Réunis en assemblée générale hier sur le parvis de la gare d'Amiens, plus de trois cents cheminots ont voté la reconduction de leur grève à une écrasante majorité. Il y a eu deux votes contre et quatre abstentions. Des travailleurs, des étudiants, des enseignants et des Gilets jaunes étaient venus apporter leur soutien aux cheminots en lutte contre Macron.
Les grévistes ont célébré le fait que déjà leur lutte a duré plus longtemps que la grève mythique de 1995. Ils ont exprimé leur mépris envers ceux qui avaient dit qu'ils tomberaient dans le piège de la trève de Noël. Ils étaient unanimement décidés à ne pas mettre fin à la grève avant le retrait de la réforme de Macron qui met en place un système à points et allonge l'âge de départ à 64 ans. Ainsi une épreuve de force est engagée entre les travailleurs et le gouvernement Macron.
Des militants du Parti de l'égalité socialiste (PES) ont distribué le tract De Cavaignac à de Villiers: la lutte des classes et les leçons de l’histoire.
Comme dans toutes les assemblées générales et manifestations dans le mouvement de grève contre Macron, une nette démarcation de classe séparait les travailleurs des dirigeants syndicaux. Alors que les travailleurs veulent engager une lutte politique contre Macron et se méfient de plus en plus des bureaucraties syndicales, les syndicalistes proposent d’arranger simplement le retrait de la réforme puis de négocier avec ce président réactionnaire.
La question d’organiser les luttes indépendamment des appareils syndicaux, comme l’avaient fait les «gilets jaunes» sur les réseaux sociaux, se pose de plus en plus. La seule stratégie viable pour défendre les retraites et les niveaux de vie est de lutter pour faire chuter Macron.
Sophie, une conductrice d'autocar, a dit au WSWS: «Le droit des directions syndicales à décider d'arrêter le mouvement pose problème. Il y a peut-être une question d'argent entre le gouvernement et les directions des syndicats. Après il reste les petites personnes qui sont au plus bas de l'échelle comme le mouvement des ‘gilets jaunes,’ et ils ont montré qu'on peut mener de grandes choses sans passer par les syndicats.»
Elle a exprimé ses doutes quant à la possibilité d’arriver à un accord acceptable avec Macron: «Une chose est claire, ce sont les petites gens comme nous qui peuvent faire bouger les choses. Je ne sais pas où ça va mener aujourd'hui mais il faut résister à tout ce que le gouvernement veut nous imposer. C'est pour notre avenir. C'est tellement difficile aujourd'hui de travailler, je ne sais même pas s'il y aura une retraite, cela semble si compliqué. Il faut continuer et résister jusqu'au bout.»
Sophie a ajouté que «la lutte ici fait partie d'un mouvement à l'échelle internationale. Je veux dire à tous ces jeunes et ces travailleurs de continuer, de se mobiliser, de revendiquer leurs droits et de tenir jusqu'au bout.»
Les syndicalistes qui encadraient la réunion et se sont exprimés avant le vote donnaient autant que possible un vernis de «gauche» aux manœuvres des dirigeants syndicaux et à leurs négociations avec Macron. Les représentants de SUD-Rail, de la CGT, de FO et de l’UNSA ont incité l’AG à renconduire la grève et proposé de poursuivre le mouvement jusqu’au retrait de la réforme. Un membre de l’UNSA a rapporté que la direction de l’UNSA avait été mise en minorité par des syndicalistes qui refusaient la trêve de Noël qu’elle leur proposait.
Un représentant de SUD-Rail a dit au WSWS que les travailleurs devraient faire confiance aux négociations des syndicats avec le gouvernement Macron: «Le mot d'ordre est d'aller jusqu'au retrait de la retraite à points. C'est un rapport de force, on peut faire reculer Macron, puis négocier pour l'amélioration du système actuel.»
Un cégétiste a pris la parole pour promouvoir les droits négociés à la fin de la 2e Guerre mondiale par le Conseil national de la Résistance (CNR) qui regroupait gaullistes, social-démocrates et staliniens. La CGT et le PCF stalinien ont dissous les comités d’usine, intégré les maquis résistants dans l’armée régulière et étranglé une révolution contre le régime fasciste de Vichy. En échange, ils ont obtenu l’approbation des gaullistes et des social-démocrates pour créer un système de retraites, de santé et d’allocations familiales: la Sécurité sociale.
Le représentant de la CGT a déclaré: «Que veut faire ce gouvernement? C'est diviser la sécurité sociale pour mieux la vendre. Et quand vous voyez dans les services hospitaliers ce qui se passe, quand vous voyez les attaques au niveau de nos retraites et ce qui se passe ... dites-vous une chose: le but c'est de lancer au privé toutes nos caisses de retraite, la mutualisation conventionnelle qui a été acquise par le Conseil national de la Résistance.»
Il a ajouté, «Ils veulent se foutre ce qu'on appelle le bien commun dans leur poche ...Alors luttons avec les cheminots et luttons tous, que l'on soit du privé, du public. Il en va de notre avenir et de l'avenir de nos enfants.»
Mais après des décennies de mondialisation capitaliste, de guerres impérialistes et de cadeaux fiscaux aux milliardaires, la bourgeoisie européenne n’a plus les ressources pour des pareils programmes. Les dernières grandes augmentations issues d’une lutte en France – les Accords de Grenelle, qui ont servi de prétexte à la CGT pour trahir la grève générale de Mai 1968 et bloquer une prise du pouvoir par les travailleurs – datent d’il y a plus d’un demi-siècle. A présent la seule voie pour aller de l’avant est une lutte des travailleurs à travers l’Europe pour prendre le pouvoir.
Un militant du PES a rappelé la grève de 1995 que lui-même avait faite lorsqu'il était enseignant. Le premier ministre Alain Juppé, profondément affaibli par la grève, a réagi en appelant les syndicats à négocier.
Il a rappelé que des travailleurs avaient demandé aux syndicats «de ne pas y aller mais de faire tomber le gouvernement Juppé.» Faire chuter Macron, a-t-il ajouté, «c'est précisément ce que l'on doit faire aujourd'hui. Il a rappelé qu’en 1995 parmi les enseignants «on savait que c'était une grève par procuration, que les cheminots représentaient toute la classe ouvrière. Les syndicats enseignants avaient refusé mais on s'était mis en grève quand même au lycée. On est descendu dans la rue rejoindre votre piquet de grève.»
Il a demandé si quelqu'un pensait sérieusement que Macron cesserait d'attaquer la classe ouvrière. Il a dit que le PES appelait à à créer des comités d'action indépendants des syndicats et à lutter pour faire chuter le gouvernement Macron.
Une caisse de solidarité a été mise en place pour soutenir les cheminots en grève.