Mercredi, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes ont manifesté en une 8e journée d’action nationale contre la réforme des retraites de Macron. La colère monte toujours, même après que les travailleurs SNCF et RATP, asphyxiés financièrement par le manque d’aide des appareils syndicaux, aient dû mettre fin à six semaines de grève.
Les cortèges étaient vastes, même si les chiffres fournis par la police et les syndicats indiquaient un léger repli vis-à-vis des manifestations du 24 janvier. Selon les syndicats, il y avait 35.000 manifestants à Toulouse, 10.000 à Bordeaux et 7.000 au Havre. La police n’en a compté que 3.500 à Lyon et 4.500 à Marseille. A Paris, la police a arrêté 13 manifestants dans un cortège qui comptait 180.000 personnes selon les syndicats.
Sur fond d’une résurgence mondiale des luttes ouvrières, dont des manifestations en Irak, en Algérie et à travers l’Amérique latine, et des grèves d’enseignants et de mineurs aux États-Unis, les grèves s’étendent en France. Trois incinérateurs en Île-de-France, les bateaux de la ligne La Méridionale qui relient Marseille à la Corse, et les égoutiers ont tous fait grève hier.
La caractéristique marquante de ces manifestations est le gouffre de classe qui sépare les ouvriers des appareils syndicaux et de leurs alliés politiques petit-bourgeois, comme La France insoumise. Les travailleurs disent qu’il n’y a rien à négocier avec le gouvernement Macron, et que la seule voie pour aller de l’avant est de le faire chuter.
Les syndicats, par contre, négocient l’austérité avec Macron. Alors qu’ils paient des sommes de misère aux grévistes (€20 par gréviste RATP par la CGT pour six semaines de grève), ils se mettent autour d’une table avec Macron pour discuter de la casse des retraites.
Philippe Martinez, le dirigeant de la CGT, a dit hier qu’il rejoindrait la négociation lancée entre le gouvernement et la CFDT pro-macronienne.
«C'est très compliqué de savoir comment ça va se passer» cette conférence, a cyniquement déclaré Martinez, qui négociera avec la CFDT et Edouard Philippe au Conseil économique, social et environnemental (CESE). «On a juste rendez-vous jeudi au CESE. Comment ça va se passer, qui sera là ? On n'en sait rien.»
Martinez a prétendu que la CGT négocierait avec Macron pour «expliquer comment améliorer [le] système actuel» et proposer «une hausse des salaires» et «plus de cotisations» pour les retraites.
C’est une fraude visant à masquer la traîtrise de l’appareil cégétiste, qui coordonne sa politique avec Macron. Il n’est pas difficile de comprendre ce qui se passera au CESE.
Philippe et la CFDT ont proposé cette conférence pour casser la dynamique de grève. Ils refuseront toute imposition sérieuse des patrimoines croissants des multimilliardaires français. LRM et la CFDT discuteront du budget national avec la CGT, diront qu’il manque des crédits, et concluront qu’il faut se résigner à adopter l’une ou l’autre version de la réforme de Macron.
Quant à l’appel de Martinez à Macron pour augmenter salaires et retraites, il est absurde. Il pourrait tout aussi bien proposer à Macron de distribuer gratis champagne et caviar à tous les grévistes. Macron et Philippe s’y opposeraient automatiquement, car ils visent à appauvrir les travailleurs, et Martinez est sans doute suffisamment avisé pour ne pas le leur proposer à huis clos au CESE.
La colère et l’incompréhension des travailleurs face aux manœuvres cyniques des syndicats et de la pseudo-gauche a fait éruption hier: des manifestants ont confronté Mélenchon. Un lui a dit qu’il devrait sortir soutenir les grévistes, après quoi Eric Coquerel a dit que Mélechon était «partout.» Quand le manifestant a dit qu’il ne voyait Mélenchon que «sur les plateaux de télévision» et a demandé si LFI était solidaire des grévistes, Mélenchon lui a dit «Va voir ta mère» et a pris la fuite.
Ces événements soulignent l’importance des appels du Parti de l’égalité socialiste et du WSWS à former des comités d’action, de la base, pour faire chuter Macron. Il faut avertir les travailleurs que les syndicats se préparent à saboter et à trahir les grèves contre Macron. Ils doivent consciemment agir pour ôter aux appareils syndicaux le contrôle des luttes et faire entrer de plus larges sections des travailleurs en France et à l’international dans la lutte.
Alain, un «gilet jaune» et conducteur d’autocar à la retraite a dit au WSWS à la manifestation hier, que la réforme de Macron est «le vol au peuple», avec des réductions de centaines d’euros mensuels, voire plus. Il a ajouté: «Maintenant, les syndiqués de base commencent à comprendre comment tournent les syndicats. Et c’est pas joli, joli. Les dirigeants des syndicats sont de mèche avec le gouvernement. Ils mangent à la même gamelle qu’eux. Le pire, c’est la CFDT. Mais la CGT, c’est pareil et les autres, probablement pareils.»
Alain a ajouté que même si les travailleurs manifestaient «dans tous les pays contre ce nouvel ordre mondial», en France «on devrait être beaucoup plus nombreux dans la rue … Ce gouvernement n’aurait pas duré longtemps.»
Salim, un travailleur RATP, a dit qu’il avait dû reprendre le travail à cause des pressions financières. Il a dit qu’il n’y a rien à négocier avec Macron et qu’il suit les luttes ouvrières au Moyen Orient et à l’international. «Partout, les fruits du travail, les gens qui les récoltent c’est les patrons ou le grand patronat.»
Quand le WSWS a observé que les €20 payés par la CGT aux grévistes RATP relevait de l’insulte, Salim a répondu: «Tout à fait, on est d’accord.» Il a ajouté que le RATP retient illégalement le supplément de famille pour forcer les travailleurs à reprendre le travail.
Hier matin, les nouvelles se répandaient sur l’affrontement mardi entre les CRS et les pompiers mobilisés contre la réforme de Macron. Les tensions sont vives depuis qu’un CRS a éborgné un pompier d’un tir de LBD à l’automne, et des milliers de pompiers sont arrivés à Paris en tenues d’intervention qui offrent une bonne protection contre les lacrymogènes. Des accrochages avec les CRS ont éclaté quand les pompiers ont essayé d’arriver aux boulevards périphériques pour manifester.
Des vidéos montrent comment les pompiers ont encaissé une charge de CRS, rompu la ligne des forces de l’ordre, et poursuivi les CRS en déroute en chantant l’appel aux armes de la Marseillaise. Les CRS ont ensuite déployé des barrières en métal montées sur camion pour stopper l’avancée des pompiers. Ils l’ont protégée en lançant des grenades de désencerclement et des jets de canon à eau, puis ont illégalement frappé un pompier, qui s’était hissé sur le canon à eau, d’un tir de LBD à la tête.
Les pompiers ont pu désarticuler la barrière, l’ouvrir et défier les CRS qu’ils ont traités de «traîtres à la nation française» et de «collabos» pour avoir obéi aux ordres répressifs de Macron.
Créés juridiquement pendant la 2e Guerre mondiale, en décembre 1944, après la chute du régime collaborationniste de Vichy, les CRS étaient au départ simplement un nouveau nom donné aux Groupements mobiles de réserve (GMR) vichystes existants. Le régime gaulliste changeait leur nom afin de faire oublier leur rôle dans la traque des Résistants aux côtés des SS nazis. Ceci a produit le célèbre slogan, d’abord utilisé en 1947 lors de grèves de mineurs puis lors de la grève générale de Mai 68: «CRS=SS.»
La préfecture de Paris a publié une déclaration pour dénoncer les «exactions» qu’aurait commises les pompiers. 160 CRS auraient été blessés mardi en affrontant les pompiers, certains par des explosifs aux jambes, peut-être des grenades de désencerclement que les pompiers leur auraient renvoyés.
A nouveau les syndicats agissent pour diviser et étrangler la lutte. Quand le gouvernement a annoncé qu’il offrirait des garanties que certaines dispositions de la réforme ne s’appliqueraient pas aux pompiers, les syndicats de pompiers ont fait savoir qu’ils mettraient fin à la grève.