Des dizaines de millions de travailleurs, de jeunes et de travailleurs ruraux à travers l'Inde participent mercredi à la grève générale d'une journée organisée par dix fédérations centrales du travail.
Ils le font pour exprimer leur opposition déterminée au gouvernement du Parti Bharatiya Janata (BJP) dirigé par Narendra Modi, à ses politiques «pro-investisseur» (coupes radicales dans les dépenses sociales, privatisation, promotion des emplois à contrat de brève durée et des réductions massives de l'impôt sur les sociétés) et sa promotion systématique de la réaction suprémaciste hindoue.
Les grandes entreprises et les médias porte-paroles de ces entreprises ont salué la réélection de Modi en mai dernier, affirmant dans le but d'intimider toute l'opposition populaire qu'il avait remporté un mandat sans précédent et avait changé de façon irréversible la politique indienne. Pourtant, à peine sept mois plus tard, son gouvernement est secoué par l'éruption d'une opposition de masse.
Au cours du mois dernier, des millions de personnes sont descendues dans la rue, souvent au mépris de la répression violente d'État, pour s'opposer à la loi antimusulmane réformant la citoyenneté du BJP et à ses plans d'utiliser le registre national des citoyens pour harceler et intimider la minorité musulmane. Les manifestations contre la loi se sont étendues à toutes les régions du pays, traversant les divisions de caste et ethnolinguistiques que l'élite indienne cultive depuis longtemps afin de diviser la classe ouvrière.
Cette recrudescence de masse fait partie d'une explosion de la lutte des classes qui a balayé le monde. L’année 2019 a été marquée par des grèves et des manifestations de masse soutenues contre l'austérité capitaliste, les inégalités sociales endémiques et la répression d'État dans le monde, de l'Équateur, du Chili et du Mexique aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne, en Algérie, au Soudan, au Liban, en Iran et à Hong Kong.
Mais les travailleurs et les jeunes doivent se méfier. Les syndicats qui ont appelé à la grève sont des organisations procapitalistes, entièrement redevables à l'élite dirigeante de l'Inde. Leur fonction principale est de contenir, de désamorcer et de réprimer systématiquement la lutte des classes.
Ils n’ont pas organisé la grève de mercredi dans le cadre de la lutte pour mobiliser la classe ouvrière en tant que force politique indépendante pour renverser le gouvernement Modi et l'ordre social capitaliste néfaste dont il est le produit. Leur objectif est plutôt de canaliser l'opposition de masse naissante face à Modi et à ses politiques néolibérales et communautaristes derrière le Parti du Congrès, favorable aux entreprises, un éventail de partis ethnochauvins et de castes comme le DMK et l'État indien.
C'est certainement le cas de la plus grande organisation syndicale participant à la grève, le Congrès national des syndicats indiens (CNSI). Le CNSI est l'adjonction syndicale du Parti du Congrès – jusqu'à récemment le parti gouvernemental préféré de la bourgeoisie indienne, et le parti qui, jusqu'en 2014, a dirigé la campagne de l'élite dirigeante pour faire de l'Inde un havre de main-d'œuvre bon marché pour le capital mondial et forger un «partenariat stratégique mondial» avec l'impérialisme américain.
Mais il en va de même pour les partis parlementaires staliniens qui assurent la direction politique de la grève – le Parti communiste indien (marxiste) ou CPM, et le Parti communiste indien (CPI) – et leurs affiliés syndicaux respectifs, le Center of Indian Trade (CITU) et le Congrès des syndicats de l'Inde (AITUC).
Comme les syndicats plus ouvertement de droite, le CITU, l'AITUC et les partis staliniens ont abandonné sans appel les 13 travailleurs de Maruti Suzuki emprisonnés à vie, faussement accusés du «crime» d’avoir mené une lutte militante contre les emplois précaires à contrat et un régime de travail brutal.
Le rôle du CPM et du CPI en tant que partis de l'establishment capitaliste est incarné par leur rôle dans l'accession au pouvoir et le maintien en fonction d'une succession de gouvernements de droite proaméricains, dirigés pour la plupart par le Parti du Congrès, entre 1989 et 2008, et leur soutien à l’immense militarisation qu’effectue l'élite dirigeante indienne et à son conflit militaro-stratégique réactionnaire avec le Pakistan doté d'armes nucléaires. Dans les États où ils ont exercé leurs fonctions au cours des trois dernières décennies, au Bengale occidental, au Kerala et à Tripura, les staliniens ont mis en œuvre ce qu'ils appellent eux-mêmes des politiques «pro-investisseurs».
Aujourd'hui, dans des conditions où la bourgeoisie rompt manifestement avec les formes démocratiques et constitutionnelles de gouvernement, les staliniens redoublent d'efforts pour enchaîner la classe ouvrière aux partis et institutions putrides de l'État indien.
Une fois de plus, le CPM et le CPI font la promotion du Parti du Congrès en tant qu'allié des travailleurs dans la défense de la «démocratie» et de la «laïcité». Peu importe que le Congrès ait un dossier notoire et de plus en plus long de complicité avec la droite hindoue et de piétinement des droits démocratiques.
Cédant au consensus des entreprises indiennes et des établissements de sécurité militaire, le Congrès a rapidement abandonné son «opposition» au coup d'État constitutionnel de Modi contre le Cachemire le 5 août. En novembre, dans une action soutenue par le CPM, le Congrès a assuré l'arrivée au pouvoir dans le Maharashtra, deuxième État le plus peuplé du pays, d'un gouvernement de coalition dirigé par le parti chauvin Mahratta et suprémaciste hindou Shiv Sena, depuis longtemps le plus proche allié du BJP.
Modi et le gouvernement du BJP ne sont pas tombés du ciel. En mettant en œuvre des «réformes» pro-investisseurs socialement incendiaires et en intégrant l'Inde dans les plans de guerre anti-Chine de Washington, ils n'ont fait que poursuivre le chemin tracé par les précédents gouvernements dirigés par le Parti du Congrès.
Craignant que sa «fenêtre d'opportunité» pour transformer l'Inde en une «grande puissance» se ferme rapidement, la bourgeoisie indienne s'est tournée vers Modi avec le pari que le BJP peut lui fournir le «gouvernement fort» nécessaire pour intensifier considérablement l'exploitation des travailleurs et affirmer ses intérêts prédateurs sur la scène mondiale.
Le gouvernement Modi est l'expression indienne d'un phénomène mondial. Le capitalisme mondial, embourbé dans sa crise la plus grave depuis les années 1930, vomit la réaction. Sous l'impulsion des États-Unis, les puissances impérialistes se réarment rapidement. Partout, l'élite dirigeante se précipite vers la droite, alimentant les divisions nationales-ethniques et communautaristes et se tournant vers des formes de pouvoir autoritaires.
Non seulement Trump à l'esprit fasciste, mais l'opposition officielle néonazie de l'AfD au parlement allemand et le président promilitaire brésilien d'extrême droite, Jair Bolsonaro, répudient les normes démocratiques bourgeoises. Il en va de même des partisans, en apparence, du libéralisme comme Emmanuel Macron. Le président français s'est engagé à réhabiliter le collaborateur nazi de Vichy, le maréchal Pétain, et a ordonné à plusieurs reprises la répression violente de l'opposition sociale afin d'imposer des coupes sociales massives et de relancer un militarisme français agressif.
Modi et le BJP sont de vils ennemis des travailleurs. Mais l'affirmation selon laquelle les travailleurs indiens peuvent vaincre la réaction et défendre les droits démocratiques en s'accrochant aux queues des partis de la bourgeoisie et en faisant confiance aux institutions «démocratiques» moribondes de l'État indien – des institutions qui répriment régulièrement et violemment les luttes des travailleurs et ont comploté dans la perpétration et la dissimulation d'une atrocité communautariste après l’autre – est un mensonge monstrueux.
En effet, si la droite suprémaciste hindoue a pu devenir une telle menace, c'est parce que les staliniens ont rendu fertile le terrain sur lequel la réaction pourrait se développer, en réprimant systématiquement la lutte des classes. Parce qu’on a empêché la classe ouvrière d'amener sa propre solution socialiste à la crise sociale, le BJP a pu exploiter de manière démagogique la colère populaire face à l'impact désastreux des politiques néolibérales menées par les différents gouvernements «laïcs» soutenus par les staliniens.
La seule stratégie viable pour défendre les droits démocratiques et vaincre la réaction ethnique et fasciste en Inde et dans le monde est basée sur la lutte de classe internationale et la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre l'ordre capitaliste en faillite.
La classe ouvrière indienne doit se constituer en force politique indépendante en opposition à la bourgeoisie et à tous ses représentants politiques. Elle doit se définir comme un détachement de la classe ouvrière internationale et adopter un programme internationaliste socialiste en opposition au capital mondial, c'est-à-dire en opposition aux sociétés transnationales qui parcourent le monde pour les meilleurs rendements pour les investisseurs et aux cliques nationales de capitalistes qui se disputent les marchés, les profits, les ressources, et les bassins de main-d'œuvre à exploiter par la guerre commerciale, les intrigues, l'agression et la guerre.
La lutte pour unir les travailleurs indiens contre les divisions sectaires et de caste doit aller de pair avec la lutte pour unir leurs luttes avec les travailleurs du monde entier. Un élément clé d'une telle lutte doit être la construction d'un mouvement mondial antiguerre dirigé par la classe ouvrière, en opposition à l'impérialisme et au système de partition en État-nations communautaires en Asie du Sud et au conflit réactionnaire indo-pakistanais interétatique auquel il a donné naissance.
Cela nécessite la construction de nouvelles organisations de lutte de la classe ouvrière, à travers une rupture organisationnelle et politique avec les syndicats procapitalistes et les partis staliniens – des comités d'action sur le lieu de travail et, surtout, un parti ouvrier révolutionnaire, pour mener la lutte pour mobiliser politiquement la classe ouvrière et rallier derrière elle tous les travailleurs dans la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan engagé dans des politiques socialistes.
Un tel parti ne peut être construit qu'en tant que section du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), le parti mondial fondé par Léon Trotsky en 1938 en opposition à la trahison stalinienne de la révolution russe d'octobre 1917 et au programme internationaliste du socialisme mondial qui l'avait animé.
Nous exhortons tous les travailleurs et les jeunes indiens qui veulent s'engager dans la lutte pour le socialisme, en opposition à la réaction capitaliste, au communautarisme et à la guerre, à contacter immédiatement le World Socialist Web Site et le CIQI.
(Article paru en anglais le 8 janvier 2020)