Un juge fédéral a statué mardi que le gouvernement américain pouvait légalement saisir les recettes de «Mémoires Vives» (Permanent Record), un récit de souvenirs du lanceur d’alerte Edward Snowden, et de ses conférences rémunérées. Il était en «violation de ses obligations» n’ayant pas soumis ces documents à la CIA et à la NSA pour «examen avant publication».
Dans un jugement de 14 pages, le juge Liam O’Grady s’est prononcé contre les accusés, Edward Snowden et Macmillan Publishing Group LLC et a accordé la requête de jugement sommaire du gouvernement américain. La décision fait suite à un procès intenté par le ministère américain de la Justice contre Snowden et son éditeur. La plainte avait été déposée le jour même de la publication du livre de l’ancien contractant de la NSA, en septembre dernier.
Dans «Mémoires Vives», Snowden raconte l’histoire de sa vie, comment il est devenu un agent de renseignement et un contractuel et comment il s’est rendu compte que la CIA et la NSA étaient engagées dans une opération de surveillance électronique mondiale qui violait les droits démocratiques du public protégés par la Constitution.
Snowden explique également comment il a fait sortir clandestinement d’une installation sécurisée à Hawaii une énorme quantité de documents de renseignement top secrets, qu’il a ensuite remis aux journalistes du Guardian à Hong Kong, en mai 2013. Il raconte aussi comment il a fini par obtenir l’asile à Moscou, où il se trouve toujours, après avoir été accusé de violation de la Loi sur l’espionnage, son passeport étant résilié par le gouvernement américain.
Le procès du Département de la justice (DOJ) et la décision du tribunal se fondent sur six accords de confidentialité qu’Edward Snowden a signés entre novembre 2005 et mars 2013. Il était alors employé ou contractuel de la CIA et de la NSA. Selon la décision, ces documents exigeaient que Snowden «obtienne un examen préalable à publication de toute préparation, sous quelque forme que ce soit, contenant une quelconque mention de données ou d’activités de renseignement ou toute autre information ou matériel qui est ou pourrait être basé sur des informations marquées comme classifiées, connues comme classifiées ou connues comme faisant l’objet d’un processus de détermination de classification».
La décision de la cour déclare que «les modalités des Accords de confidentialité de la CIA prévoient en outre que Snowden renonce à toute recette découlant de divulgations qui enfreignent ces accords. Ces conditions continuent de s’appliquer à Snowden.» Bien que la décision accorde au gouvernement le droit de réclamer les revenus de publication et les honoraires des conférences de Snowden, elle ne spécifie en rien comment ou quand ce recouvrement sera effectué.
Comme Snowden l’a expliqué très clairement dans «Mémoires Vives», il reconnaît avoir signé les accords sur le secret du renseignement. Il fait cependant aussi remarquer qu’il a signé un autre accord appelé affidavit de fonction par lequel il a juré de «défendre la Constitution des États-Unis contre tous les ennemis, étrangers et intérieurs» et que ce serment prévaut sur toute obligation contenue dans les accords sur la confidentialité.
Le jugement fait spécifiquement référence, outre à son livre, à plusieurs conférences de Snowden – notamment à une conférence sur la technologie, le loisir et le design (TED) et à une autre prononcée à un salon sur la sécurité de l’Internet – où «il a exposé et discuté, entre autres, au moins une diapositive marquée classifiée au niveau très secret et d’autres activités de la CIA et de la NSA liées au renseignement».
La décision du juge O’Grady rejette les trois arguments avancés par les avocats de Snowden. à savoir: (1) que le gouvernement avait lui-même violé son propre accord en déclarant à l’avance qu’il refuserait d’examiner le livre ou les conférences de bonne foi ou dans un délai raisonnable; (2) que le procès du ministère de la Justice était fondé sur l’animosité envers Snowden et ses opinions et que le gouvernement avait appliqué de façon sélective ses accords de confidentialité; et (3) que les accords de confidentialité ne justifient pas la demande du gouvernement de saisir le produit de son livre et de ses conférences.
Brett Max Kaufman, un avocat de Snowden du Centre pour la démocratie de l'ACLU, a dit que l'équipe juridique n'était pas d'accord avec « la décision de la cour et qu'elle examinerait ses options ». Il a encore déclaré: « Il est farfelu de croire que le gouvernement aurait examiné le livre de M. Snowden ou tout autre document qu'il a présenté de bonne foi. Pour cette raison, M. Snowden a préféré risquer ses futurs droits d’auteurs plutôt que de soumettre ses expériences à une censure gouvernementale inappropriée ».
Les révélations de Snowden en 2013 ont énormément contribué à sensibiliser le public, tant aux États-Unis qu’à l’international, sur le fait que les opérations de surveillance de la CIA et de la NSA recueillaient –avec la coopération et la collusion des sociétés de télécommunications – des données sur chaque appel téléphonique, courriel et texto du monde entier. Ces révélations, qui ont déclenché le dit «effet Snowden», ont encouragé l’usage généralisé du chiffrement de bout en bout qui entrave ou empêche la surveillance des communications électroniques par le gouvernement.
Le gouvernement américain prétend avoir officiellement mis fin à ses programmes de surveillance secrète en adoptant la Loi américaine sur la liberté de 2015, sous l’administration Obama. Toutefois, de nombreux articles des médias, fuites et violations de données ont depuis révélé que des programmes similaires, sinon exactement les mêmes, sont en cours.
La vendetta du gouvernement américain et de son établissement militaire et du renseignement contre Snowden pour avoir révélé ces vérités au public ne sera jamais oubliée ni pardonnée. L’État s’est trouvé incapable jusqu’à présent de ‘restituer’ Snowden aux États-Unis, mais le récent procès et la décision de la Cour fédérale montrent que tous les efforts sont faits pour le faire taire, l’intimider et faire un exemple de quiconque pense à démasquer les activités criminelles du gouvernement.
(Article paru d’abord en anglais le 20 décembre 2019)