Perspective

La crise de destitution aux États-Unis

Maudits soient les deux partis

La Chambre des représentants des États-Unis a voté mercredi soir pour destituer le président Donald Trump. Les discours qui ont précédé le vote contenaient d’innombrables invocations de l’importance historique de ce geste. Mais l’histoire des destitutions précédentes ne fait qu’exposer le caractère de droite et proguerre de la campagne de destitution des démocrates.

Le premier procès de destitution d’un président américain a été intenté contre Andrew Johnson en 1868. Le procès était lancé le lendemain de la guerre civile, lorsque Johnson, un démocrate antisécessionniste, mais un raciste virulent, a succédé à la présidence après l’assassinat d’Abraham Lincoln. Les républicains du Congrès considéraient Johnson comme l’allié des anciens propriétaires d’esclaves et l’accusèrent d’avoir licencié le secrétaire à la Guerre, un fervent partisan de la reconstruction radicale du Sud. L’acquittement de Johnson au Sénat, par un seul vote, était un signal du virage de la classe capitaliste du Nord loin de la lutte révolutionnaire démocratique de la guerre civile, en préparation d’un combat contre un nouvel ennemi, la classe ouvrière américaine.

La deuxième destitution d’un président américain n’a été empêchée que par la démission forcée du président Richard Nixon en 1974. Suite au vote de la Commission judiciaire de la Chambre pour monter un procès sur la base des articles de destitution à savoir: obstruction à la justice, abus de pouvoir et mépris du Congrès. Ces accusations étaient liées à la divulgation d’un programme massif de répression politique illégale employé par l’administration Nixon pour réprimer les mouvements de défense des droits civiques et antiguerre des années 1960. Nixon forma son unité d’anciens agents de la CIA, les «plombiers», pour espionner Daniel Ellsberg, qui a divulgué les documents du Pentagone aux médias. On a surpris les «plombiers» en train de cambrioler les bureaux du Comité national démocrate dans le bâtiment du Watergate en juillet 1972. Cela a déclenché la chaîne des événements qui a conduit à l’éviction de Nixon deux ans plus tard.

Il ne manque pas de raisons légitimes pour destituer Trump. Il a arraché des milliers d’enfants immigrés à leurs familles dans le cadre d’une politique qualifiée de torture par les Nations Unies. Il a créé des camps de concentration sur le sol américain. Il a détourné des fonds militaires au mépris du Congrès pour construire son état de garnison le long de la frontière sud. Il a déclaré qu’il serait prêt à défier les limites constitutionnelles du mandat et à rejeter le résultat d’une élection au cours de laquelle il serait défait. Il cherche à créer un mouvement fasciste en sol américain.

Mais les démocrates ont exclu toutes ces questions démocratiques fondamentales de leur campagne de destitution, qui est centrée sur les allégations selon lesquelles Trump n’est pas suffisamment agressif dans sa lutte contre la Russie en Ukraine.

«En fin de compte, cette destitution est la première sur la question de savoir si le président trahit la sécurité nationale américaine», écrit David Sanger dans le New York Times. «Si l’Ukraine est l’événement immédiat, la façon dont le président traite M. Poutine est le thème dominant.»

Sanger conclut, «l’argument sur l’Ukraine, la raison officielle de la destitution du président, ne concernait pas vraiment l’Ukraine du tout. C’était à propos de la Russie.»

Mais c’est Adam Schiff, président de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants, figure centrale de la campagne de destitution, qui n’a laissé planer aucun doute sur l’exigence centrale du Parti démocrate: une escalade du conflit américain avec la Russie.

«L’Ukraine lutte contre les Russes, contre leur expansionnisme. C’est aussi notre combat», dit Schiff. «Nous avions l’habitude de tenir tête à Poutine et à la Russie. Je sais que le parti de Ronald Reagan le faisait dans le passé.»

«C’est pourquoi nous soutenons l’Ukraine avec l’aide militaire dont nous disposons», a poursuivi Schiff. «Le Président s’en fiche peut-être, mais pas nous. Nous nous soucions de notre défense, nous nous soucions de la défense de nos alliés, et nous nous soucions de notre constitution.»

Nulle part n’a-t-on expliqué pourquoi la guerre de l’Ukraine avec la Russie devrait être «notre combat aussi», ou pourquoi ne pas combattre cette guerre comme le veulent les démocrates constitue une offense qui mérite la destitution.

La tentative des démocrates d’écarter Trump vise à légitimer une escalade intense du conflit américain avec la Russie, une politique pour laquelle il n’existe aucun soutien au sein de la population.

Le Parti démocrate est conscient de la haine populaire à l’égard de l’administration Trump. Mais ce que ce parti des riches et des nantis craint bien plus que la réélection de Trump, c’est une mobilisation de masse pour le destituer. Cela remettrait inévitablement en cause leur propre richesse et le système capitaliste.

Dans les termes définis par les démocrates, la destitution n’a aucun contenu démocratique ou légitime. Elle est si éloignée de tout sentiment ou revendication populaire qu’elle a tous les traits d’une révolution de palais. Les innombrables affirmations de divers démocrates selon lesquelles leur destitution constitue une défense de la démocratie sont à la fois peu convaincantes et fausses.

Même s’ils vont de l’avant avec leur campagne de destitution, les démocrates ont travaillé avec Trump. Avec lui, ils ont agrandi l’armée et détruit les restrictions du Congrès à l’usage de la force militaire, et étendu sa répression de l’immigration. Mardi, ils ont approuvé le plus gros budget militaire de l’histoire des États-Unis. Jeudi, le lendemain du vote de destitution, ils prévoient adopter l’USMCA (une entente États-Unis-Mexique-Canada), une mesure de guerre commerciale visant la Chine.

Pendant que les votes de destitution étaient exprimés, Trump était à Grand Rapids au Michigan, faisant un appel violent, démagogique et fasciste à ses partisans. Trump a repris les propos de la lettre qu’il avait envoyée précédemment à la Chambre des représentants dans laquelle il accusait le président de la Chambre de «déclarer une guerre ouverte à la démocratie américaine».

Mais en excluant toutes les questions démocratiques qui parviendraient à mobiliser la population contre Trump, les démocrates jouent le jeu du président, qui cherche à mobiliser sa base fasciste au motif qu’il est victime d’un complot de l’«État profond».

Le mensonge central véhiculé par Trump est de mettre sur un pied d’égalité les efforts des démocrates visant à le destituer – y compris ceux des agences de renseignement et des médias – et le socialisme. C’est son euphémisme pour toute forme d’opposition populaire à son administration. Dans la tradition fasciste, Trump se présente faussement comme la victime d’une conspiration entre «élites», socialistes et communistes.

Quelle que soit l’issue de la crise de destitution, elle verra un nouveau mouvement dangereux de la politique américaine vers la droite. Si les démocrates ne parviennent pas à tasser Trump – ce qui semble probable – il sera renforcé. S’ils réussissent d’une manière ou d’une autre à orchestrer la destitution de Trump, de larges couches de la population jugeraient cette action comme étant illégitime, et celle-ci garantirait pratiquement une escalade du conflit militaire avec la Russie.

Quelle que soit son issue, la destitution doit être considérée dans le contexte de la plus grande crise du capitalisme américain depuis la guerre civile. À leur manière, les deux partis représentent le double impératif de l’impérialisme américain dans un contexte de crise sociale et de perte de son hégémonie mondiale.

Les démocrates incarnent la pulsion de la guerre; les républicains, sous la forme de Trump, incarnent le mouvement vers des formes fascistes et autoritaires de gouvernement.

La lutte contre Trump ne peut se dérouler que sur la base d’une lutte sociale et politique enracinée dans la classe ouvrière. La condition préalable essentielle à l’émergence d’un tel mouvement est une rupture totale et sans équivoque avec les Partis démocrate et républicain. L’attitude de la classe ouvrière face à cette destitution doit être, en s’inspirant de Shakespeare: «Maudits soient les deux partis!»

(Article paru en anglais le 19 décembre 2019)

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