Plus d’un millier de Maliens ont manifesté lundi place de l’Indépendance dans la capitale, Bamako, pour exiger le retrait des troupes françaises qui occupent le pays depuis 2013. La colère explose contre le carnage produit par l’ingérence française et contre le mensonge officiel qui y a servi de prétexte: que la France mènerait une guerre mondiale contre des réseaux terroristes djihadistes qui menacent de conquérir le Mali.
Alors qu’une grève de masse éclate contre Macron et que le sentiment antiguerre monte parmi les «gilets jaunes» en France, et que la mobilisation continue contre la dictature militaire algérienne, les conditions objectives émergent pour une lutte internationale des travailleurs contre les guerres néocolonialistes de la France et de ses alliés en Afrique.
Les manifestants à Bamako brandissaient des affiches «France dégage», et scandaient des slogans dont «La France dehors», «A bas la France» ou «Barkhane doit partir», du nom de la force armée française qui intervient au Mali.
De nombreux manifestants soulignaient que leur colère se dirige non pas contre les Français mais contre la politique extérieure de l’impérialisme français. «Ce n’est pas contre le peuple français que nous sommes en colère, mais contre la politique de son Etat», a dit un manifestant au Monde, alors que la colère monte aussi en France contre Macron.
De même, une manifestante a déclaré: «Que la France puisse retirer son armée de nos terres. C’est pourquoi le peuple malien est là, c’est pourquoi "l’amazone" que je suis est là.»
Une autre revendication était de surmonter les rivalités entre Touaregs, Dogons, Peuls et autres ethnies sur lesquelles jouent les forces d’occupation françaises et leurs supplétifs allemands. Une manifestante a appelé à organiser une marche sur Kidal, ville touarègue du nord qui est au centre des opérations militaires françaises: «Prochainement, nous devons marcher sur Kidal, dans les jours à venir. S’il n’y a pas d’amélioration, il n’y aura pas de changement. Nous allons marcher sur Kidal. Même si tout le monde, tout le Mali mourra, nous allons marcher sur Kidal.»
Un manifestant a pointé les connivences entre Paris et les milices islamistes ou ethniques qui sévissent au Mali: «Malgré cette présence massive des plus grandes armées du monde, les groupes terroristes continuent à sévir et montent même en puissance. Il faut donc se méfier de ces pyromanes nocturnes qui, dès le lever du jour, se transforment subitement en pompiers. Ces puissances étrangères utilisent le terrorisme pour contrôler les immenses richesses de la région.»
Une vaste colère monte au Mali contre l’occupation française, suite à la guerre de l’OTAN en Libye où Paris a détruit le régime de Gaddafi avec l’aide de milices djihadistes. La France a ensuite envahi le Mali en 2013, soi-disant pour protéger les Maliens de milices djihadistes venues de Libye. En 2020, 80 pour cent des Maliens critiquent la présence française selon un sondage pour Maliweb.
La mobilisation à Bamako fait suite à un nombre de grèves et de manifestations contre l’ingérence française et le pantin néocolonial malien, le président Ibrahim Boubacar Keïta. Enseignants et cheminots maliens ont fait grève en 2019 car Paris et Keïta, qui dépensent des centaines de millions d’euros sur la guerre, ne payaient pas leurs salaires. Et après plusieurs manifestations à Bamako et ailleurs en 2019, une autre manifestation contre l’ingérence française s’est organisée le 3 janvier dans le Cercle de Bandiagara, au centre du Mali.
Ces manifestations ont bravé les dénonciations calomnieuses de Macron et de Keïta, qui accusent les opposants de l’occupation française du Mali, c’est-à-dire la vaste majorité de la population malienne, de faire le jeu d’Al Qaeda ou des réseaux liés à l’État islamique.
Le 31 décembre, en présentant ses vœux pour le Nouvel an, Keïta s’est dit «convaincu» que les Maliens éprouvaient majoritairement un «sentiment de gratitude» envers les troupes d’occupation française: «Cela ne saurait être confondu avec une minorité d'activistes, de francs-tireurs ou de forces centrifuges qui cherchent à faire feu de tout bois, y compris le jeu des terroristes.»
Ces calomnies ne font que renforcer le mépris qui ressentent les Maliens pour Keïta et le régime néocolonial à Bamako. Un manifestant à Bamako a confié à la presse française: «Le président ne peut pas être clair. Tous les présidents africains, c'est la France qui les élit. Ils sont à la merci de la France.»
Alors même que la colère monte contre sa présidence et contre cette guerre parmi les grévistes en France, Macron dénonce l’opposition à la guerre au Mali, qu’il traitait d’ «antifrançaise». Il a dit, «Je ne peux, ni ne veux, avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit, alors même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements antifrançais, parfois portée par des responsables politiques.»
Entre-temps, Macron intensifie la guerre au Mali au mépris de l’opinion au Mali comme en France. Le 13, il a tenu un sommet à Pau avec les pays du «G5 Sahel» (Niger, Tchad, Mauritanie, Burkina Faso, Mali) et annoncé l’envoi de 220 troupes françaises de plus en Afrique. Paris avait convoqué cette conférence, selon Le Monde, «pour obtenir une ‘clarification’ des pays de la région après des accusations d’ingérence et de visées néocolonialistes.»
Convoqués à Pau, les cinq pays du Sahel ont signé une honteuse déclaration néocoloniale couvrant l’ingérence française rejetée par les travailleurs et les masses opprimées du Sahel. Dans cette déclaration, ils ont «exprimé le souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel». Ils ont également «exprimé leur reconnaissance à l’égard de l’appui crucial apporté par les Etats-Unis et ont exprimé le souhait de sa continuité».
De nombreuses questions politiques restent à clarifier afin de construire une vraie lutte contre les guerres néocoloniales euro-américaines en Afrique. Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance, parti lié au Nouveau parti anticapitaliste (NPA) petit-bourgeois en France et qui a salué l’ingérence française en 2013, a rejoint la manifestation lundi ainsi que le Rassemblement pour le Mali (RPM) de Keïta. Le Groupe des Patriotes du Mali (GPM), dont des membres appellent à une intervention militaire russe au Mali, avait organisé le rassemblement.
Mais il est impossible de lutter contre l’impérialisme et contre la guerre en passant des appels à un ou autre régime capitaliste.
Les meilleurs alliés des Maliens en lutte contre l’occupation de leur pays par la France, aidée par l’Allemagne et les États-Unis, sont les travailleurs européens et américains en lutte contre les guerres et les politiques réactionnaires de leurs propres gouvernements. Une large opposition se développe parmi ces travailleurs aux guerres néocoloniales que mènent les puissances impérialistes depuis de longues décennies en Afrique et au Moyen-Orient.
«C'est toujours les mêmes qui dirigent partout et c'est les mêmes qui font les mêmes dégâts partout. Quand on discute avec un Malien qui nous parle de Total et de Bolloré, on se rend compte que l'on a tous le même ennemi, les mêmes parasites, enfin les mêmes qui essayent de détruire toutes les nations», a déclaré au WSWS un ouvrier qui manifestait contre Macron ce week-end à Paris.
De pareils commentaires soulignent la nécessité de construire consciemment un mouvement antiguerre dans la classe ouvrière internationale, pour mettre fin aux guerres au Mali et dans toute l’Afrique et le Moyen-Orient.