Jeudi, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que l'ancien vice-premier ministre régional catalan et chef de la Gauche républicaine catalane (ERC), Oriol Junqueras, bénéficiait de l'immunité parlementaire depuis son élection au Parlement européen en juin dernier. M. Junqueras s'est présenté aux élections en étant en prison, où il est détenu depuis la répression policière du référendum pacifique sur l'indépendance de la Catalogne en 2017.
M. Junqueras a remporté 1,7 million de voix et un siège au Parlement européen, après que la Commission électorale espagnole lui eut permis de se présenter aux élections européennes de 2019. Cependant, il était en détention préventive et faisait face à des accusations frauduleuses de rébellion, de sédition et de détournement de fonds publics. La Cour suprême espagnole lui a donc refusé l'autorisation de quitter la prison pour assister à la cérémonie de prestation de serment, demandant à la CJUE de déterminer si les immunités prévues à l'article 9 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne s'appliquaient à son cas.
L'arrêt de jeudi a conclu que Junqueras bénéficie de l'immunité depuis le moment de son élection, ce qui montre clairement que Madrid a violé le droit européen en continuant à le détenir. Il déclare: «Le but de cette immunité est de permettre à ces personnes de […] voyager et de participer à la session inaugurale du Parlement européen nouvellement élu.»
Les fonctionnaires espagnols avaient fait valoir qu'un député européen ne bénéficierait de l'immunité parlementaire qu'une fois la prestation de serment faite.
Néanmoins, l'UE a donné son accord au procès-spectacle de Junqueras, organisé par le gouvernement minoritaire du Parti socialiste (PSOE), soutenu par le parti de pseudo-gauche Podemos, et impliquant la participation du parti fasciste Vox.
Afin de se soustraire à cette décision très attendue de la CJUE, la Cour suprême espagnole a accéléré le simulacre de procès afin que la décision soit présentée avant la décision de la CJUE. Elle a condamné Junqueras et huit autres prisonniers politiques à des peines de prison allant de 9 à 13 ans, provoquant ainsi des protestations de masse en Catalogne. Junqueras lui-même a été reconnu coupable de sédition et de détournement de fonds publics et condamné à 13 ans de prison.
Le gouvernement du PSOE n'a cependant donné aucune indication après l'arrêt de la CJUE qu'il allait libérer Junqueras. Samedi, la vice-première ministre par intérim du PSOE, Carmen Calvo, a déclaré que «les décisions de justice doivent être respectées et exécutées [...] quelle que soit la décision, cette décision aussi, qui lie également notre Cour suprême.» Elle n'a pas dit quand ou si Junqueras serait libéré.
Podemos, dont le secrétaire général, Pablo Iglesias, s'est engagé à être «loyal» envers le PSOE dans les «affaires d'État», est pratiquement resté silencieux sur cette décision. Iglesias a publié un Tweet ambigu critiquant la «judiciarisation du conflit politique catalan» qui «a supprimé une résolution [du conflit] et a nui à l'image de notre système [de justice].» En approuvant la répression actuelle menée par le PSOE en Catalogne, Iglesias a ajouté: «Une nouvelle étape de dialogue est maintenant apparue... pour avancer vers la réconciliation dont notre pays a besoin.»
L'arrêt de la CJUE affecte cependant l'ancien premier ministre régional catalan Carles Puigdemont et le ministre régional de la Santé Toni Comín, tous deux du parti de droite Ensemble pour la Catalogne. Ayant fui la répression de Madrid, ils sont maintenant tous deux exilés politiques en Belgique. Vendredi, les deux ont reçu une accréditation pour siéger en tant que membres du Parlement européen, après s'être vu refuser l'entrée au Parlement depuis le mois de juin.
Considéré objectivement, l'arrêt de la CJUE démasque la politique espagnole et européenne. Il souligne que l'agression sanglante de la police espagnole contre des électeurs pacifiques lors du référendum catalan et les répressions policières répétées contre les manifestations de masse en Catalogne ont été menées en violation flagrante du droit. Il met également en cause les fonctionnaires de l'UE et les principaux États membres de l'UE, qui ont soutenu la politique de Madrid et en sont complices. En juin, le Parlement et la Commission de l'UE ont fait écho à l'argument frauduleux de Madrid selon lequel Junqueras devait d'abord assister à la prestation de serment avant de bénéficier de l'immunité.
Autrement dit, le Parlement européen et la Commission européenne ont tous deux permis à l'Espagne de priver 1,7 million de personnes de leur droit de vote.
Les nationalistes catalans ont néanmoins salué l'arrêt de la CJUE, en opposant sa prétendue «indépendance» à la Cour suprême espagnole. José Antich, le directeur d'El Nacional, a déclaré que la décision de la CJUE était «un coup dur pour le système judiciaire espagnol... Une fois de plus, malheureusement, le mouvement d'indépendance catalan ne trouve justice que de l'autre côté des Pyrénées.»
Depuis la délégation du gouvernement catalan à Bruxelles, Puigdemont a demandé l'annulation de la sentence de Junqueras et sa libération, ainsi qu'une enquête sur «les fautes professionnelles dans le système judiciaire espagnol.» En affirmant que l'UE avait «fourni la garantie de protection des valeurs fondamentales de la démocratie que nous avons toujours respectées et auxquelles nous avons fait confiance», M. Puigdemont a affirmé que cet «arrêt historique», «renforcerait les valeurs fondatrices de l'Union».
Cette propagande pro-UE est une imposture. Ayant pris forme en tant que communauté économique sous l'aile de l'alliance anticommuniste de l'OTAN pendant la guerre froide, l'UE est devenue un régime militaro-policier brutal. Tout en imposant des programmes d'austérité qui ont dévasté le niveau de vie de centaines de millions de travailleurs européens, elle cherche maintenant à se construire comme un rival militaire de Washington tout en emprisonnant des centaines de milliers de réfugiés.
Le rôle cynique de l'UE par rapport à l'emprisonnement de Junqueras est en partie responsable de ses attaques plus générales contre les droits démocratiques.
Tandis que Puigdemont chantait les louanges de l'UE, son avocat Gonzalo Boye a donné une évaluation plus sobre de la situation. Il a recommandé à Puigdemont et à Comín d'être «prudents» et de ne pas retourner en Espagne par crainte d'être arrêtés, malgré l'arrêt de la CJUE selon lequel ils jouissent d'une immunité. «Compte tenu de la situation de M. Junqueras, je pense qu'il ne faut pas se fier à l'immunité que pourrait offrir la Cour suprême», a déclaré M. Boye à la station de radio basque Radio Euskadi.
La crise met en évidence la faillite du nationalisme catalan, ainsi que du PSOE et de Podemos. La principale préoccupation des nationalistes catalans n'est pas de libérer Junqueras et de repousser la politique d'austérité de Madrid et les attaques contre les droits démocratiques, mais de maintenir le même gouvernement du PSOE qui les réprime, sans provoquer trop d'opposition parmi leurs électeurs.
Avec ses 15 parlementaires qui sont maintenant des votes clés au Congrès espagnol, l'ERC a approuvé, par un vote de 93 pour cent de ses membres, une «feuille de route» pour les négociations avec le PSOE afin de donner une majorité parlementaire au leader du PSOE et Premier ministre par intérim Pedro Sánchez. Junqueras a déclaré à Radio Catalunya: «les négociations ne devraient pas s'arrêter de toute façon, indépendamment du fait que je sois en prison ou non.»
Pour l'instant, l'ERC a annoncé qu'il arrêtait les pourparlers jusqu'à ce que le PSOE réagisse à la décision et révèle la position du procureur nommé par le PSOE. Jusqu'à présent, le parti garde le silence, bien que quelques heures seulement après la publication de la décision, les procureurs de l'État aient annoncé que la décision n'avait pas d'effets juridiques. La porte-parole par intérim du gouvernement du PSOE, Isabel Celaá, a déclaré que le procureur général «étudiait la décision.»
Craignant que l'ERC ne refuse désormais de soutenir Sánchez, Celaá a fait appel à deux partis de droite, le Parti populaire et les Citoyens, pour soutenir l'investiture de Sánchez.For now, the ERC
Le jour du jugement, les événements ont montré que Madrid poursuit sa répression en Catalogne. La Haute Cour de justice espagnole a condamné le premier ministre régional de Catalogne, Quim Torra, pour désobéissance et lui a interdit d'exercer une fonction publique pendant dix-huit mois, au motif fallacieux que, pendant les élections, il n'avait pas fait enlever une banderole exprimant son soutien aux prisonniers politiques. Torra a fait appel.
Le Bureau du Procureur de l'État a également exigé que les enquêtes sur la répression policière visant le référendum sur l'indépendance de 2017, qui a fait plus de 1000 blessés, soient closes. Il a affirmé que la police n'avait pas agi «de manière disproportionnée» et qu'elle avait été contrainte de recourir à la force, face à «l'attitude résistante et hostile de centaines ou de milliers de citoyens.»
(Article paru en anglais le 23 décembre 2019)