Le 18 décembre, des reporters du World Socialist Web Site (WSWS) ont discuté de la situation actuelle en France avec des travailleurs de l'usine principale de Daimler à Sindelfingen, Stuttgart. Les travailleurs français ont mené une grève au cours des trois dernières semaines contre le gouvernement dirigé par le président Manuel Macron, qui prévoit de réformer radicalement le système de retraite du pays.
Les mobilisations ont été largement ignorées par les médias en Allemagne, et les travailleurs interrogés à la sortie de l’usine étaient peu au courant au sujet des grèves. Ce qu'ils savaient, cependant, les a incités à soutenir sans réserve les manifestations.
Les reporters du WSWS ont distribué la perspective «Où va le mouvement de grève en France» et ont expliqué que l'action des travailleurs français était un développement crucial pour relancer la lutte de classe mondiale. L'article déclare: «la résurgence des luttes des classes démontre que les travailleurs sont la force révolutionnaire décisive, et qu’une lutte révolutionnaire pour le socialisme est en germe.»
Les travailleurs de l'industrie automobile mondiale feront face à d'énormes défis l'année prochaine. Audi et Daimler à eux seuls ont récemment annoncé la suppression de 20.000 emplois. Des fournisseurs de pièces automobiles tels que Bosch, ZF, Continental et Mahle ont annoncé la mise à pied de plus de 10.000 travailleurs, et ce n'est que le début. S'appuyant sur le soutien des syndicats du pays, les constructeurs automobiles et les fournisseurs prévoient des attaques sans précédent contre les travailleurs visant à anéantir les acquis obtenus par la lutte dans le passé.
Vingt-cinq mille travailleurs travaillent dans l'usine de Sindelfingen, située à 25 kilomètres du siège social de Daimler à Stuttgart. L'usine produit actuellement des modèles de classe S et E, le modèle T et la variante tout-terrain, ainsi que des véhicules Mercedes-AMG GT. Daimler prévoit d'intégrer Sindelfingen dans son réseau mondial de production de véhicules électriques. À l'avenir, la société prévoit de produire des véhicules électriques haut de gamme et de luxe dans le cadre de son réseau de production mondial.
Les travailleurs sont incertains de leur avenir après l'annonce de la suppression de 10.000 emplois. Ils se rendent compte de plus en plus que le syndicat IG Metall représente exclusivement les intérêts de la direction en matière de passage à la voiture électrique et à la numérisation. Lors de la dernière réunion du personnel à l'usine, début décembre, le président du comité d'entreprise, Ergun Lümali, a non seulement déclaré son soutien explicite aux suppressions d'emplois prévues, mais il a également indiqué que de nouvelles suppressions d'emplois étaient inévitables. Les comités d'entreprise feraient tout pour «accompagner les gens dans ce grand processus de transformation», a déclaré Lümali.
Son message était essentiellement que les travailleurs devraient compter sur la gentillesse de la direction et de l'IG Metall pour garantir leur avenir. M. Lümali a poursuivi: «Mais cela ne réussira que si l'entreprise poursuit l'électro-mobilité dans l'esprit de Daimler et Benz et que nous assurons les employés et l'emploi avec des accords d'entreprise réalistes à l'avenir.»
Les discussions du WSWS avec les travailleurs ont donné une idée de l'opposition croissante à ces promesses galvaudées et creuses de la part du syndicat, et de la recherche des travailleurs d'alternatives.
De nombreux travailleurs ont exprimé leurs craintes pour l'avenir, prenant le tracte et déclarant brièvement leur accord. «Les choses doivent également changer en Allemagne. Je m’y engagerais immédiatement si deux millions de personnes descendaient dans les rues ici», était un commentaire typique.
Achim travaille chez Daimler depuis plus de 30 ans et a critiqué le fait qu'il n'y ait pas de couverture détaillée dans les médias allemands des grèves en France. Les grèves sont la seule arme qui puisse arrêter les plans du gouvernement français, a-t-il déclaré. L'ambiance parmi les travailleurs de l'usine est un mélange de peur et de colère.
«Depuis l'annonce du licenciement de 10.000 travailleurs, tout le monde dans l'usine est préoccupé par l'avenir», a-t-il déclaré. «Ce que la direction et les syndicats disent n'est pas crédible. Il existe de nombreuses rumeurs qui circulent, et dans le passé, de telles rumeurs se sont toujours concrétisées. On nous dit que l'année prochaine, seulement la moitié des voitures que nous produirons seront vendues. Si tel est le cas, d'autres licenciements sont inévitables.»
Il n’accorde aucune confiance à la garantie d'emploi jusqu’en 2029, qui a été saluée par IG Metall: «Je ne le crois pas. Ils trouveront les moyens de faire passer les licenciements. Achim veut que les travailleurs organisent des grèves ici, comme en France. «Je rejoindrais la grève sans hésitation.»
Thomas travaille actuellement comme ingénieur chez Daimler, ayant débuté comme apprenti il y a 38 ans. Il a indiqué que la situation à son poste de travail était très mauvaise. «[Il y a] très peu de travailleurs [et ils] ont une charge de travail énorme, ce qui implique beaucoup d'heures supplémentaires.» Pour faire face à la charge de travail, son service avait besoin de plusieurs autres travailleurs. La direction de l'entreprise et IG Metall refuseraient d'embaucher plus de personnel, citant le programme d’économie des coûts qu'ils ont conclu.
«J'ai commencé comme apprenti et j'ai connu une vie raisonnablement agréable. J'espère pouvoir prendre ma retraite anticipée », a-t-il déclaré. Il pouvait se le permettre. «Mais je ne pense pas que la jeune génération aura une vie comme la mienne.» Il devient de plus en plus difficile pour les jeunes de trouver un emploi décent. «Si vous en obtenez un, le paie ne suffit pas et vous devez avoir un deuxième travail, et là encore, vous avez des problèmes pour boucler les fins du mois.»
Thomas soutenait totalement le mouvement de grève en France et le considérait comme une action courageuse contre la réforme des retraites touchant des millions de personnes. En Allemagne, il pense qu'une grève nationale comme celle de France serait difficile, car les syndicats ne peuvent pas appeler à une grève nationale pour des raisons légales. «Même si c'était possible», a-t-il dit. «Ils ne le feraient pas. J'ai une longue expérience avec IG Metall.» Le syndicat ne demanderait jamais volontairement une grève. «Mais votre suggestion de former des comités d’usine indépendants du syndicat serait une alternative», a-t-il dit. «Les choses ne resteront pas les mêmes pour toujours, le changement est en marche.»
Un délégué syndical qui a souhaité rester anonyme a déclaré que les grèves des travailleurs français étaient la bonne chose à faire. Les pensions de retraite diminuaient à travers l'Europe et les réformes prévues par le gouvernement français visaient à abaisser les pensions en France en dessous de la norme européenne. «Une grève est le seul moyen de la combattre», a-t-il déclaré. Interrogé sur l’unité des travailleurs européens, il a répondu qu'il accueillerait favorablement une telle évolution.
Il était cependant sceptique quant à savoir si les travailleurs allemands étaient prêts à prendre une telle mesure. Les reporters du WSWS ont souligné que les syndicats étaient le principal obstacle empêchant les travailleurs de s'unir au-delà des frontières nationales. C'est pourquoi la première étape devrait être une rupture avec les syndicats. Le délégué syndical a répondu qu'il connaissait le WSWS et son bulletin des travailleurs de l'automobile depuis un certain temps et qu'il ne s'opposerait pas à ce que les travailleurs rompent avec les syndicats et forment leurs propres comités indépendants.
De nombreux travailleurs ont souligné qu'ils participeraient immédiatement s'il y avait des grèves et des manifestations comme celles en France, et presque personne ne croyait IG Metall susceptible d’organiser de telles actions. Les travailleurs voient de plus en plus le syndicat comme faisant partie du problème et non plus comme une solution.
En même temps, ils semblaient attendre que quelqu'un donne un signal pour commencer. Le WSWS et le Parti de l’égalité socialiste (SGP), qui fournit quotidiennement une perspective aux travailleurs du monde entier, feront tout ce qu'ils peuvent pour soutenir la création de tels comités d'action indépendants dans les usines et faciliter l'unité internationale des travailleurs. Mais ni le WSWS ni le SGP ne peuvent se substituer aux travailleurs. La libération de la classe ouvrière doit être l'œuvre de la classe elle-même, comme eurent écrit Karl Marx et Friedrich Engels.
Certains travailleurs doivent prendre les devants. Le temps est venu. Contactez-nous pour entreprendre les premières étapes de la lutte pour la défense des emplois, des salaires et des conditions de travail et de vie.
(Article paru en anglais le 27 décembre 2019)