Bernie Sanders a remporté le vote populaire dans les primaires présidentielles du New Hampshire et de l'Iowa en se présentant comme un opposant à la guerre. Après l'assassinat criminel du général iranien Qassem Soleimani le mois dernier, Sanders a été le candidat démocrate à la présidence qui critiqua le plus vigoureusement l'action de Trump. Ses sondages ont augmenté en même temps que sa rhétorique antiguerre renforcée.
Il a souligné à plusieurs reprises son vote contre l'invasion de l'Irak en 2003, rappelant aux électeurs lors du débat présidentiel de l'Iowa le mois dernier: «J'ai non seulement voté contre cette guerre, mais j'ai aussi contribué à mener l'effort contre cette guerre».
Toutefois, lorsqu'elle s'adresse au principal journal de la classe dirigeante américaine, le New York Times, la campagne de Sanders adopte un ton très différent de celui employé par le candidat lorsqu'il s'adresse au public dans des discours de campagne ou des interviews télévisées.
Les réponses fournies par la campagne de Sanders à une enquête sur la politique étrangère des candidats démocrates à la présidence publiée ce mois-ci par le Times donnent une image très différente de l'attitude du soi-disant «socialiste démocrate» face à l'impérialisme américain et à la guerre. Au cours de l'enquête, la campagne de Sanders s'efforce de rassurer l'establishment militaire/du renseignement et l'élite financière sur la loyauté du sénateur envers l'impérialisme américain et sur sa volonté de déployer sa machine militaire.
La réponse à la troisième question de l'enquête du Times est peut-être la plus significative et la plus effrayante.
Question: Envisageriez-vous de recourir à la force militaire pour prévenir un essai nucléaire ou de missile iranien ou nord-coréen?
Réponse: Oui.
Selon la campagne, la Maison-Blanche avec Sanders comme président, serait ouverte à l'idée de lancer une frappe militaire contre l'Iran ou la Corée du Nord dotée de l'arme nucléaire pour empêcher non pas une menace de frappe nucléaire ou de missile contre les États-Unis, mais un simple essai d'armes. Il s'agit d'une position à couper le souffle, non moins incendiaire que celles avancées par l'administration Trump.
Sanders risquerait une guerre qui pourrait facilement impliquer les grandes puissances et conduire à un cataclysme nucléaire afin de bloquer un essai d'armes par des pays qui ont été soumis à des sanctions américaines dévastatrices et à des provocations diplomatiques, économiques et militaires pendant des décennies.
En outre, comme le montre clairement la réponse de Sanders au Times, le candidat dit progressiste et antiguerre souscrit pleinement à la doctrine de la «guerre préventive» déclarée comme politique officielle des États-Unis en 2002 par l'administration de George W. Bush. Affirmation illégale de la guerre d'agression comme instrument de politique étrangère, cette doctrine viole les principes établis lors des procès de Nuremberg des responsables nazis après la Seconde Guerre mondiale, la charte des Nations unies et d'autres lois et conventions internationales sur la guerre. L'adhésion de Sanders à cette doctrine, sur les traces de l'administration Obama, montre que son opposition à la guerre en Irak était purement une question de tactique, et non une opposition de principe à la guerre impérialiste.
La question ci-dessus est précédée d'une autre qui évoque une réponse pleinement conforme à la politique de guerre de l'administration Obama, la première administration de deux mandats dans l'histoire des États-Unis à diriger une guerre ininterrompue.
Question: Considéreriez-vous la force militaire pour une intervention humanitaire?
Réponse: Oui.
Parmi les guerres criminelles menées par les États-Unis au nom de la défense des «droits de l'homme» figurent la guerre en Bosnie et le bombardement de la Serbie dans les années 1990, la guerre aérienne de 2011 contre la Libye qui s'est terminée par le lynchage du dirigeant déchu Mouammar Kadhafi, et la guerre civile en Syrie qui a été fomentée par Washington et menée par ses milices mandataires liées à Al-Qaïda.
Les prétextes humanitaires frauduleux de l'agression américaine n'étaient pas plus légitimes que le mensonge des «armes de destruction massive» utilisées lors de l'invasion néocoloniale de l'Irak. Le résultat de ces crimes de guerre a été la destruction de sociétés entières, la mort de millions de personnes et la dislocation de dizaines de millions d'autres, ainsi que la transformation du Moyen-Orient en une région contestée par les grandes puissances qui menace d'être le berceau d’une nouvelle guerre mondiale.
Sanders souscrit pleinement à cette doctrine de «guerre humanitaire» qui est particulièrement associée aux administrations démocrates.
En réponse à une question du Times sur l'assassinat de Soleimani, la campagne de Sanders qualifie l'action de Trump d'illégale, mais refuse de prendre une position de principe contre les assassinats ciblés en général et s'associe aux attaques contre Soleimani qui le qualifiaient de terroriste.
La réponse est la suivante:
Il est clair qu'il existe des preuves que Soleimani a été impliqué dans des actes de terreur. Il a également soutenu les attaques contre les troupes américaines en Irak. Mais la bonne question n'est pas «était-ce un méchant», mais plutôt «son assassinat rend-il les États-Unis plus sûrs?» La réponse est clairement non.
En d'autres termes, l'assassinat extrajudiciaire de personnes par le gouvernement américain est justifié s'il rend les États-Unis plus «sûrs». Il s'agit d'une approbation tacite de la politique d'assassinats par drones qui a été largement étendue sous l'administration Obama: une politique qui incluait le meurtre de citoyens américains.
À un autre moment, le Times pose la question:
Seriez-vous d'accord pour commencer à retirer les troupes américaines de la péninsule coréenne?
Sanders de répondre:
Non, pas immédiatement. Nous travaillerions en étroite collaboration avec nos partenaires sud-coréens pour avancer vers la paix dans la péninsule coréenne, ce qui est la seule façon de traiter en fin de compte la question nucléaire nord-coréenne.
Sanders soutient donc la présence continue de dizaines de milliers de soldats américains dans la péninsule coréenne, tout comme il soutient le déploiement de forces américaines de manière plus générale pour faire valoir les intérêts mondiaux de la classe dirigeante américaine.
En ce qui concerne Israël, Sanders appelle au maintien du niveau actuel de l'aide militaire et civile américaine et s'oppose au retour immédiat de l'ambassade américaine de Jérusalem à Tel-Aviv.
Sur la Russie, il soutient entièrement la campagne maccartiste anti-russe du Parti démocrate et se range derrière la base de droite de la campagne de destitution ratée des démocrates contre Trump:
Question: Si la Russie continue sur la même voie en Ukraine et dans d'autres anciens États soviétiques, les États-Unis doivent-ils la considérer comme un adversaire, voire un ennemi?
Réponse: Oui.
Question: La Russie devrait-elle être tenue de restituer la Crimée à l'Ukraine avant d'être autorisée à réintégrer le G-7?
Réponse: Oui.
Enfin, le Times demande à la campagne Sanders sa position sur la stratégie de sécurité nationale annoncée par l'administration Trump au début de 2018. La nouvelle doctrine déclare que l'axe de la stratégie étrangère et militaire américaine est passé de la «guerre contre le terrorisme» à la préparation de la guerre contre ses principaux rivaux, en nommant notamment la Russie et la Chine.
Dans l'échange suivant, Sanders accepte tacitement le cadre de conflit des grandes puissances de la stratégie de sécurité nationale, attaquant Trump de la droite pour ne pas avoir poursuivi agressivement le conflit avec la Russie et la Chine:
Question: La stratégie de sécurité nationale du président Trump appelle à déplacer l'accent de la politique étrangère américaine du Moyen-Orient et de l'Afghanistan vers ce qu'il appelle les superpuissances «révisionnistes», la Russie et la Chine. Êtes-vous d'accord? Et pourquoi?
Réponse: Malgré sa stratégie déclarée, l'administration Trump n'a jamais suivi une stratégie de sécurité nationale cohérente. En fait, Trump a aggravé les tensions au Moyen-Orient et nous a amenés au bord de la guerre avec l'Iran, a refusé de tenir la Russie responsable de son ingérence dans nos élections et de ses violations des droits de l'homme, n'a rien fait pour remédier à notre accord commercial injuste avec la Chine qui ne profite qu'aux riches entreprises, et a ignoré l'internement massif des Ouïgours par la Chine et sa répression brutale des manifestants à Hong Kong. Il est clair que Trump n'est pas un modèle de président à suivre. [C'est nous qui soulignons]
Dans une récente interview, Ro Khanna, membre démocrate du Congrès et coprésident national de la campagne Sanders, a assuré l'écrivain Uri Friedman que Sanders poursuivrait les opérations provocatrices de navigation de la «liberté des mers» dans le golfe Persique et la mer de Chine méridionale, tout en engageant l'administration Sanders à «maintenir une certaine présence [des troupes]» sur la multitude de bases qui parsèment les pays «alliés», du Japon à l'Allemagne.
Des millions de travailleurs, d'étudiants et de jeunes sont actuellement attirés par Sanders parce qu'ils en sont venus à s'opposer aux vastes inégalités sociales, à la brutalité et au militarisme de la société américaine et à associer à juste titre ces maux au capitalisme. Cependant, ils apprendront bientôt par une expérience amère que l'opposition de Sanders à la «classe des milliardaires» n'est pas plus réelle que sa prétendue opposition à la guerre. Sa politique étrangère est impérialiste de bout en bout, en accord avec la politique agressive et militariste du Parti démocrate et de l'administration Obama.
Les désaccords entre les démocrates et Trump en matière de politique étrangère, bien qu'acerbes, sont tactiques. Les deux partis partagent l'orientation stratégique consistant à affirmer l'hégémonie mondiale des États-Unis, avant tout par la force des armes.
Peu importe les belles paroles de Sanders sur l'inégalité, il est impossible de s'opposer aux déprédations de la classe dirigeante au pays tout en soutenant le pillage et l’oppression à l'étranger.
Sanders n'est pas plus un apôtre de la paix qu'il n'est un représentant de la classe ouvrière. Tant en politique étrangère qu'intérieure, il est un instrument de la classe dirigeante pour canaliser le mouvement croissant de la classe ouvrière et de l'opposition au capitalisme derrière le Parti démocrate et le système bipartite de la domination capitaliste aux États-Unis.
(Article paru en anglais le 14 février 2020)