pays-Bas et de l'Allemagne, qui considèrent l'augmentation des dépenses comme une forme de renflouement pour les économies les plus faibles de la zone euro, en particulier l'Italie.
Les remarques de Lagarde ont suscité l'indignation en Italie car elles ont fait craindre que, alors que l'économie entre en récession à la suite du coronavirus et de la mise sous cloche du pays, sa capacité à financer ses dettes soit compromise.
Suite au discours de Lagarde, les cours des obligations souveraines italiennes ont baissé d'un montant record, creusant l'écart de rendement entre les obligations italiennes et allemandes qui est considéré comme un indicateur du risque de la dette souveraine italienne.
Pour la première fois dans l'histoire de la BCE, Lagarde a été contrainte de faire une déclaration rectifiant ses propos. Dans une interview télévisée, elle a déclaré qu'elle était «pleinement engagée à éviter toute fragmentation dans un moment difficile pour la zone euro.»
Si le marché boursier et le système financier américains sont l'œil de la tempête, le resserrement de la liquidité sur ses marchés menace de se propager rapidement dans le monde entier, car le dollar américain est la base du système commercial et financier mondial.
Dans une analyse publiée plus tôt ce mois-ci, la banque Credit Suisse a mis en garde contre de grandes perturbations de la demande de financement en dollars.
Il a déclaré que sa principale préoccupation concernait les «défauts de paiements en dollars dans le monde», car cela pourrait avoir un effet en cascade qui aurait de graves répercussions sur les banques individuelles et les systèmes bancaires régionaux.
Il y a eu des appels pour une relance des «dispositions d’échange de dollars», dans lesquelles la Fed américaine met de l'argent à la disposition d'autres banques centrales. Bien que ces mesures ne fassent peu l'objet d’attention médiatique à l'époque, elles ont joué un rôle central dans la prévention d'un effondrement complet du système financier mondial en 2008.
Mais avec la montée du nationalisme de «l’Amérique d’abord» aux États-Unis, personnifié par Trump, il existe des doutes quant à la possibilité de renouveler ces mesures. Dans son discours, Trump n'a rien dit sur le traitement de l'épidémie de coronavirus comme un problème mondial qui nécessite une solution mondiale.
Il a plutôt dit que c'était un «virus étranger» qui avait «commencé en Chine» et a dénoncé l'Union européenne pour n'avoir rien fait, ce qui a provoqué des épidémies aux États-Unis «semées» par des voyageurs en provenance d'Europe.
La signification est plus que symbolique dans le fait que l'effondrement du marché de jeudi a été le plus important depuis le krach d'octobre 1987. Lorsque la Fed est intervenue dans cette crise, ouvrant le robinet de la liquidité pour soutenir les marchés, elle a lancé une politique qui a prévalu au cours des trois dernières décennies.
Cela a impliqué l’aspiration de la richesse vers les échelons supérieurs de la société par la création de bulles financières toujours plus grandes et plus dangereuses, au détriment des conditions sociales de la classe ouvrière.
L'épidémie de coronavirus et la réponse des élites dirigeantes ont révélé, dans l'expérience de vie de milliards de personnes dans le monde, la malignité qui est au cœur du système de profit.
(Article paru en anglais le 12 mars 2020)