Lundi, l’indice Dow Jones du prix moyen des actions industrielles a subi la pire baisse de son histoire, alors que les implications de la pandémie mondiale de coronavirus commençaient à se manifester par des ventes massives sur les marchés.
Le Dow a chuté de 2013 points, soit 7,79 pour cent. Le déclin a été si rapide qu’il a déclenché un «disjoncteur» sur le marché pour la première fois en 23 ans, entraînant l’arrêt des échanges pendant 15 minutes. Les actions du secteur de l’énergie ont chuté de 20 pour cent, suivies par les actions du secteur financier, qui ont baissé de 11 pour cent. Même les rendements de la dette souveraine américaine ont atteint un niveau bas record dans le cadre d’une fuite sans précédent vers la sécurité.
La vente a eu lieu dans le contexte de l’augmentation des morts et des nouveaux cas de la pandémie mondiale de coronavirus. En particulier, les événements en Italie, où le gouvernement a annoncé une quarantaine obligatoire dans tout le pays.
Au cours du week-end, c’est apparu de plus en plus clairement que les gouvernements n’avaient pas réussi à stopper la propagation de la pandémie mondiale. Notamment, le nombre de cas a connu une croissance exponentielle et soutenue en Italie, en Allemagne, en France, en Espagne et aux États-Unis.
Ces dernières années, le terme «cygne noir» est entré dans le lexique économique pour désigner un événement qui semble sortir de nulle part, mais qui cause un bouleversement énorme sur la société, dans des conditions où elle est déjà vulnérable.
La cause immédiate de ce très fort courant vendeur est la nervosité et l’incertitude croissantes concernant la pandémie et ses conséquences. Mais l’ampleur de la crise témoigne de la profonde fragilité des conditions économiques aux États-Unis et dans le monde. Douze ans après le krach de 2008, le système financier mondial est au bord d’un effondrement dévastateur.
Les méthodes mêmes utilisées pour stabiliser le système capitaliste en réponse à la crise financière de 2008 ont créé une bulle d’actifs massive et les conditions d’un nouveau krach. En réponse à la panique financière, qui a rendu toutes les grandes institutions financières insolvables, les gouvernements Bush et Obama ont transféré des centaines de milliards de dollars dans les bilans des banques. L’injection de plus de 4000 milliards de dollars en «assouplissement quantitatif» a suivi, apportant des années de taux d’intérêts à zéro.
Les banques centrales ont contré chaque baisse des marchés financiers par une nouvelle injection de fonds. Il est remarquable que, pas plus tard que la semaine dernière, la Réserve fédérale ait réagi à une chute antérieure de la valeur des actions en réduisant les taux d’intérêt de 0,5 pour cent supplémentaire.
Suite à l’injection de fonds publics sur les marchés financiers pendant une décennie, la valeur du Dow Jones a quadruplé.
Ce processus a été le mécanisme de la redistribution à la hausse de la richesse sociale vers l’oligarchie financière. Cependant, ce qui restait dissimulé pendant si longtemps – la relation tangentielle entre les évaluations du marché et la production réelle – se trouve mis à nu par la crise.
La très forte tendance à vendre a laissé présager d'une situation dans laquelle le marché boursier ne peut pas s’isoler d’une contraction massive de l’activité économique menacée par la pandémie, y compris la rupture potentielle des chaînes d’approvisionnement.
Personne ne sait si les marchés sont au plus bas ou près du plus bas. Mais comment faire un calcul raisonnable quand ce n’est pas possible de déterminer l’effet de l’urgence sanitaire sur la production économique générale? Que se passe-t-il lorsque des installations de production et de distribution entières sont contraintes de fermer? Comment Amazon ou d’autres grandes entreprises, ont-elles «anticipé» une telle situation?
Quels que soient les mouvements quotidiens du marché, dont chaque mouvement à la hausse sera sans doute proclamé comme un signe de reprise, la crise sociale s’intensifie.
Néanmoins, les causes fondamentales du très fort courant vendeur de lundi sont plus profondes que la pandémie mondiale. Cependant, l’effet de la maladie est déjà énorme. Si l’un ou l’autre des pires scénarios devait se réaliser, les conséquences en termes de vies humaines seraient absolument dévastatrices.
La réponse à la maladie aux États-Unis et dans tous les autres pays développés s’est caractérisée par la confusion, le manque de coordination et une absence totale de préparation.
Malgré la Silicon Valley et les universités les plus prestigieuses du monde, les États-Unis, le pays le plus riche au monde est incapable de réaliser les moindres tests qui permettraient de gérer la pandémie.
Partout dans le pays, les patients et les médecins cherchent désespérément à réaliser des tests, mais les fonctionnaires fédéraux leur refusent cette possibilité. Une récente enquête auprès des infirmières de la côte ouest a révélé que la plupart des hôpitaux n’avaient pas de plan précis pour isoler et traiter les patients atteints de coronavirus. On signale que les lieux de travail manquent même des produits d’hygiène les plus élémentaires pour lutter contre l’épidémie. Toutefois, on empêche les travailleurs en transit et les agents de bord de porter des équipements de protection au travail.
Le chaos est tel qu’on a mis le nouveau chef de cabinet de Trump en quarantaine après que ce dernier a eu contact avec un patient atteint de coronavirus. Cependant, la Maison Blanche n’a pas pu répondre à la question de savoir si le président lui-même, qui avait assisté à une conférence avec une personne infectée, s’est fait tester.
Les experts ont averti que si le nombre de cas continue à augmenter au rythme actuel, il dépassera rapidement le nombre de lits d’hôpitaux disponibles, ce qui entraînera une augmentation rapide de la mortalité de la maladie.
Des crises de cette ampleur provoquent de profonds changements dans les consciences. Comme l’a écrit Léon Trotsky, «les époques révolutionnaires, les époques de glissements sociaux, tournent tout l’intérieur de la société vers l’extérieur.» La société est témoin de l’échec d’une classe, d’un système de règles et de tout un ordre social.
Cette pandémie n’est que la plus visible d’une série d’événements – des réactions désastreuses aux ouragans Maria et Harvey, aux incendies de forêt en Californie et aux catastrophes entourant le Boeing 737 Max – qui ont mis en évidence l’incapacité de la société américaine à s’attaquer sérieusement aux grands problèmes sociaux.
Au cours de la dernière décennie, l’élite dirigeante oriente toute la vie économique et politique vers une implacable redistribution des richesses vers le haut. Mais la solution à tous les grands problèmes sociaux, des pandémies au changement climatique, exige que les ressources financières soient orientées vers la satisfaction des besoins sociaux.
La société est très différente après une crise majeure. Les formes de vie changent, les formes de relations sociales changent et les formes de gouvernement changent.
On a beaucoup parlé récemment de l’héritage de la révolution américaine, la classe dirigeante faisant tout ce qu’elle peut pour diffamer et calomnier les aspirations démocratiques qui y ont trouvé leur expression.
Mais il est utile de rappeler que le document même qui a fondé le pays commence par la phrase intemporelle suivante: «Lorsque dans le cours des événements humains […] Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir.»
Nous sommes maintenant au milieu d’un événement qui nécessite que les relations sociales et politiques qui dominaient la société auparavant soient modifiées.
Quelle que soit l’issue de cette crise, certaines choses sont déjà claires. Tous les problèmes de la société moderne se présentent comme des problèmes globaux qui touchent les masses. Les grands défis historiques auxquels la société doit faire face ne peuvent être résolus dans le cadre d’un ordre social fondé sur les États-nations et le principe de l’accumulation privée de la richesse.
Quelle que soit la manière dont la crise se déroulera dans la période à venir, elle a déjà délivré un puissant message mondial: le capitalisme doit disparaître. La société doit être organisée sur une base scientifique et rationnelle. En d’autres termes, la crise soulève comme une nécessité urgente la transformation socialiste de la société.
(Article paru d’abord en anglais 10 mars 2020)