Italie: les partis au pouvoir battent la Lega d'extrême-droite aux élections en Émilie-Romagne

Lors des élections régionales dans la province italienne d'Emilie-Romagne, dimanche, la candidate du parti d'extrême droite Lega (Ligue), Lucia Borgonzoni, a été, avec 43,6 %, clairement battue par l'ancien président régional des Démocrates (PD), Stefano Bonaccini, qui a obtenu 51,4 % des voix.

Le chef de la Ligue, Matteo Salvini, s'est personnellement engagé massivement dans la campagne électorale, déclarant que le vote était crucial pour l'Italie. Une victoire électorale dans la région de Bologne, dirigée depuis 75 ans par le Parti communiste et ses successeurs, devait être le prélude au renversement du gouvernement à Rome et à la tenue de nouvelles élections. « D'abord, nous les renverrons chez eux dimanche, puis nous chasserons le gouvernement », avait promis Salvini. Lundi, il allait « exiger des élections anticipées ».

Cela a échoué pour l'instant, mais la montée des extrémistes de droite n'a pas été stoppée, contrairement à ce que prétendent de nombreux commentaires des médias. La durée de vie du gouvernement chancelant de Rome sera peut-être prolongée de quelques semaines ou mois, mais la politique des deux partis au pouvoir - le Mouvement des cinq étoiles (M5S) et les Démocrates (PD) - sont la principale raison de la montée de l'extrême droite et continueront à la renforcer.

Lorsque Salvini a pris la direction de la ‘Lega Nord’ en 2013, c'était un parti régional séparatiste qui s'était discrédité dans plusieurs gouvernements en tant que partenaire junior du magnat des médias Silvio Berlusconi, et qui n'avait réussi à remporter que 4 % aux élections législatives. Les gouvernements technocrates et de centre-gauche qui ont gouverné depuis avec le soutien des Démocrates ont provoqué un désastre social sans précédent, réduisant les pensions, diminuant les salaires et poussant le chômage à des niveaux records en Europe.

Salvini a su en tirer le meilleur parti. Il a fait de la Ligue un parti national pour faire appel à la colère et à la frustration des électeurs grâce à une démagogie chauvine et xénophobe.

Sa percée s'est finalement faite avec l'aide du Mouvement cinq étoiles ( M5S) de l'humoriste Beppe Grillo, devenu le parti le plus fort aux élections législatives de 2018 avec 33 % des voix. Le M5S, qui avait gagné du soutien par ses attaques féroces contre l'establishment politique, a formé une coalition avec le plus à droite de tous les partis de l'establishment et a nommé Salvini ministre de l'Intérieur. Bien que la Ligue ait deux fois moins de députés que le M5S, Salvini s'est rapidement avéré l’homme fort du gouvernement. Alors que les sondages de la Ligue doublaient, ceux du M5S diminuaient de moitié.

L'été dernier, Salvini a quitté le gouvernement dans l'espoir que de nouvelles élections feraient de la Ligue le premier parti. Mais sa manœuvre a échoué car le M5S, craignant de nouvelles élections, a uni ses forces à celles des Démocrates, qu'ils avaient précédemment décrits comme leurs pires ennemis.

Depuis lors, Salvini a bénéficié de la politique anti-ouvrière du gouvernement M5S/Démocrates. Sur les dix élections régionales organisées depuis mars 2018, la Ligue et ses alliés de droite en ont remporté neuf. En Calabre, où des élections ont également eu lieu ce week-end, le candidat de droite soutenu par la Ligue, Jole Santelli, a battu le précédent président régional du PD par 55 contre 30 %.

Dans les sondages nationaux, la Ligue est en tête avec 33 % des voix, devant les démocrates (18%) et le M5S (15 %). En quatrième position, avec plus de 10 %, se trouve un autre parti d'extrême droite, les Fratelli d'Italia, qui professe ouvertement son soutien au fascisme.

Les démocrates doivent leur succès électoral en Émilie-Romagne principalement au mouvement des Sardines, qui a mobilisé des dizaines de milliers de personnes pour protester contre Salvini en faisant appel aux sentiments et aux traditions antifascistes. En conséquence, le taux de participation est passé dans cette élection de 38 % en 2014 à 68 % au profit du candidat de centre-gauche. Le chef du PD, Nicola Zingaretti, a expressément remercié les Sardines pour leur contribution à la victoire électorale.

Le partenaire de coalition du PD à Rome, le M5S, a cependant connu une débâcle. Alors qu'il avait obtenu un peu moins de 33 % des voix aux élections législatives d'il y a deux ans, il est tombé sous la barre des 5 % aux élections du parlement régional d'Émilie-Romagne. En Calabre aussi, il n'a obtenu que 6 % des voix.

Le parti s'effondre. Luigi di Maio, actuellement encore ministre des affaires étrangères, a démissionné de la présidence du M5S quatre jours les élections. Beppe Grillo, qui tire toujours les ficelles, a annoncé un congrès qui décidera de la suite des activités du parti en mars, après les élections régionales dans les Marches, les Pouilles et en Campanie. À ce moment-là au plus tard, le gouvernement actuel pourrait vivre ses derniers jours dans des circonstances très avantageuses pour Salvini.

Dans une déclaration publiée sur Facebook après les élections, les Sardines ont célébré le résultat des élections en Emilie-Romagne comme un grand succès. « Aujourd'hui, nous savons que nous pouvons être non seulement ‘contre’, mais aussi ‘meilleurs’ », ont-ils écrit, « et nous pouvons le faire par d'autres moyens que les propagandistes professionnels: libres, humains, créatifs et empathiques ». Selon ce mouvement, l'expérience de l'Emilie-Romagne montrait que les sardines agissaient comme de l'oxygène.

En fait, les sardines ne sont rien d'autre qu'une feuille de vigne pour la politique anti-ouvrière des Démocrates, qui ouvre la voie à la droite et aux fascistes. L'indignation suscitée par les tirades fascistes de Salvini, qui ont amené beaucoup de monde aux manifestations des Sardines, est sans aucun doute authentique. Mais les Sardines conduisent cette indignation dans une impasse politique.

Le mouvement refuse explicitement de faire appel à la colère et au mécontentement de la classe ouvrière qui s'engage dans de farouches luttes de classe dans le monde entier. Dans leurs annonces, il n'y a pas un mot sur les inégalités sociales, le militarisme ou l'augmentation des pouvoirs répressifs de l'État. Ils plaident plutôt pour une forme de politique plus civilisée, basée sur les institutions de l'État plutôt que sur des pitreries de réseaux sociaux; pour « une politique avec moins de cris », comme l'a dit un manifestant.

De tels appels à la placidité, à l'humanité et à la raison ne peuvent pas arrêter l'avancée de l’extrême droite, qui se produit non seulement en Italie mais dans le monde entier. La classe dirigeante recourt à nouveau aux moyens de la dictature, du fascisme et de la guerre, sans quoi elle ne peut pas supprimer les énormes tensions sociales et les conflits internationaux de la société capitaliste. Seul un mouvement de la classe ouvrière internationale qui unit la lutte contre le fascisme et la guerre à un programme socialiste visant à renverser le capitalisme peut arrêter cette dangereuse évolution.

(Article paru en anglais le 29 janvier 2020)

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