Un enregistrement audio a été publié mardi, dans lequel le candidat démocrate milliardaire à la présidence Michael Bloomberg se vante du fait que la politique du stop-and-frisk [fouille au corps en pleine rue] qu'il a défendue en tant que maire de New York ait délibérément ciblé les jeunes des minorités.
Dans ses commentaires ouvertement racistes, faits devant un auditoire de collègues oligarques à l'Aspen Institute en 2015, Bloomberg déclare que «quatre-vingt-quinze pour cent» des meurtriers sont des jeunes hommes issus de minorités.
«Vous pouvez simplement prendre une description, la photocopier et la distribuer à tous les flics... C'est vrai à New York, c'est vrai dans pratiquement toutes les villes», dit-il. Pour faire baisser le taux de criminalité, il est donc nécessaire, conclut Bloomberg, de «mettre beaucoup de flics là où se trouve le crime, c'est-à-dire dans les quartiers où vivent les minorités.»
Il ajoute que la meilleure façon de «retirer les armes des mains des jeunes» est de «les jeter contre un mur et de les fouiller».
Ces remarques ne sont guère différentes des vues fascisantes du président Donald Trump, qui a conseillé à la police de ne pas être «trop gentille avec les suspects lors de leur arrestation.
La tactique de stop-and-frisk permet aux agents du département de police de New York d'arrêter toute personne dans la rue sans qu'elle ne soit soupçonnée d'un crime, de la fouiller et de l'interroger à la vue du public. Sous la direction de Bloomberg, les policiers en patrouille opéraient comme des gangs armés itinérants, qui ont agressé des millions de New-Yorkais de la classe ouvrière, ciblant principalement des hommes noirs et hispaniques simplement parce qu'ils marchaient dans la rue.
Pendant le mandat de Bloomberg, le nombre de ces stop-and-frisk est passé de 92.000 en 2002 à un pic de 685.724 en 2011. Au total, il y a eu plus de cinq millions d'interpellations de ce type pendant son mandat, qui s'est terminé en 2013. Bien qu'à un niveau très réduit, en réponse aux protestations populaires contre la politique et les poursuites judiciaires intentées au nom des victimes par l'ACLU (American Civil Liberties Union), ces fouilles au corps se poursuivent sous le maire démocrate Bill de Blasio.
La réponse immédiate d'un certain nombre d'élus démocrates afro-américains à la révélation des propos racistes de Bloomberg n'a pas été de lui demander de se retirer de la course à la Maison Blanche, mais plutôt de soutenir l'ancien républicain et indépendant et de le promouvoir comme le seul candidat démocrate capable de battre le président Donald Trump en novembre.
Mercredi, Bloomberg a annoncé avoir reçu le soutien de trois membres du caucus noir du Congrès: Lucy McBath, membre du Congrès de Géorgie, Gregory Meeks, membre du Congrès de New York, et Stacey Plaskett, déléguée des îles Vierges américaines. Ce vote a été précédé par l'appui du membre du Congrès de l'Illinois Bobby Rush, ancien membre des Black Panthers, qui avait soutenu la sénatrice californienne Kamala Harris jusqu'à ce qu'elle eût abandonne la course en décembre.
Meeks, le président du Parti démocrate du comté de Queens, co-présidera le Conseil national de direction de Mike for Black America et dirigera les efforts de la campagne de Bloomberg pour gagner les votes des Afro-Américains. «Pour la communauté afro-américaine, c'est deux choses: un, battre Trump, et deux, le progrès et le succès – qu'en effet nous admirons les gens qui réussissent», a déclaré Meeks à City & State. Meeks a ajouté que bien qu'il n'ait pas «aimé les mots qui sont sortis» de l'enregistrement audio qui a fait l'objet d'une fuite, il a été rassuré par les récentes excuses de Bloomberg concernant le stop-and-frisk.
Le soutien de McBath fait suite à un don de 4,5 millions de dollars de Everytown, un groupe de pression pour le contrôle des armes à feu créé par Bloomberg, lors de sa candidature au Congrès en 2018. Mme Plaskett a noté dans son soutien que Bloomberg avait donné généreusement aux îles Vierges américaines ces dernières années et elle a promis que sa présidence apporterait «la création de richesse aux communautés de couleur».
Outre les représentants du Congrès, un nombre croissant de maires afro-américains, actuels et anciens, ont jeté leur dévolu sur Bloomberg, notamment Muriel Bowser (Washington, D.C.), Sylvester Turner (Houston), Michael Nutter (Philadelphie), London Breed (San Francisco), Wellington Webb (Denver), Michael Tubbs (Stockton), Lovely Warren (Rochester) et Frank Scott (Little Rock).
L'appui d'éminents politiciens afro-américains a déjà eu l'effet escompté. Le dernier sondage Quinnipiac montre que Bloomberg s'est hissé à la deuxième place parmi les électeurs noirs aux primaires démocrates, avec 22 % de soutien par rapport aux 27 % de Joe Biden, bien qu'il ne soit pas encore apparu dans un débat.
Qu'est-ce qui explique que ces démocrates se rallient à un candidat alors même qu'il est démasqué pour avoir des opinions racistes ? Tout autre candidat surpris à tenir des propos aussi clairement racistes serait probablement exclu de la course et aucune excuse ne suffirait à sauver sa campagne.
Si ces personnalités prétendent parler au nom de la «communauté noire», elles représentent en fait la classe moyenne supérieure aisée, qui n'a aucune empathie pour la classe ouvrière et les pauvres, noirs ou blancs, et qui est au mieux indifférente aux abus dont les travailleurs et les jeunes des minorités sont victimes aux mains de la police.
Ambitieux, égocentriques et dépourvus de principes, ils admirent et envient Bloomberg et ses collègues oligarques. Déterminés à conserver les richesses qu'ils ont accumulées en défendant le système capitaliste et son aristocratie au pouvoir, et craignant le potentiel de révolte d'en bas, ils soutiennent plus ou moins ouvertement l'idée de jeter la jeunesse ouvrière pauvre «contre un mur».
Comment faire autrement pour remédier aux injustices et aux inégalités criantes dans des villes comme New York, où des niveaux de richesse obscènes côtoient une pauvreté extrême, et assurer la sécurité et le confort des «gens qui réussissent» comme eux ?
Illustrant les vues de cette couche anciennement libérale, l'historien Henry Louis Gates Jr., de Harvard, a déclaré au New York Times Magazine au début du mois qu'il pensait que Bloomberg «pouvait tenir tête à Donald Trump, le plus fortement et le plus longtemps». Notant qu'il assiste à un dîner avec Bloomberg chaque été sur l'île de Martha's Vineyard, une des résidences d'été les plus prisées de la jet set, Gates a déclaré: «Je pense que les Noirs veulent [Bloomberg], parce qu'il est intelligent, sensible, fort.»
«Si vous voulez qu'un démocrate gagne, il doit savoir se battre comme un républicain», a déclaré Joy Ann Reid, présentatrice de MSNBC, mardi, en présentant l'affiliation politique passée de Bloomberg comme une marque positive de son parcours. «C'est bel et bien un républicain, ou il l'était en tout cas.»
Conscients de ses poches bien remplies criminellement (Bloomberg a une valeur nette estimée à 61 milliards de dollars), les démocrates se contentent de balayer son bilan sous le tapis. Il a donné des millions aux campagnes du Congrès démocrate en 2018, a distribué des subventions à des villes et a fait des dons généreux aux organisations caritatives et aux églises locales afin d'acheter une base de soutien.
Jusqu'à présent, dans le cadre de ce cycle, Bloomberg, qui ne reçoit pas de dons individuels, a investi plus de 300 millions de dollars de son propre argent dans sa campagne. Les participants aux événements de sa campagne reçoivent gratuitement du vin et des canapés, et les employés de bas niveau de la campagne touchent 6000 dollars par mois, soit près du double de ce que paient les campagnes d'Elizabeth Warren, de Bernie Sanders et de Pete Buttigieg.
La crise croissante au sein du Parti démocrate concernant la popularité de Sanders, qui se dit «démocrate socialiste» et s'attaque à la «classe des milliardaires», promet un régime d'assurance maladie pour tous, et qui a remporté le vote populaire dans l'Iowa et le New Hampshire, ainsi que la chute libre de la campagne de Biden, ont poussé de nombreux démocrates fortunés dans le camp de Bloomberg. Si Klobuchar et Buttigieg ont tous deux été présentés dans les médias comme des choix «modérés» face à Sanders, ils n'ont pas le poids financier de Bloomberg.
Philip Levine, ancien maire de Miami Beach, en Floride, et principal soutien de Bloomberg, a déclaré au Wall Street Journal que les donateurs cherchent des moyens d'aider la campagne et que les élus demandent des conseils sur la manière de «retirer avec tact» leur soutien à Biden et de se rallier à Bloomberg.
Le Parti démocrate, férocement anti-socialiste et capitaliste jusqu'à l'os, voit en Bloomberg le «grand espoir riche» qui peut les sauver d'une désignation de Sanders et supprimer une vague croissante de sentiment socialiste, qui trouve une première expression limitée dans la campagne du sénateur du Vermont. Parmi eux, on trouve des responsables démocrates afro-américains, tout comme leurs homologues blancs.
Tout comme les questions de classe fondamentales rassemblent les travailleurs de toutes les ethnies et nationalités dans une lutte commune contre le capitalisme international, les intérêts de classe communs s'unissent, malgré la promotion implacable de la politique raciale et de genre comme arme pour diviser la classe ouvrière, les riches bénéficiaires de l'appauvrissement des travailleurs.
De plus, Le stop-and-frisk que Bloomberg a employé en tant que maire de l'une des villes les plus inégalitaires du monde est considérée comme un outil essentiel pour réprimer la vague croissante d'opposition sociale et de lutte des classes aux États-Unis.
(Article paru en anglais le 14 février 2020)