Les mesures d'austérité dévastatrices annoncées par le gouvernement du Parti conservateur uni (UCP) de l'Alberta dans son budget d'octobre aggraveront la misère sociale déjà répandue dans la province la plus riche du Canada.
Les grandes sociétés pétrolières se frottent les mains en prévision des milliards de bénéfices supplémentaires qu'elles récolteront grâce à la réduction du taux d'imposition des sociétés de 12 à 8% au cours des quatre prochaines années. Mais pour les travailleurs, le budget de l'UCP se traduira par des coupes générales dans la fonction publique, une augmentation des frais et taxes, des suppressions d'emplois et une nouvelle augmentation de la pauvreté et de l'itinérance.
Présenté par le premier ministre albertain Jason Kenney comme un «rééquilibrage» modeste des dépenses publiques, le plan d'austérité du gouvernement conservateur réduira de plus de 10% les dépenses provinciales en termes réels par habitant d'ici 2023.
L'enseignement postsecondaire devrait être le plus durement touché, le gouvernement réduisant le budget du ministère de l'Enseignement supérieur de 5% en dollars non indexés, c'est-à-dire avant que l'inflation et la croissance démographique ne soient prises en compte, cette année seulement. À l'avenir, les étudiants des collèges et universités seront confrontés à la fois aux fortes hausses des frais de scolarité – le budget a autorisé des hausses annuelles de 7% par an pour les trois prochaines années – et aux coupes massives dans l'aide aux étudiants.
Conformément aux dispositions du budget, le gouvernement de l'UCP a depuis annoncé qu'il supprimerait entre 6400 et 7400 emplois dans le secteur public d'ici 2023, par le biais de coupures de services, d'une augmentation de la charge de travail et de la sous-traitance. Il a brandi la menace de suppressions d'emplois encore plus marquées, à moins que les 180.000 enseignants, employés des conseils scolaires, infirmières, employés des hôpitaux et fonctionnaires de la province acceptent des baisses de salaire comprises entre 2,5 et 5%.
Les suppressions d'emplois comprendront l'élimination de 750 postes d'infirmières de première ligne à temps partiel et à temps plein, bien que Kenney ait affirmé lors de la campagne électorale du printemps dernier que les plans de l'UCP d'éliminer le déficit budgétaire provincial annuel dans les quatre ans n'auraient aucune incidence sur les postes de soins de santé de première ligne.
Le gouvernement de l'UCP prévoit également de supprimer des centaines de postes d'enseignants de la maternelle à la 12e année, d'instructeurs universitaires, de travailleurs municipaux et de fonctionnaires provinciaux, y compris ceux qui travaillent sur les programmes d'efficacité énergétique et d'innovation.
En appuyant ces compressions, Kenney a déclaré: «Lorsque les Albertains qui travaillent dur voient leurs revenus diminuer et luttent pour joindre les deux bouts, ils doivent faire face à leurs réalités fiscales – et les gouvernements aussi.»
Ceci n'est qu’un tissu de mensonges. Alors que Kenney insiste sur la nécessité pour les «Albertains qui travaillent fort» de se serrer la ceinture, son gouvernement offre des milliards de dollars à l'élite des entreprises déjà fabuleusement riche. Des rapports du Parkland Institute d'Edmonton et du Narwhal montrent que les cinq principales sociétés pétrolières de l'Alberta (Suncor Energy, CNRL, Cenovus, Imperial Oil et Husky Energy) ont enregistré un bénéfice record de 46,6 milliards de dollars en 2017 et un montant similaire en 2018. De plus, leurs marges bénéficiaires dépassent de loin celles de la plupart des autres entreprises.
Selon Statistique Canada, un homme sur cinq de moins de 25 ans en âge de travailler en Alberta est au chômage. Le chômage à Calgary, le centre de l'industrie pétrolière et gazière, a atteint 7,6%, ce qui est nettement supérieur à la moyenne nationale d'environ 5,8%. Pendant ce temps, les salaires des dirigeants des compagnies pétrolières continuent de monter. En 2018, Steven Williams, le PDG maintenant à la retraite de Suncor, a affiché un revenu annuel de 14,5 millions de dollars, tandis que le PDG de Cenovus a encaissé 6,6 millions de dollars et celui de CNRL a récolté 10,6 millions de dollars.
Plus de la moitié des suppressions d'emplois de l'UCP – entre 3900 et 4900 postes – concerneront les soins de santé. Les estimations du gouvernement concernant la réduction des emplois indiquent que les réductions comprendront:
· 2500 emplois dans la fonction publique, dont ceux des ministères de l'agriculture et des forêts, de l'environnement, de la santé, des transports et des services sociaux et communautaires et de Service Alberta.
· 2000 à 3000 emplois dans les services de santé de l'Alberta (AHS), l'agence pouvant désormais sous-traiter les travaux de blanchisserie et de restauration, la «reconfiguration des services» dans les petits établissements et la fermeture des lits de soins actifs lorsque de nouveaux lits de soins de longue durée ouvrent.
· 400 emplois d'infirmière auxiliaire alors que l'AHS fait des «gains d'efficacité», sous-traitant potentiellement plus d'infirmières à domicile.
Les United Nurses of Alberta ont reçu une lettre disant que l'AHS cherchait également à supprimer 500 postes d'infirmière à plein temps et d'infirmière psychiatrique, d'abord par attrition.
Avant même que le plein impact de la campagne d'austérité de Kenney ne prenne effet, les conditions sociales de la classe ouvrière de l'Alberta sont déjà au point de rupture. L'insolvabilité personnelle a augmenté de 15% au cours de la dernière année, selon la CBC. Le Calgary Counselling Centre, qui fournit un soutien psychologique, émotionnel et social, devrait répondre à un nombre record de demandes d'aide d'ici la fin de 2019. Le PDG de l'organisation, le Dr Robbie Babins-Wagner, a déclaré que les demandes d'aide avaient augmenté de 25% au cours des quatre premières années après la crise économique de 2008. Elle a en outre expliqué: «Si nous estimons quelle sera cette augmentation d'ici la fin de 2019, ce sera une augmentation d'environ 40% des demandes de service. C'est vraiment frappant et donne une bonne idée du besoin.»
Dans la capitale de l'Alberta, Edmonton, où le chômage est légèrement inférieur à celui de Calgary, il y a en moyenne 11 tentatives de suicide par jour. Plus tôt ce mois-ci, un vétéran des Forces armées canadiennes, Ken Chan, âgé de 62 ans, s’est enlevé la vie devant l'Assemblée législative de l'Alberta. Le beau-fils de Chan a dit qu'il avait eu du mal à trouver du soutien pour faire face à ses problèmes de santé mentale, y compris peut-être le SSPT, dont il souffrait après avoir passé 25 ans au service de l'impérialisme canadien dans son agression et ses guerres.
L'Alberta est également ravagée par une épidémie d'opioïdes: un nombre stupéfiant de 1000 décès par an est attribué à la dépendance aux opioïdes. Dans le cadre des mesures d'austérité de l'UCP, les gouvernements municipaux de l'Alberta verront leur financement provincial fortement réduit.
Parmi de nombreux autres impacts, cela limitera le montant d'argent dépensé pour fournir un soutien aux sans-abri.
Il y a actuellement environ 660 sans-abri chroniques qui vivent dans des refuges ou dorment dans les rues d'Edmonton. Cependant, ce chiffre sous-estime largement l'ampleur de la crise des sans-abri, car il ne comprend pas les sans-abri dormant dans des camps mobiles ou ceux qui trouvent un refuge temporaire chez des parents et des amis.
Les compressions sauvages de Kenney démentent les prétentions de son gouvernement de défendre «l'Alberta» et les «intérêts occidentaux». La réalité est que les «intérêts occidentaux» sont un euphémisme pour les demandes de profits insatiables des grandes entreprises de l'Alberta, qui exigent une intensification des attaques contre la classe ouvrière pour augmenter les paiements aux actionnaires et renforcer leur position «compétitive» sur le marché mondial. Si Kenney parvient à ses fins et que le programme fédéral de péréquation est radicalement réduit, cela aura un impact dévastateur sur les services publics et sociaux à l'échelle nationale et sera utilisé par la classe dirigeante à travers le pays pour pousser à la privatisation et aux soins de santé à deux vitesses.
La fraude de l'UCP de Kenney pour défendre les «intérêts occidentaux» est légitimée par le gouvernement libéral fédéral soutenu par les syndicats. Il a déclaré que l'un de ses principaux objectifs au cours de son deuxième mandat est de renforcer «l'unité nationale» en parvenant à un «terrain d'entente» avec les gouvernements de droite de l'Alberta et de la Saskatchewan.
Les néo-démocrates, qui ont appuyé les libéraux de Trudeau lors du premier vote de confiance du nouveau Parlement au début du mois, continuent néanmoins de promouvoir la mascarade d'une alliance «progressiste» regroupant les sociaux-démocrates du Canada, les libéraux et les syndicats.
Les syndicats ont répondu à l'attaque de la guerre des classes de l'UCP par des avertissements timides de troubles sociaux. Les dirigeants de six syndicats affiliés à la Fédération du travail de l'Alberta ont déclaré lors d'une réunion publique à Edmonton au début du mois, à laquelle environ 300 travailleurs ont assisté, qu'une «grève générale» est envisagée.
Tout ceci n'est que de la poudre aux yeux. Les syndicats ont montré à maintes reprises, notamment grâce à leur étroite collaboration avec la campagne d'austérité du gouvernement néo-démocrate de l'Alberta en 2015-19, qu'ils n'avaient pas l'intention de mener une opposition populaire face à l'assaut de l'élite dirigeante sur les services publics, les emplois et les conditions de travail. Comme l'a déclaré le président de l'AFL, Gil McGowan, à propos de la demande de grève générale, «le gouvernement serait irresponsable de ne pas tenir compte de cet avertissement».
La rhétorique militante des bureaucrates syndicaux est un effort pour maintenir la colère croissante contre le gouvernement de l'UCP sous le contrôle des syndicats et un appel à Kenney et à l'élite dirigeante pour qu’ils utilisent les services des syndicats pour imposer les coupes. Leur crainte est que les conditions sociales misérables qui touchent des couches de plus en plus larges de la classe ouvrière, et l'aliénation croissante de l'ensemble de l'establishment politique, pourraient se traduire par une radicalisation politique des travailleurs qui ne remettrait pas seulement en question la campagne d'austérité de Kenney, mais l’appui que lui accorde le gouvernement fédéral Trudeau et le système de profit capitaliste dans son ensemble.
(Article paru en anglais le 23 décembre 2019)
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