Les immigrants détenus dans les centres de détention du service de l’Immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement, ICE) aux États-Unis reçoivent des soins médicaux si médiocres qu'ils ont causé deux interventions chirurgicales évitables et ont contribué à quatre décès. Ces allégations figurent dans une note de service adressée à la haute direction de l'ICE par Cameron P. Quinn, responsable des droits et des libertés civils au département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security, DHS).

Le nombre de détenus aux États-Unis a grimpé en flèche sous l'administration Trump, atteignant un sommet de 55.000 cet été et diminuant à environ 44.000 actuellement. Au cours de l'exercice 2019, on sait que huit personnes sont décédées en détention à l'ICE, le nombre le plus élevé depuis la dernière année de l'administration Obama, lorsque 12 personnes sont mortes. Si l'on inclut les personnes qui sont décédées ou qui ont été tuées peu de temps après avoir été déportées ainsi que les décès en détention non signalés, le bilan réel est probablement beaucoup plus lourd.

Le mémo précédemment secret, obtenu et analysé par BuzzFeed News, révèle que des immigrants détenus ont été soumis à des traitements médicaux épouvantables alors qu’ils étaient en détention. La note de service du 20 mars 2019 décrit les plaintes d'un lanceur d’alerte au sein du corps des services de santé l'ICE (Health Service Corps, IHSC), qui fournit des soins médicaux aux détenus sous sa garde. Dans la note de service, le dénonciateur allègue que l'IHSC «fournit systématiquement des soins médicaux et de santé mentale inadéquats et une surveillance inadéquate aux immigrants en détention à travers les États-Unis».

La note de service interne adressée à la direction de l'ICE comprend 17 plaintes concernant à la fois les soins médicaux et les soins de santé mentale des détenus. Parmi les conséquences alléguées de ces soins inadéquats, mentionnons une intervention chirurgicale évitable sur un garçon de 8 ans qui s'est fait enlever une partie du front et un détenu qu’on a laissé devenir si instable mentalement qu'il s'est lacéré le pénis.

Ce mémo est l'un des nombreux documents secrets obtenus par BuzzFeed News tout au long de l'année 2019 exposant comment les politiques criminelles d'immigration de l'administration Trump ont été mises en place et exécutées et quels impacts ont eus ces politiques sur ceux qui désirent vivre aux États-Unis. Parmi les mauvais traitements, on peut citer le manque d'accès des détenus aux douches, la détention d'enfants dans des cellules fermées et surpeuplées et les retards dans le transfert des détenus malades vers les hôpitaux, entre autres cas de mauvais traitements.

Les soins médicaux aux détenus sont assurés par un ensemble disparate de prestataires, dont l'ICE elle-même, les employés de l'ICE qui assistent des sous-traitants privés ou publics et les soins fournis par un sous-traitant sous la supervision de l'ICE.

Retards dans les soins et chirurgies inutiles

- La note de service décrit comment, le 5 décembre 2017, la mère d'un garçon de 8 ans a informé les responsables d'un centre d'hébergement familial du Texas que les maux d'oreilles de son fils s'aggravaient. Le personnel médical lui a diagnostiqué une otite du baigneur et lui a donné des gouttes pour les oreilles.

Le 23 décembre, le garçon a commencé à avoir des convulsions et a été transporté à l'hôpital où les médecins ont diagnostiqué chez lui une tumeur de Pott, une infection rare à l'intérieur du crâne. L'infection s'était propagée de l'oreille de l'enfant à l'os de son visage, formant des abcès sous son crâne. Pour la traiter, ils ont dû enlever chirurgicalement une partie de l'os frontal du garçon, ce qui l’a défiguré.

Une analyse de l'Unité de gestion de la qualité médicale de l'ICE a révélé que «les soins médicaux inadéquats fournis par [le centre] ont été un facteur contributif dans les dommages subis par le garçon.» Selon le lanceur d’alerte, cependant, la direction de l'IHSC «n'a pas pris les mesures appropriées.»

- Le mémo raconte comment un homme du centre de détention Stewart en Géorgie «saignait à travers la peau et avait des changements de vision.» Un médecin du centre a poursuivi le traitement à l'aspirine de l'homme, qui fluidifie le sang, pendant six jours, en dépit du fait qu'il «avait un sang extrêmement clair.»

Le détenu a commencé à «cracher de grandes quantités de sang» et a été transporté à l'hôpital, où l'on ne s’attendait «pas à ce qu’il survive.» L'unité de contrôle de la qualité qui a examiné le cas «a déterminé que la thérapie à l'aspirine pourrait avoir causé un préjudice qui a pu entraîner la mort.»

Traitements inadéquats de problèmes de santé mentale

- Selon la note de service, le psychiatre du centre a été informé à plusieurs reprises par l'unité de contrôle de la qualité de l'Eloy Federal Contract Facility en Arizona de l'aggravation des symptômes psychotiques d'un détenu, mais le psychiatre ne l’a pas traité.

L'homme «est devenu si instable qu'il s'est lacéré le pénis, nécessitant une hospitalisation et une chirurgie.»

- Au centre de détention Stewart en Géorgie, les autorités ont été informées de la détérioration de l'état de santé mentale d'Efrain De La Rosa. De La Rosa a déclaré le 26 avril 2018 qu'il serait mort dans trois jours. Il s'est suicidé 11 semaines plus tard.

Selon BuzzFeed, le cas de De La Rosa a fait l'objet d'une enquête de l’Intercept, de l’Atlanta Journal-Constitution et des Young Turks, qui ont rapporté qu'il avait été diagnostiqué comme souffrant de schizophrénie et de trouble bipolaire et qu'il était détenu en isolement dans un établissement de santé mentale, sous surveillance pour suicide. Lorsqu'il a été transféré à Stewart, le personnel n'a pas consigné son état.

- Un homme de l'Eloy Federal Contract Facility de l'Arizona devait recevoir des médicaments antipsychotiques, mais on lui aurait plutôt donné des antidépresseurs, «ce qui a probablement aggravé sa psychose.»

Médicaments administrés sous la contrainte

et traitement inadéquat pour le sevrage d'une substance

- Au centre de détention de Iéna/LaSalle en Louisiane, deux détenus se sont fait injecter de force de l'Ativan, une benzodiazépine utilisée pour traiter les troubles anxieux et d'autres maladies.

- Le dénonciateur allègue que des détenus n'ont pas été traités convenablement pour leur dépendance à l'alcool ou aux opioïdes et qu'ils ont souffert d'un grave sevrage pendant leur détention par l’ICE. Un homme a été victime d'une «erreur de médication», deux hommes ayant une dépendance aux benzodiazépines ont vu leur traitement retardé, un homme «a été victime d'un grave sevrage d’alcool et d'un délire et a été admis à l'hôpital à l'unité des soins intensifs.»

Morts évitables

- Roger Rayson, un immigrant jamaïcain de 47 ans, est décédé environ deux mois après avoir été placé en détention au centre de Jena/LaSalle, et un mois «après avoir été transféré dans un hôpital pour nausées, vomissements et douleurs», selon un rapport de quatre groupes de pression. À l'hôpital, on lui a diagnostiqué «une forme de lymphome non hodgkinien à croissance rapide mais traitable, et il est mort neuf jours plus tard.»

- Ronal Romero, un immigrant hondurien, est arrivé aux États-Unis en 2002 et vivait dans le Missouri depuis plus d'une décennie. Il a été reconnu coupable de conduite en état d'ébriété en janvier 2016 et, après deux jours de prison, a été arrêté par l'ICE sur un ordre de détention antérieur et renvoyé au Honduras.

Comme tant d'immigrants d'Amérique centrale déportés, Romero est retourné aux États-Unis en raison du manque d'emplois et des conditions violentes dans son pays d'origine. Il a été arrêté le 9 mai 2018 par l’agence de protection des frontières (Custom and Border Protection, CBP) et a finalement été transféré au centre de détention de Port Isabel de l'ICE à Los Fresnos, Texas.

Le lendemain, il se sentait malade et souffrait beaucoup. Il a dit au personnel médical qu'il avait reçu des gouttes pour les oreilles et des antibiotiques pour une infection de l'oreille pendant qu'il était sous la garde du CBP. BuzzFeed écrit: «Il a été traité et a reçu des médicaments. Mais plus tard dans la journée, il est devenu confus, ne sachant pas où il était, et a eu du mal à se réveiller. Il est mort le lendemain dans un hôpital.»

Une autopsie privée a révélé que Romero était mort d'une «complication septique avec méningite.» Un examen interne effectué par l'ICE a révélé que le centre de détention avait agi en conformité avec ses normes médicales. Le dénonciateur, cependant, a qualifié les soins prodigués à Romero de «négligence grossière» et a allégué que «le comité d'examen du décès avait commis une erreur en concluant que les soins prodigués [à Romero] étaient appropriés.»

Un membre de la famille de Romero a déclaré à BuzzFeed News: «Nous pensons qu'il devrait être ici avec nous. C'était notre petit frère, il était tout pour nous. Il a été traité comme un animal.» La famille de Romero a remercié le lanceur d’alerte d'avoir rendu publiques ces informations.

Le fait que l'ICE ait maintenu qu'elle fournit des soins appropriés aux immigrants sous sa garde et qu'elle n'a pas choisi de rendre elle-même publiques les allégations du dénonciateur, indique que les soins médicaux et de santé mentale épouvantables fournis aux immigrants sous la garde des États-Unis sont, de par leur nature même, conformes à la politique fasciste du gouvernement Trump sur l'immigration.

Les démocrates, qui vont de l'avant cette semaine avec des articles de destitution contre Donald Trump fondés uniquement sur des conflits de politique étrangère, n'ont pas fait des politiques d'immigration vindicatives de la Maison-Blanche ou d'autres mesures contre la classe ouvrière la cible de leurs procédures. En choisissant de se concentrer uniquement sur leur campagne anti-Russie, les démocrates montrent leur complicité dans l'agression meurtrière de l'administration Trump contre les immigrants.

(Article paru en anglais le 14 décembre 2019)